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111, Rue de la Poste, de Sara Abidi
Une tour de Babylone féminine
critique
rédigé par Mahmoud Jemni
publié le 27/08/2011
Mahmoud Jemni
Mahmoud Jemni
Sarra Abidi, réalisatrice
Sarra Abidi, réalisatrice

Après Le rendez-vous et le cérébral Le Dernier Wagon (compétition officielle des JCC 2010, section nationale) cette jeune monteuse et réalisatrice nous offre un documentaire intitulé 111, Rue de la Poste.

Un générique peu chargé accompagne le défilement d'un ascenseur. Alors qu'une locataire quitte l'ascenseur, le documentaire démarre avec le bruit d'une clef. De dos, ce personnage s'introduit dans sa chambre et nous invite, spectateurs, dans son espace matériel voire dans son intimité.
Toute la structure de ce documentaire est basée sur l'investigation de petits univers féminins dans une résidence étudiante. Chacun de ces mondes est différent des autres ; en causes : des références culturelles différentes.
Les occupantes de ce foyer proviennent de différents pays. Bien qu'elles partagent presque le même mode de vie, chacune d'elles nous témoigne de son propre trajectoire.

Des récits variés

Il y a dans ce moyen métrage autant de protagonistes que de vies, d'espoirs voire de petites déceptions. Cette diversité constitue le thème central de ce documentaire. C'est une exploration, à la fois matérielle et psychologique d'un monde "clos", celui d'une tranche d'âge se préparant au passage à la vie sociale.
Ce voyage commence par : "Bienvenue dans cette petite chambre, dans ce petit chez moi" : une invitation redondante mais avec divers styles. L'essence de cette élocution constitue le thème majeur du documentaire de Sarra Abidi. À l'instar d'une visite guidée, la réalisatrice, par le biais de ses personnages, nous fait découvrir un monde féminin estudiantin. Elle nous met face à l'Autre pour le côtoyer 52mn durant.

Exigüité spatiale vs largesse de regard

Les chambres se caractérisent par leur étroitesse et se distinguent par leur décor. Cette étroitesse n'a pas empêché chaque étudiante de marquer son territoire. Les intérieurs en disent long sur la personnalité des locatrices. L'une aime les bébés, l'autre a la nostalgie de la mer qui a marqué son enfance et bercé son imaginaire. Une troisième est ordonnée tandis que la chambre d'une autre relate une désorganisation manifeste. Il y a tant de goûts et de couleurs. Tout émane de l'éducation de l'une et l'autre et reflète l'intérieur de chaque occupante du 111 Rue de la poste (Bruxelles).

Avec une large focale, Sarra Abidi nous livre une échelle de plans serrés conjuguant demi- ensembles et gros plans, sans aucune profondeur de champ. À l'instar de ses personnages, sa caméra bouge difficilement. De légers mouvements, souvent des panneaux latéraux, presque aucun zoom. Il n'y en pas besoin, car aucune distance ne sépare l'objectif du personnage.
L'absence de distance prouve que l'acte de filmer relève de l'introspection. S'agit-il réellement de l'introspection de la réalisatrice au travers de ces jeunes filles ? Sarra Abidi est à la fois dedans et dehors. Elle est derrière la caméra, elle est, aussi, l'un des personnages de son film.

Ce documentaire retrace la vie de ces jeunes femmes de 2005 à 2008, dans la capitale belge. Tout est au niveau de soi. C'est sa propre vie qui se confond à celles de ses copines. La caméra joue le rôle d'un miroir dans lequel elles se projettent toutes, comme s'il s'agit d'une confession collective. Cette confession pleine de philosophie prouve que ces jeunes sont mures eu égard à un apprentissage de la vie et à des aspirations louables et édifiantes.
Le fait d'accentuer l'idée d'exigüité et du huis clos s'accompagne d'une réflexion sur la vie et le rapport à l'Autre, qu'il appartienne à la même sphère et la même lignée ou à une culture différente. Ce rapport à l'Autre permet, entre autres, à ces jeunes femmes de "se construire dès maintenant et être en projet" comme dit l'une d'elles. Elles portent presque toutes un regard philosophique sur la vie. C'est là pour elles une manière d'échapper à cet huis clos par la pensée. Il s'agit alors de partir pour ne pas étouffer et s'épanouir en conséquence disait une jeune Algérienne. Pour ne pas se sentir cloitrée, elle a décoré sa chambre avec de grands posters de déserts offrant au regard une vue illimitée d'un paysage sculpté par la Nature. Ce contact et cette vie partagée nous renseignent sur l'attitude existentialiste et la personnalité de ces occupantes du foyer 111 Rue de la Poste à Bruxelles. Qu'il s'agisse d'un décès d'un être cher (parent et/ou animal), d'un amour trahi et de parents divorcés. Tout est dit avec des propos philosophiques qui ne cachent point l'amertume ou la déception mais sans tomber dans la soumission.

Le dehors et le dedans

Tout se trame à l'enceinte des chambres. Un dedans selon le goût de la maitresse du lieu mais un dehors qu'on ne perçoit que rarement, au travers les vitres des fenêtres. Des plans statiques de buildings de Bruxelles, de sa gare centrale, et d'une Cathédrale. Une seule fois, l'une des filles a franchi son balcon pour aller sur le toit. Aucun autre plan extérieur dans lequel se meut l'une des protagonistes. Des extérieurs sans vie et sans bruit. La bande son n'en reflète quasi rien. Un dehors sans vie contrairement au monde des filles. Il est plein d'histoires et d'espoir. Des histoires racontées de moult façons et écoutées avec intérêt. Les habitantes de cette Tour, contrairement à ceux de Babylone ne tombent pas dans le cafouillage et le non communication. Elles s'écoutent mutuellement pour faire preuve de solidarité. Le huis clos en tant qu'espace nous rend plus sensible aux espoirs de ces jeunes femmes. Sarra Abidi a toujours su nous faire partager ce monde féminin comme en attestent ces deux courts métrages de fiction " Le Rendez-vous" et " Le Dernier Wagon". De la sincérité de dire et de porter à l'écran quel que soit le genre. Cette jeune réalisatrice, porteuse d'un autre projet, a un talent d'écriture et un sens du montage. Ses futures œuvres confirmeront ce jugement.

Mahmoud JEMNI

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