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Dans le silence, je sens rouler la terre, de Mohamed-Lakhdar Tati
Le cinéma, point d'entrée dans l'Histoire
critique
rédigé par Baba Diop
publié le 09/05/2011

Finalement, chaque film redéfinit son objet à savoir la vocation même du cinéma. L'option du film de Mohamed-Lakhdar Tati Dans le silence, je sens rouler la terre est clairement définie : prendre le cinéma comme l'une des portes d'entrée à une histoire oubliée ou gommée.
Littérature et cinéma sont si jumeaux que Lakhdar Tati, dans la manière de raconter, emprunte au nouveau roman ses ponctuations et ses détours. Comme dans un emboitement, le film met à jour des réalités actuelles de l'Algérie. Il ne se contente pas de les effleurer.

C'est en découvrant la poésie de Max Aube, que Lakhdar Tati, luimême diplômé ès Lettres Modernes, fut mis en contact avec une réalité historique. Il s'agit de l'histoire de vie des antifranquistes qui, à la fin de la guerre civile espagnole viendront se refugier en Algérie pour échapper à la machine de torture et autre garrot de Franco.
Chevauchant les mots du poète, il part exhumer l'histoire de ces oubliés qui furent parqués dans une sorte de camp de concentration sous l'Algérie française.

Dans ce voyage à la recherche de la mémoire du temps, Lakhdar Tati fait admettre que l'histoire de ces Espagnols en terre d'Algérie fait partie aussi de l'histoire générale de l'Algérie puisque là où on vous enterre devient votre lieu. D'où, le devoir impérieux des historiens algériens de creuser cette tranche de l'Algérie "française". Ce n'est donc pas seulement comme le dit l'un des personnages du film, que cette histoire là est celle de la France qui avait en charge ces refugiés.
C'est une histoire gommée puisque la France en partant n'a point laissé d'archives dans la bibliothèque de la ville. Si la fonction d'un musée est de conserver la mémoire des choses, celui qui nous est présenté sur le chemin du voyage ne retient du patrimoine que ce qui peut intéresser le touriste. Au détour, sans y avoir l'air, le réalisateur jette un pavé dans la mare des muséologues de nos pays restés dans la conception muséale de type ethnographique. Il n'est donc pas surprenant que l'intérêt pour l'histoire ne se manifeste point. Seulement, rectifie un des personnages, pour aimer l'histoire faudrait il trouver des livres qui en parlent. Parti à la recherche de la mémoire, Tati revient sur l'actualité.
Celle de l'émigration avec en sous main cette question : puisque l'histoire nous est commune d'un côté et de l'autre de la Méditerranée, pourquoi refuser à ce jeune pêcheur de traverser la mer juste pour venir voir si le bonheur chanté par ceux qui sont partis, est vrai ?

Le film redessine la carte de l'Algérie et ses points d'histoire. Dans ce voyage et face à l'histoire de ces Espagnols il se résume à ceci prêt : Ce n'est pas mon histoire ; Non je n'en ai jamais entendu parler; Oui, j'en ai un tout petit peu entendu parler. Le "je me souviens" se trouve dans ce camp redessiné par un des habitants du village où les Espagnols avaient séjourné.
Chose évidente, la femme devient ici gardienne de l'histoire puisque la seule personne qui explique le pourquoi et le comment de la venue des refugiés est cette enseignante algérienne de littérature espagnole. La poésie est la douce barque qui nous mène vers cette mémoire oubliée.

Baba Diop
Sénégal

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