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Normal !
Jeux de miroirs pour jeunes Algériens
critique
rédigé par Michel Amarger
publié le 29/03/2012

LM Fiction de Merzak Allouache, Algérie / France, 2011
Sortie France : 21 mars 2012

Parmi 19 films sortis en France la même semaine, la diffusion de Normal !, la nouvelle fiction de Merzak Allouache, reste discrète. Distribuée dans trois salles nationales dont deux à Paris, cette histoire algérienne risque de ne pas provoquer de débats mouvementés comme cela a été le cas lors des projections en Algérie. Il est vrai que Normal ! semble renvoyer une image âpre des questions qui agitent les jeunes Algériens, s'engouffrant sans ménagement dans l'écho des transformations qui parcourent le monde arabe. C'est peut-être cette acuité qui lui a valu le prix du Meilleur long-métrage arabe au Festival de Doha Tribeca, au Qatar, en 2011, indiquant que Merzak Allouache est en ce moment, plus connecté vers l'Orient que vers la France qui est l'une de ses terres de coproduction favorite.



Normal ! se fixe à Alger, la ville de naissance d'Allouache. Il en a exploré les artères de Omar Gatlato, 1976, à Bab el Oued City, 1994, tout en s'imposant comme auteur dramatique depuis L'homme qui regardait les fenêtres, 1982, ou plus comique avec Salut Cousin !, 1996, tourné en France. Il balaie les genres en signant des documentaires sur la situation de l'Algérie tels L'après octobre, 1989, Jours tranquilles en Kabylie, 1994. En enchaînant les sujets de télévision et les productions pour grand écran, le cinéaste alterne réussites et films moins inspirés, se distinguant par sa maîtrise technique et l'agilité de sa démarche. Après avoir construit un récit classique pour Harragas, 2009, il bouscule les codes de cinéma en suivant les remous de la jeunesse dans Normal !, 2011.

Le titre désigne une pièce de théâtre pour laquelle on refuse des subventions. Le comédien qui l'a écrit accepte que son ami réalisateur en fasse un film. Celui-ci raconte les péripéties d'un cinéaste en butte au refus de la censure. Il fait le peintre pour vivre et sa copine envisage de repartir vivre à Paris. Elle se laisse embarquer par deux hommes en voiture et prend ses distances avant un bain régénérateur dans la baie d'Alger. L'histoire située pendant le Festival panafricain d'Alger de 2009, avec ses parades africaines, reste inachevée deux ans. Lorsque le film de Merzak Allouache commence, le réalisateur entreprend de montrer un montage à ses acteurs pour solliciter leur concours et tourner une fin en prise avec l'actualité. Autour de l'appartement où il vit avec sa compagne scénariste, les rues d'Alger bruissent des marches de contestations pacifiques organisées chaque samedi, sévèrement réprimées par le régime.
Tandis que la femme se prépare pour celle du lendemain, confectionnant une banderole qui revendique : " Algérie libre et démocratique ", lui préfère contester en achevant son film, prévoyant de cadrer ses acteurs parmi les manifestants. La projection dans le salon est l'occasion de discuter sur l'opportunité de l'engagement, du sens du cinéma, des options de vie. En visionnant les scènes qui montrent la saleté des rues, l'environnement hostile, ils voient que le sujet contre la censure est devenu une manière de capter les désillusions des Algériens. Les échanges s'animent autour de baisers vécus à l'écran, de l'image à véhiculer du pays, de l'envahissement des valeurs islamiques, de la répression forcenée de l'État aux mouvements des jeunes, des fonctionnaires aussi bien que des Kabyles.

L'axe du film est l'appartement du couple de réalisateurs où la projection suscite les débats. Mais on y voit aussi les scènes de la fiction située pendant le Panaf 2009, diffusées en dvd, et des échappées sur les terrasses d'Alger, révélant la beauté du site et l'état dégradé de la Casbah. Le bal des hélicoptères surveillant la ville à la veille de la marche pacifique, contribue à instaurer de la tension. Allouache culbute ses scènes dans un montage parfois rude, épousant le bouillonnement de sentiments des personnages. Ils revendiquent surtout le droit à l'expression, prétendent s'embrasser naturellement, vivre sans rites imposés, boire librement. Allouache dévoile les cases du bord de mer où les couples se cachent pour s'aimer, épingle la censure exercée sur les artistes, dénonce les dépenses du Panaf 2009, resté un événement surfait.
Les scènes prises à cette occasion ont été suivies d'un tournage en 2011, que les évolutions des printemps arabes ont orienté. Allouache a lancé un argument de fiction, installé des situations pour saisir les réactions des acteurs de manière documentaire. Leur conviction porte le film avec une fraîcheur communicative, parfois contrariée par l'ambition du cinéaste de mêler les frémissements d'Alger avec les discours soutenus dans le salon. Le film semble alors pris de convulsion entre le fatalisme d'un constat amer et le désarroi d'issues introuvables. Sentiments confondus dans l'expression " normal ! " qui sert de titre au film et d'interjection désabusée à la jeunesse algérienne à vif.

Vu par Michel AMARGER
(Afrimages / RFI / Médias France / Africiné)

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