AFRICINE .org
Le leader mondial (cinémas africains & diaspora)
Actuellement recensés
24 373 films, 2 562 textes
Ajoutez vos infos
Le mariage d'Alex, J-M. Teno
Polygamie en bas
critique
rédigé par Jean-Marie Mollo Olinga
publié le 05/05/2012
Jean-Marie Mollo Olinga
Jean-Marie Mollo Olinga
Jean-Marie Teno, réalisateur
Jean-Marie Teno, réalisateur
Alex entouré de ses deux épouses : Elise & Joséphine (en blanc, à droite).
Alex entouré de ses deux épouses : Elise & Joséphine (en blanc, à droite).
Le mariage d'Alex, J-M. Teno
Le mariage d'Alex, J-M. Teno
Affiche américaine
Affiche américaine

Le 28 mars 2012, dans le cadre de son film club mensuel, l'Institut Goethe de Yaoundé a projeté "Le mariage d'Alex" de Jean-Marie Teno.

Lors de son dernier après-midi de vacances au village, Jean-Marie Teno est invité, avec sa caméra, à accompagner celui qu'il appelle son "voisin" à aller "prendre possession de sa femme". En réalité, c'est la deuxième, car Alex est déjà marié à Elise qui lui a donné six enfants. Trop peu pour ce notable et membre d'une société secrète, dont la responsabilité est de repeupler son village. Son objectif conséquent : avoir 20 gosses.

Pendant 45 minutes, Teno plonge le spectateur dans le cinéma vérité façon Dziga Vertov, où le réel d'une société machiste et traditionaliste est capté sans façon. Le réalisateur, manifestement agacé de se retrouver dans cet univers - au lieu de frère, n'appelle-t-il pas Alex son "voisin", un vocable qui n'a pas d'équivalent dans les langues camerounaises ? Lorsqu'il parle d'Alex qui va "prendre possession de sa femme", s'agit-il d'un objet ? -, se dit "perdu, ne sachant que filmer", ce d'autant que ce tournage est improvisé. Ce qui ne le dédouane guère des insuffisances techniques de son œuvre (photographie quelconque, usage de micro d'ambiance qui rend le son à peine audible par moments, etc.). Certes, Teno pratique ici du cinéma direct, où il se sert du "cinéma-œil" pour "prendre la vie sur le vif", mais il n'en est pas moins épris du désir de dire et surtout d'agir dans cet univers qui n'est plus tout à fait le sien (il n'y séjourne que de temps en temps), avec sa caméra pour seul intermédiaire.

Le mariage d'Alex donne alors à voir un réel présenté de manière logique et chronologique, grâce à une mise en scène servie par un montage cohérent. Jean-Marie Teno en profite pour dire son aversion vis-à-vis de la polygamie, du point de vue purement éditorial. Car les images ne suivent en rien ses propos. Démarche déroutante ? Peut-être. Manipulatrice ? Certainement. Tellement Teno veut agir sur le réel, mieux, sur la réalité de la polygamie, que son cinéma n'est plus vu comme cette aventure, cette exposition de la vie dont parlait Gilles Groulx dans Propos sur la scénarisation.

Car pour amener le spectateur à épouser son point de vue, Teno use et abuse, comme dans bon nombre de ses documentaires, de commentaires. Si bien que lorsqu'Elise se retrouve seule à seule avec sa belle-mère, Teno affirme catégoriquement que cette dernière lui donne des conseils pour accepter Joséphine, sa coépouse. Comment le sait-il, puisque lui-même prend de la distance par rapport à cette scène, qu'il filme avec la profondeur de champ ? Une prise de vue qui suggère l'incertitude, et où le réalisateur aurait pu utiliser le conditionnel. Manipulation. De toutes les façons, dans ce village, comme le rapporte Teno, l'opinion veut "quand un homme n'est pas polygame, c'est qu'il n'est pas marié", "quand un homme a une seule femme, il est en proposition de mariage ; quand il a deux femmes, il est fiancé ; quand il a trois femmes, il est marié".
Cela peut apparaître comme un drame pour certains, mais, Alex, lui, ne semble avoir aucune possibilité de modifier le cours de sa vie. Aucune ouverture ne semble s'offrir à lui, phagocyté qu'il est par la tradition. Combattre dans de telles conditions et dans ce milieu ne serait-il pas vain, tant Alex agit sous l'emprise d'instances, de forces supérieures, sortes de dieux qu'on pourrait nommer (par abus ?) traditions, mais qui le déterminent ? Les épouses, non plus, n'échappent d'ailleurs pas à cette domination morale et intellectuelle, qui montrent leur complicité en mangeant (bien que ce ne soit pas forcément de bon cœur) dans le même plat, où bien lorsque Joséphine rajuste la boucle d'oreille d'Elise. Et comme Antigone de Sophocle, leur mari, Alex, n'agit pas pour lui-même, mais pour préserver ou pour faire respecter les lois obsolètes de ses traditions. N'en déplaise à "l'éthique" de l'Eglise catholique, qui prescrit de n'épouser qu'une seule femme, comme le dénonce un ami d'Alex. Le débat, en perspective, reste ouvert.

Jean-Marie Mollo Olinga

Films liés
Artistes liés
Structures liées
événements liés