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Lieux saints
Les modes du cinéma africain en question
critique
rédigé par Michel Amarger
publié le 02/05/2011
Michel Amarger
Michel Amarger
Jean-Marie Teno, réalisateur
Jean-Marie Teno, réalisateur
Kôrô Bouba, devant son ciné-club
Kôrô Bouba, devant son ciné-club
Jules César, le musicien
Jules César, le musicien
Jean-Marie Teno et Jules César
Jean-Marie Teno et Jules César

LM Documentaire de Jean-Marie Teno, Cameroun / France, 2009
Sortie France : 4 mai 2011

Les débats sur l'état du cinéma en Afrique sont souvent globalisants, et du coup imprécis. Jean-Marie Teno recentre le sujet dans un quartier populaire avec Lieux saints, 2009. La démarche puise sa source dans le parcours documentaire du cinéaste camerounais, interpellant l'héritage colonial, Afrique, je te plumerai, 1992, l'exercice du pouvoir, Chef !, 1999, la notion de modernité, Vacances au pays, 2000, la pratique de la polygamie, Le mariage d'Alex, 2002, les interventions des missionnaires, Le malentendu colonial, 2004. Ces films, étayés par un discours subjectif critique, souvent énoncé par le cinéaste, pointent les disfonctionnements du Cameroun en s'élargissant peu à peu à d'autres espaces.
En 2007, la présence de Teno au Fespaco où il accompagne régulièrement ses oeuvres, l'incite à placer sa caméra dans un quartier de Ouagadougou pour mesurer les modes de consommation du cinéma. Guidé par une connaissance, il se fixe à Saint-Léon, en bordure du centre de la capitale du Burkina Faso.

Trois personnages retiennent son attention. Le patron du vidéo-club, Bouba, maintient l'activité cinéphilique en diffusant des films de genre étrangers et les rares fictions africaines disponibles en dvd piratés, convertissant la salle en lieu de prières entre les séances.
Un fabricant de djembés, Jules César, confectionne laborieusement mais avec enthousiasme, ses instruments. Il en joue pour annoncer la projection d'un film de Teno au vidéo-club.
Dans les parages, un homme plus âgé, Abbo, écrit des phrases poétiques et prophétiques sur les murs. Avec eux, le cinéaste camerounais confronte ses impressions sur l'état du quartier et du cinéma, questionnant pour débusquer des idées de bons sens, nichées dans le fatalisme du quotidien. Il assemble les scènes pour donner sens aux rencontres, charpentées par son commentaire.

Lieux saints pose à hauteur du quartier de Saint-Léon, des questions cruciales pour l'évolution des images africaines. "On est dans une situation paradoxale : il y a cinquante ans, on ne produisait pas assez de films africains ; on ne les voyait pas", observe Teno. "Aujourd'hui, il y a des films africains faits par des Africains mais qui n'arrivent pas à toucher le public populaire puisque la plupart des salles sont fermées. Au Cameroun, par exemple, il n'y a plus de salles de cinéma. Mais, il y a de plus en plus de vidéo-clubs."
Cette situation conduit le cinéaste à déplorer la disparition des cinémas tout en constatant que les initiatives locales entretiennent de manière nouvelle la diffusion des images : "On peut aussi réfléchir à d'autres alternatives, comme par exemple essayer de moderniser ces vidéo-clubs pour qu'ils deviennent des espaces de diffusion de la culture populaire en utilisant Internet et le numérique."

Ce sont ces questions d'adaptation des techniques et des modes de consommation du cinéma qui interpellent Jean-Marie Teno. Il profite de sa présence dans le quartier populaire pour accompagner une projection de son film Chef !, en dvd, et s'aperçoit que Yaaba de Idrissa Ouedraogo figure au programme du vidéo-club dans le même format.
Au-delà des confidences de l'exploitant qui a plus facilement accès aux films d'action américains, le cinéaste entreprend d'interroger Idrissa Ouedraogo sur le sujet. Le réalisateur burkinabé reconnaît que ses homologues d'Afrique de l'Ouest se sont plus occupés de reconnaissance internationale que de leur impact sur le marché local. La parenté du 7ème art avec le djembé qui touche plus directement le public est relevée avec malice par Jules César.

L'expression de la production africaine entraîne alors Teno à envisager le cinéma comme une relève aux griots. "Le griot est de ceux qui ont la maîtrise de l'art de raconter des histoires", explique t-il. " Ils sont une source d'inspiration pour certains cinéastes dans leur quête pour construire des formes de narration africaines."
En épilogue du film, s'inscrivent deux citations valorisant les griots, de réalisateurs sénégalais phares : Ousmane Sembène et Djibril Diop Mambety. Ainsi Jean-Marie Teno semble placer ses considérations dans la lignée des auteurs qui ont bousculé les codes du cinéma d'Afrique pour l'améliorer. Lieux saints prolonge ainsi ses documentaires volontaristes. Mais cette fois, son ton paraît moins virulent. L'exploration du cinéma dans un quartier du Burkina rend peut-être le regard du réalisateur camerounais plus indulgent et plus mesuré sur les mutations obligées du 7ème art.

Vu par Michel AMARGER
(Afrimages / RFI / Médias France)

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