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Interview de Ridha Tlili
"L'œuvre n'est pas mon bébé ! Elle est mon visage."
critique
rédigé par Mohamed Nasser Sardi
publié le 29/05/2012
Ridha Tlili, réalisateur
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Revolution under 5' - Thawra ghir draj (2011)
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Jiha (2011)
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Teriague (2009)
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Bas bord (2009)
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Ayan Kan (2007)
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Ridha Tlili, vous avez entamé une réflexion sur le cinéma, surtout tunisien. Comment voyez-vous son présent ?

Les lois et la vision de l'administration, concernant le secteur cinématographique, sont dépassées. Cette administration n'arrive ni à suivre, ni à s'adapter au rythme de la nouvelle génération des cinéastes tunisiens. Une restructuration radicale doit se mettre en place. Elle doit tout englober, de l'octroi des subventions jusqu'à la distribution. Il faut créer d'autres fonds et des collèges spécifiques pour les différents genres cinématographiques, y compris le cinéma expérimental et d'essai ainsi que le film documentaire.
Une première garantie pour la liberté d'expression et de création doit être prise immédiatement ; transformer l'autorisation de tournage en un cahier de charges pour chaque type de tournage.

Concernant la distribution et en attendant la création de nouvelles salles, les chaînes de télévisions doivent être obligées de diffuser des œuvres tunisiennes ; et pourquoi ne pas établir un quota !

Vous préconisez tout un aspect structurel de la production et de la distribution, mais, qu'en est-il de l'aspect formel ?

Je suis pour un cinéma que j'appellerai "Personnel". C'est une approche différente du cinéma d'auteur ou du cinéma classique. Elle consiste en l'engagement du cinéaste comme auteur, mais, aussi, comme citoyen. Il doit mettre sa caméra, au sein de la rue, dans une relation d'interactivité avec la réalité et non comme quelqu'un qui subit cette réalité. Ceci garantit une certaine autonomie de sa vision des choses.
Ce concept est à ses premiers pas ; il n'est pas encore très élaboré. Je suis en train de l'explorer avec une cinéaste suisse d'origine iranienne, Ayten Mutlusaray.

Donc, contrairement, par exemple à la notion du cinéma élaborée lors des assises de 1968 où la relation entre "collectifs" (cinéastes, étudiant, ouvriers et agriculteurs) est fondamentale, vous prônez une relation individu (le cinéaste) / Collectivité ?

C'est le cinéaste qui donne sa vision des choses de la réalité. Le terme "personnel" implique que la vision du cinéaste ne s'appuie pas sur un cheminement ; de l'extérieur vers le film. Au contraire ! Elle part du for intérieur du cinéaste pour revenir vers lui-même ; ceci élimine toute objectivité. Ainsi, se crée une relation transparente avec le récepteur (spectateur) basée sur le respect. Le cinéaste ne présente pas au spectateur ce que ce dernier est supposé aimer voir, mais plutôt ce que le cinéaste voit et pense de la réalité. Ce qui fait du "cinéma personnel", non un concept établi, mais, plutôt, un cheminement allant de l'auteur vers lui-même, pour exposer, le plus honnêtement possible, ce "lui-même" au spectateur.

Est ce pour cette raison que vous voulez contrôlez vos films de bout-en-bout ?

La manière habituelle de faire des films s'apparente plus à un business qui s'appuie sur la présentation d'un produit d'attraction et de divertissement. L'image doit sortir de ce carcan divertissement / information. Elle doit pousser le spectateur à réfléchir et à s'interroger pour essayer de créer des nouveaux concepts qui lui sont propres. C'est une façon de synthétiser des antidotes contre la manipulation et des remparts qui permettent aux récepteurs de résister aux flots d'images qu'ils reçoivent continuellement.
C'est pour ces raisons que j'essaie de contrôler entièrement mes films (conception -production - distribution). Ainsi, je minimise les interférences externes dans une œuvre qui m'est interne.
Cela n'est pas une fermeture par rapport à l'extérieur ; c'est juste une façon de permettre non seulement que l'œuvre soit indépendante de "l'autre", mais, aussi, que je sois indépendant de cet autre et qu'il soit indépendant de moi. On dit souvent que l'œuvre se sépare de son créateur quant elle sort vers le public. Je n'y crois guère ! Je pense qu'elle lui reste à jamais collée à la peau. L'œuvre n'est pas un bébé qui se sépare de son géniteur à la naissance. Elle est son visage. Elle l'identifie.

