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Sur la planche
La nouvelle vague du cinéma marocain
critique
rédigé par Michel Amarger
publié le 30/01/2012
Michel Amarger
Michel Amarger

LM fiction de Leïla Kilani, Maroc / France / Allemagne, 2011
Sortie France : 1 février 2012

Le souffle qui anime le cinéma au Maroc se confirme. Les auteurs qui s'activent sur le devant de la scène depuis les années 2000 font bouger les lignes. C'est le cas de Leïla Kilani qui s'oriente vers le documentaire et s'illustre avec Tanger, le rêve des brûleurs, 2002, portrait de proximité des jeunes prêts à tout pour gagner l'Europe. Son premier long-métrage, Nos lieux interdits, 2008, éclaire les zones obscures du règne de Hassan II, en suivant les démarches de l'Instance Equité et Réconciliation qui réhabilite la mémoire des anciens prisonniers politiques. L'attention de la réalisatrice pour capter des moments de vérité édifiants, son aptitude à rythmer les discours annoncent son orientation vers la fiction. Elle se jette à l'eau avec fougue en signant Sur la planche, 2011, une coproduction pilotée de France avec le concours de l'Allemagne et de son pays d'origine.



L'atmosphère de Tanger vibre tout au long du film. Un prologue heurté où des jeunes filles sont embarquées par la police, de nuit, est zébré de lumières secouées, de regards de défi. L'histoire s'esquisse alors comme un long flash-back qui précède cette scène elliptique. Leïla Kilani jette sur l'écran les gestes nerveux de deux amies qui travaillent à décortiquer les crevettes. Des gestes automatiques pour un rendement maximal. L'odeur qui colle à la peau est évacuée dès que possible. Quand les deux filles sont dehors, elles se lavent, se parfument et mettent des habits branchés. Les soirées à traîner, à se dépenser, à rêver d'autre chose se succèdent comme une fuite. Au détour d'un verre, les "crevettes" rencontrent deux autres filles qui travaillent aux "textiles". C'est un autre univers, plus prisé et plus chic de la zone portuaire. Les "crevettes" font semblant d'y travailler aussi. La bande improvisée se soude pour tenter de plumer des hommes riches dans une course à l'argent impulsive. Mais les mauvaises rencontres tournent mal.

Les rêves de partir s'écrasent contre les résistances du réel et la dureté de Tanger. En filmant la ville comme un carrefour mouvant, porte de sortie vers l'ailleurs mais espace verrouillé par des grilles, Leïla Kilani se met à la température ambiante. La chaleur des nuits colle à la peau et fait briller celle des quatre héroïnes. Ce sont elles qui sont le moteur du film. Leurs pulsions, leurs impulsions, leurs désirs de transgression impérieux poussent à toucher les limites jusqu'à s'y enfermer. L'obsession de bouger à tout prix est littéralement incarnée par le quatuor des actrices débutantes que Leïla Kilani a soigneusement sélectionnées et dirigées. Elles se lancent dans l'image à corps perdu, bousculées par la caméra qui les cherche, qui les suit, les caresse, les heurte.

Le mouvement incessant qui agite Sur la planche est la collusion d'une caméra fiévreusement portée avec le jeu haletant des comédiennes. Elles emportent les élans de la jeunesse marocaine, avide de bouger pour échapper à l'immobilisme. Mais ces quatre filles éperdues manifestent aussi la fougue des femmes du Maroc avant que la société les encercle, les réprime, les formate. L'engagement de Leïla Kilani trouve alors un relais en bousculant les codes du cinéma marocain. Elle cultive en surimpression le réalisme, montrant l'âpreté du travail dans la zone portuaire, les petits trafics, avec une stylisation de l'image et du récit qui chavire. Le spectateur peut alors glisser. Sur la planche est une histoire qui dérape et s'ancre dans le renouveau des images marocaines d'aujourd'hui.

Vu par Michel AMARGER
(Afrimages / RFI / Médias France)

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