AFRICINE .org
Le leader mondial (cinémas africains & diaspora)
Actuellement recensés
25 008 films, 2 562 textes
Ajoutez vos infos
Images algériennes, année zéro
FESPACO 2011
critique
rédigé par Samir Ardjoum
publié le 15/05/2011
Samir Ardjoum
Samir Ardjoum
Dahmane Ouzid, réalisateur de La Place
Dahmane Ouzid, réalisateur de La Place
La Place
La Place
Rachid Bouchareb, réalisateur de Hors-la-loi
Rachid Bouchareb, réalisateur de Hors-la-loi
Jamel Debbouze dans Hors-la-loi
Jamel Debbouze dans Hors-la-loi
Abdelkrim Bahloul, réalisateur de Le Voyage à Alger
Abdelkrim Bahloul, réalisateur de Le Voyage à Alger
Dans le silence, je sens rouler la terre, de Mohamed Lakhdar TATI
Dans le silence, je sens rouler la terre, de Mohamed Lakhdar TATI
Mohamed Lakhdar TATI, réalisateur
Mohamed Lakhdar TATI, réalisateur
Yanis Koussim, réalisateur de Khouya (Mon frère)
Yanis Koussim, réalisateur de Khouya (Mon frère)
Fatma Zohra Zamoum, réalisatrice de Sembène Ousmane, docker noir
Fatma Zohra Zamoum, réalisatrice de Sembène Ousmane, docker noir
Garagouz
Garagouz
Abdenour Zahzah, réalisateur de Garagouz
Abdenour Zahzah, réalisateur de Garagouz
Fespaco 2011
Fespaco 2011

Quelques mois avant le début des festivités, la nouvelle s'était répandue comme une trainée de poudre : 11 films algériens seront projetés au prochain Fespaco 2011. La plupart des grands pontes de l'establishment fennec commencèrent à glorifier le sempiternel renouvellement du cinéma algérien.
De cinéma, il n'y en a plus depuis une vingtaine d'années.

De renouvellement, il serait prudent de patienter et d'en tirer des conclusions analytiques d'ici quelques décennies ne serait-ce que pour observer la fameuse et nouvelle génération de cinéastes provenant du court-métrage. De La Place (Dahmane Ouzid) à la production collective Afrique vue par en passant par Hors-la-loi (Rachid Bouchareb) et Khouya (Yanis Koussim), toutes les spécificités sont représentées. Deux questions se posent alors : Ces oeuvres sont-elles le reflet d'un nouveau souffle algérien tant exalté? Et surtout, décrivent-elles un véritable état des lieux de la société fennec ?

D'abord la production locale ne déteint aucunement sur la dynamique enregistrée depuis deux ans, laissant à l'Etat le choix de se démobiliser à sa manière du contexte cinématographique. Aucune école de cinéma, aucune culture de distribution ni de production, des ciné-clubs honteusement éparpillés sans de réels soutiens régionaux et un parc de salles inexistant.
Pour utiliser le terme "cinéma" et l'associer à un pays, il faudrait coûte que coûte que ses auteurs tissent une identification et non des bribes de personnalités. En cela, il existe plusieurs visages amicaux qui luttent pour décrocher un semblant de budget. On assiste souvent à des coproductions (avec la France, en général) ou bien des réalisations financées avec l'aide d'un mécène ou d'un apport personnel.

Il existe bel et bien un organisme étatique qui verse un taux plus ou moins intéressant pour la conception d'un film. Le FDATIC, souvent critiqué, en revient à se faire - malheureusement - une représentation toute personnelle d'un cinéma algérien. Ce déséquilibre crée souvent une tension au sein même de la nouvelle génération qui peut l'orienter vers de tristes tensions voire de sombres jalousies. Que cela soit en Algérie (pour certains réalisateurs inconnus du FDATIC donc du ministère de la culture), en France, Suisse, au Québec, en Angleterre, Tahiti et même la Russie, chacun(e)s avec sa sensibilité sur la question, retroussent leurs manches et font des films coûte que coûte. Un acte de résistance en somme !