Vous dites que c'est différent de la notion d' "auteurisme", mais, n'est-ce pas une façon de pousser le "cinéma d'auteur" vers ses extrêmes ?

En fait, le cinéma d'auteur a été cloitré dans un cadre qui fait qu'il se confond avec le "Moi" de l'auteur ; donc, il transmet cet "Ego" vers l'autre, qui le subit.
Le "cinéma personnel" est différent ; il projette l'image de cet autre, ainsi que ses problèmes, à travers le prisme de la subjectivité de l'auteur. Cette image est à la disponibilité de cet autre par le biais du rythme et du tempo du cinéaste, dans une interactivité continuelle ; donc, elle ne peut être définie dans un cadre précis et définitif car elle est dans une mouvance ininterrompue. Elle ne répond, de ce fait, qu'à un engagement personnel qui change d'un cinéaste à un autre, voire à l'intérieur d'un même cinéaste.
En réalité, "le cinéma personnel" se base sur un don de soi qui s'ouvre, en toute transparence, vers l'autre.

Qu'est-ce qui fait que ce concept voit le jour maintenant ?

Ce sont toutes les images apparues en Tunisie après le 17 décembre 2010 (immolation de Bouazizi à Sidi Bouzid) qui m'ont poussé à la réflexion. Ces images filmées avec des téléphones portables ou des petites caméras sont les déclencheurs du "cinéma personnel". Elles ont brisé toutes les façons classiques et organisées de faire des films. Chacun s'est approprié des événements réels et les a exprimés à travers le prisme de sa propre vision. Il et devenu, ainsi, acteur de cette réalité puisqu'il il était devenu engagé dans l'événement.
Sidi Bouzid est certainement le berceau de ce concept.

Votre engagement dans les activités culturelles de votre région de Sidi Bouzid (Festival de la révolution à Regueb, Association du documentaire, société de production, …), répond-il à cette manière d'agir ?


Ceci n'était pas prémédité. Les régions "oubliées" de la Tunisie (Gafsa, Sidi Bouzid, Kasserine, Jandouba, …) possèdent des grandes richesses et des grands atouts culturels qui n'ont été presque jamais abordés. L'histoire de la Tunisie a été écrite sur mesure pour des intervenants qui sont originaires de régions bien précises, surtout sur le littoral.
Actuellement, ces régions "oubliées" veulent produire leurs propres images pour ne pas subir ce qui est arrivé à leurs aïeux comme marginalisation et omission.
Ceux qui appartiennent à ces régions périphériques, instaurent d'eux même la décentralisation, sans attendre qu'elle soit initiée par le centre (Tunis). Ils veulent faire de l'activité culturelle un secteur productif, capable d'améliorer la vie des habitants de l'intérieur du pays. La culture, dans sa conception et dans sa diffusion, doit sortir des sphères des initiés et des privilégiés pour se propager à l'intérieur de la masse populaire. Le Festival de la révolution de Regueb (ville près de Sidi Bouzid) va dans ce sens ; il a impliqué toute une ville dans la conception, le financement, l'organisation, la production et la réception de cette production culturelle (Cinéma, Théâtre, Littérature, Arts plastique, Musique).
Ainsi, le concept "cinéma personnel" est appliqué effectivement à l'intérieur d'un concept plus large ; "la création culturelle personnelle".

Propos recueillis par Naceur SARDI

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