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Laïcité, inch'Allah !
Soif de liberté en Tunisie
critique
rédigé par Michel Amarger
publié le 17/09/2011

LM Documentaire de Nadia El Fani, France / Tunisie, 2011
Sortie France : 21 septembre 2011

La révolution tunisienne, survenue en janvier 2011, bouleverse les images convenues du pays. Le sursaut populaire qui déferle change la donne du cinéma en permettant de nouvelles visions. Images volées au portables, séquences jetées sur le net accompagnent la réorganisation des milieux du cinéma tunisien. Cette effervescence gagne logiquement le travail de Nadia El Fani et se lit frontalement dans Laïcité, inch'Allah !, 2011, un documentaire subjectif, complété à chaud pendant l'occupation de la Kasbah où elle participe aux débats.
"Les gens spontanément venaient me parler", explique la réalisatrice. "Soudain je découvrais les miens comme ils me découvraient… Avec un immense besoin d'échange ; cette parole qui venait panser les plaies d'une dictature subie trop longtemps solitairement, car nous étions tous devenus paranoïaques !" Sa caméra devient le catalyseur des forces qui s'unissent ou s'entrechoquent dans la société tunisienne révolutionnée. Elle offre un espace de débat, tendu par l'inquiétude, le souci de rester laïque. Ce qui lui vaut d'obtenir le Prix International de la Laïcité 2011.



Connue pour son franc-parler, son engagement de femme combative, Nadia El Fani revendique par son cinéma, sa double culture franco-tunisienne. Née à Paris d'un père tunisien, elle se forme comme assistante sur des tournages en Tunisie entre 1983 et 1990. Puis elle entreprend des films indépendants entre les deux rives de la Méditerranée.
Après des courtes fictions (Fifty-Fifty mon amour, 1992), des petits documentaires, elle signe un long-métrage, Bedwin Hacker, 2002, qui est une des premières fictions tunisiennes tournées en numérique. Le titre d'une petite histoire, Unissez-vous, il n'est jamais trop tard !, inscrite dans le film collectif Paris, la métisse, 2005, révèle son goût de la lutte sociale.
Mais le documentaire d'investigation personnelle lui permet plus de liberté et d'efficacité. Ouled Lenine, 2008, articulé sur le portrait de son père, ancien responsable du Parti Communiste Tunisien, est un moyen de mesurer les enjeux et les luttes après l'indépendance.




L'introspection de l'identité tunisienne doit être poursuivi par un documentaire, La Désobéissance, en 2010. "Filmer notre quotidien pendant le mois de Ramadan était pour moi la meilleure façon d'illustrer l'emprise totale de la religion sur la société", explique Nadia El Fani, inquiète de la montée des islamistes, étouffés par le pouvoir, mais dont les valeurs régissent la société. "Quand le religieux envahit l'espace public au point de condamner l'athéisme à se cantonner au seul domaine privé, la liberté du citoyen n'est pas respectée et la perspective du développement n'est qu'en leurre. C'est pour lutter contre ce danger qu'il m'est apparu impératif de dire que nous existions", déclare-t-elle, défendant sa présence de femme athée dans un premier montage qui constitue le cœur du film.
Elle revient à Tunis au début 2011, et assiste à la chute du président. Elle capte le désir de s'affranchir du pouvoir, de revendiquer la liberté religieuse, les espérances plurielles mais aussi la poussée des islamistes. Ces scènes encadrent le film intitulé Ni Allah, ni maître, devenu ensuite Laïcité, inch'Allah ! pour calmer les polémiques.


"La question de la laïcité s'est imposé comme question centrale pour le futur de notre pays", observe la cinéaste. "Déjà les islamistes tentaient de récupérer ce qu'ils n'avaient pas vu venir : la Révolution". Réaliser participe alors directement à sa lutte dans une Tunisie en ébullition. Elle intervient pour provoquer les réactions, débusquer les contradictions, souvent sans ménagement pour les pratiquants, avide de s'"'impliquer politiquement dans ce débat tout juste naissant au Maghreb, de la possible existence d'un Islam moderne".
Ses propos revendiquent sa liberté, pointent la question identitaire en jeu dans la Tunisie. "Elle est, d'une certaine manière quasi obsessionnelle, accompagnée d'une volonté farouche de contrer les clichés, ou même de les ignorer pour dessiner, à travers mes images, le paysage d'un monde arabe ancré malgré tout dans une modernité qu'on se refuse à lui reconnaître", estime Nadia El Fani. Laïcité, inch'Allah ! secoue ses racines méditerranéennes pour extraire le suc d'une émancipation à défendre.

Vu par Michel AMARGER (Afrimages / RFI / Médias France)

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