De tous les films algériens présents au Fespaco, ceux de Fatma-Zohra Zamoum, Mohamed Lakhdar Tati, Yanis Koussim et d'Abdenour Zahzah traduisent cette résistances par de belles codifications cinématographiques. Que cela soit autour de la mémoire et des traces perdues (Dans le silence, je sens rouler la Terre), de la présence lumineuse et obligatoire des femmes (Khouya) ou des soldats de la culture (Garagouz et Sembène Ousmane, le docker noir), ces films dépoussièrent le cadre tout en se servant de l'essence cinématographique.
Leurs formations sont de l'ordre de la cinéphilie, de la littérature, et de la culture sous toutes ses formes. Des autodidactes de la pellicule qui de workshop en atelier (souvent localisés à l'étranger) dépeignent un microcosme aux moeurs contradictoires sans pour autant attaquer frontalement la guerre civile des années 90. Ces horreurs, ils les portent en eux, se déposant ostensiblement, par petites touches et avec finesse dans leurs intentions. Ce sont leurs images qui donnent un véritable état des lieux désolant de la situation algérienne, de la torpeur et des frustrations sexuelles que subissent la jeunesse et surtout de la lente dégénérescence d'un espoir collectif.

Et ce n'est surtout pas avec La Place de Dahmane Ouzid, comédie faussement musicale, que l'on retrouvera ces questionnements.
Pensé comme un feuilleton, Ouzid tire vers lui la couverture sociale qui délimite la jeunesse mais en utilisant un traitement des plus désuets. Installant des bouts d'histoires, Ouzid entremêle une pléthore de thématiques (plus des redites qu'autre chose) et offre finalement une vision archaïque et sertie de clichés d'une jeunesse insouciante, rattrapée par le matérialisme et autres futilités. Loin d'être le porte-parole de tous ce microcosme, Ouzid a cette fâcheuse tendance à rejeter tout questionnement autour du genre musical. Chez lui, cela ne devient qu'une pure illustration où il serait bon ton de placer quelques danseurs et chanteurs sans se soucier que le genre peut être calqué sur de véritables intentions cinématographiques. Finalement, le jeune chez Ouzid n'a pas besoin de penser, l'auteur s'en charge à sa place !

Deux cas particuliers

Concernant Le Voyage à Alger d'Abdelkrim Bahloul et des deux films de Bouchareb (Hors-la-loi et London river), il peut y avoir un malentendu qu'il faut impérativement redéfinir. Bouchareb n'a jamais été au meilleur de sa forme que lorsqu'il (re)cherchait le chainon manquant entre le pays qui l'a vu naître (la France) et celui de ses Ancêtres (l'Algérie). Depuis Indigènes et maintenant avec Hors-la-loi, c'est tout un retour aux grosses coproductions algériennes des années 70 qui donnaient le prétexte aux décideurs fennecs d'asseoir leur suprématie visuelle et idéologique dans la maison cinéma.

Bouchareb a su profiter de cette poignée de main pour se réapproprier l'histoire de ses ancêtres et la dilater sous forme d'entreprises lyriques. En cela, il n'apporte pas une lecture personnelle des causes à effets de la société algérienne actuelle et finit par se retrouver hors-jeu. Bahloul, c'est aussi une autre histoire. Ses premiers films pouvaient être perçus comme le reflet d'une existence lunaire où l'individu (parfois d'origine algérienne voire français de souche) recherchait une forme d'épanouissement intellectuelle. La filmographie de Bahloul est à (re)découvrir d'urgence car elle met en exergue une vision aussi belle et fine que pouvait apporter un Mehdi Charef sur les dépravés, les romantiques pourris par la vie, les désillusions et tous ceux rejetés
dans la case de l'Etranger.

Avec Le Voyage à Alger, Bahloul inquiète plus qu'il ne dérange, car l'idéologie dont il habillait par exemple son précédent film (critique du totalitarisme) est étrangement absente de cette chronique tirée de sa propre histoire. Bahloul est un cas à part dans la coproduction algérienne et tente de mettre à jour certains pans de son adolescence voire de son enfance avec une Algérie qu'il quitta il y a de très longues décennies. Ses deux derniers films (Le brillant Soleil assassiné et Le Voyage à Alger) ne reflètent pas cette vitalité citée ci-dessous car elle n'a pas la même histoire politique et sociologique que chez Koussim ou autre Zahzah. Or, elle présente avec beaucoup de profondeur, et a contrario de Bouchareb, une introduction effrayante, celle qui plongea le pays dans les terribles années 90.

Samir Ardjoum
Algérie

Version de l'article paru sur papier le Samedi 05 mars 2011, Bulletin Africiné n°17 - Ouagadougou (Burkina Faso), FESPACO 2011 - n°6, pp. 1 & 4.
Ce bulletin est publié par la Fédération Africaine de la Critique
Cinématographique (FACC) avec cette année le soutien du FESPACO, du ministère français des Affaires étrangères et d'Africalia.
Il est rédigé par des membres de la FACC présents au Fespaco 2011, venant de 9 pays d'Afrique.

Films liés
Artistes liés
Structures liées
événements liés