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Éditorial. Regard actuel
Bulletin Africiné n°13
critique
rédigé par Baba Diop
publié le 20/04/2011

On ne regarde le passé qu'avec les yeux du présent, c'est dire qu'il est salutaire de temps à autre de donner à voir ou à revoir les films de ceux-là mêmes qui ont débroussaillé puis tracé les sentiers de nos cinémas.

Désiré Ecaré, de son vrai nom Ekrarey, aurait été intéressé de voir le
regard que les jeunes réalisateurs posent sur "Visages de femmes" réalisé en 1985 et présent à la 22ième édition du Fespaco, dans l'hommage qui est rendu à ce réalisateur de films et comédien de théâtre qui a joué dans "Le Roi Christophe" d'Aimé Césaire et dans "L'Exception est la règle" de Brecht. La jeunesse actuelle, nourrie au lait du clip et des jeux vidéo, habituée à la cadence rapide du temps subi ou imposé, ne se retrouve pas dans la manière de filmer de l'époque. Elle y décèle une certaine langueur. Elle trouve l'argumentaire de "Visages de femmes" cousu de fil blanc et voit dans ce réalisateur, un marteleur qui, par la force de ses biceps, vous enfonce dans le crâne sa vision du futur : "Attention, nos femmes se réveillent, l'ordre social ne sera jamais plus comme avant". Toute chose qui aujourd'hui relève de l'évidence sans que, les jeunes n'aient à l'esprit la longue marche des femmes vers leur propre émancipation devenue droit à l'égalité.

C'est dire encore qu'un film qui n'est pas mis en relation avec son époque afin d'en tirer la substantifique moelle risque fort de demeurer dans le casier des films oubliés.
"Visages de femmes" indépendamment de la bataille des femmes africaines pour s'affranchir du joug des hommes, qu'il traite, nous éclaire sur le type de cinéma que défendaient les réalisateurs de l'époque.

Ce cinéma n'était pas un cinéma distractif mais un cinéma qui ouvre les yeux, qui alerte, dénonce, qui ne passe pas par des fioritures pour mettre des images sur les tares et dysfonctionnement de la société comme on met des mots sur une douleur qui étouffe. La longue scène d'amour qui avait fait scandale au moment de la sortie du film se pose comme une revendication frontale de la liberté sexuelle que ne pouvait tolérer le puritanisme ambiant. Le courage d'affronter les forces d'inertie et ne pas les caresser dans le sens du poil donne sens à ce film et rappelle l'impérieuse nécessité de l'engagement de "ceux qui pensent" leur société, leur monde. Le réalisateur est un de ceux-là.

Baba Diop

paru le Mardi 1er mars 2011, Bulletin Africiné n°13 - Ouagadougou (Burkina Faso), FESPACO 2011 - n°2, p. 1.
avec le soutien d'Africalia (Belgique), du Ministère des Affaires étrangères (France) et d'Africultures (France).

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