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Le cinéma aujourd'hui, quels reflets du monde ?
Festival de Cannes 2012
critique
rédigé par Charles Ayetan
publié le 15/07/2012

Le cinéma encore appelé le "septième art" est le reflet du monde, dit-on. En effet, cet art plus que centenaire se classe aujourd'hui parmi les plus grands événements culturels et artistiques du monde. C'est ainsi que le Festival international du film de Cannes est devenu l'événement artistique le plus médiatisé au monde. Partant de cette réalité, on peut alors s'interroger sur les reflets du monde que nous pouvons percevoir à travers la sélection d'un festival de l'envergure de Cannes. C'est à cet essai périlleux que les mots qui vont suivre veulent s'aventurer. Percevoir quelques reflets du monde à travers l'actualité, le quotidien, les mœurs, ou encore le prisme de la personnalité des auteurs des films. Quitte à vous convier à un rôle au cinéma à votre volonté, rythme et mesure. Etes-vous prêt ? Si oui, alors : "Silence…ça tourne".

Ce n'est plus un secret pour personne. La Palme d'or du 65ème Festival international du film de Cannes qui s'est tenu du 16 au 27 mai dernier a été décernée au film AMOUR (LOVE) du réalisateur autrichien Michael Haneke, le "grand habitué de la Croisette". Avant Amour, ce réalisateur a en effet déjà obtenu au Festival de Cannes, le Grand Prix du jury pour LA PIANISTE (2001), le Prix de la mise en scène pour CACHÉ (2006) et la Palme d'or pour LE RUBANC BLANC (2009). À travers AMOUR, sa dernière palme d'or, Michael Haneke aborde la question de la fin de vie de personnes âgées, avec en trame de fond l'amour conjugal à rude épreuve entre la maladie et la vieillesse. Le choix du film AMOUR pour la Palme d'or 2012 n'a pas fait effet de surprise pour nombre des milliers de festivaliers qui ont vu les 22 films de la compétition officielle. Mais il faut noter que nombre de films en compétition ont séduit les jurés officiels, à l'instar de REALITY réalisé par Matteo Garrone lauréat du Grand Prix Cannes 2012 ; POST TENEBRAS LUX du réalisateur Carlos Reygadas lauréat du Prix de la mise en scène ; THE ANGELS' SHARE (LA PART DES ANGES) de Ken Loach, Prix du Jury.

D'autre part, le Prix d'interprétation masculine a été remporté par Mads Mikkelsen dans JAGTEN (LA CHASSE) réalisé par Thomas Vinterberg, tandis que le Prix d'interprétation féminine est allé à Cristina Flutur & Cosmina Stratan dans DUPÃ DEALURI (AU-DELÀ DES COLLINES) réalisé par Cristian Mungiu. Ce dernier film a également reçu le Prix du scénario.
Hors palmarès, bien d'autres films ont imprimé leurs rythmes à la fête du cinéma mondial et nourri les débats sur la Croisette à l'instar des films DE ROUILLE ET D'OS réalisé par Jacques Audiard ou encore SUR LA ROUTE (ON THE ROAD) réalisé par Walter Salles.

Le cinéma d'auteur entre performance et offenses

La sélection Cannes 2012 aura été hautement marquée par une forte affirmation du cinéma d'auteur, par le nombre de films d'auteur présentés mais aussi et surtout par une volonté d'affirmation personnelle poussée à l'extrême. La sélection officielle en donne un reflet incontestable. Un cinéma d'auteur extrémiste, provocateur, voire offensant vis-à-vis du public pour certains films, du moins sur le plan moral. Quel Africain ne serait pas choqué par la scène offensante d'un club d'échangistes, un lieu de rencontre où des personnes, voire des conjoints se rencontrent pour s'échanger leurs partenaires aux fins de jouissances perverses. De POST TENEBRAS LUX, c'est l'image négative qui reste gravée dans la mémoire d'un néophyte de Cannes. C'est pourtant là, un reflet du monde. En tout cas, le réalisateur de ce film d'auteur, Carlos Reygadas, aura réussi à attirer l'attention de nombreux cinéphiles par son style, parfois lourd, parfois surréaliste, à travers des scènes ou des images choquantes ou mystérieuses.
C'est l'exemple du symbole du diable visiteur qui apparaît et disparaît, comme dans un film de science fiction ou encore d'un cadre flou présent tout au long de ce film de 120 minutes.
Dans THE PAPERBOY, l'Américain Lee Daniels s'affirme par une claque au spectateur à travers une scène de jouissance sexuelle sans contact physique entre un prisonnier et la femme qui en est tombée amoureuse, en présence de témoins soucieux censés faire la lumière sur un meurtre. Quoique choquante et sans doute inédite, cette scène qui garde sa pudicité, a eu le mérité de faire sourire et rire aux éclats nombre de spectateurs.

Par ailleurs, dans leur quête d'une passerelle entre le cinéma et le théâtre, des réalisateurs comme Alain Resnais dans Vous n'avez encore rien vu ou Leos Carax dans HOLY MOTORS n'auront pas moins marqué leur passage sur la Croisette cette année. En effet, Vous n'avez encore rien vu (France, 115 mn) est une adaptation de la pièce Eurydice de Jean Anouilh. Dans ce drame, Alain Resnais met en scène Eurydice, une comédienne de théâtre qui rencontre Orphée, un violoniste, à travers un film original qui fait cohabiter deux arts : le cinéma et le théâtre.
La recherche d'une passerelle entre le cinéma et le théâtre a été un défi de longue date pour Alain Resnais. On le retrouve déjà en 1993 avec SMOKING/NO SMOKING - et pour bien d'autres réalisateurs à l'instar de Jean Cocteau dans le film ORPHÉE (France, 95 mn) sorti déjà en 1950 et plus récemment de Mama Keïta dans son film LE SOURIRE DU SERPENT (France/Guinée, 90mn).

Reflets, miroir du "moi" cinéaste

Cannes 2012 aura été sans doute l'affiche d'un "cinéma d'auteur" reflet ou miroir du "moi" des réalisateurs. Si nous questionnons par exemple le "moi" de Carlos Reygadas à travers les lourdes ténèbres des scènes à la limite de l'horreur dans POST TENEBRAS LUX, on comprend que l'auteur veuille attirer l'attention sur un style, le sien, son cinéma donc, tout en voulant montrer à sa façon la réalité d'un monde contemporain. D'après le critique Clément Cuyer, "reste que ce très sombre POST TENEBRAS LUX (on y voit plus les ténèbres que la lumière) porte la marque d'un cinéaste intransigeant, ne cédant jamais à d'autres modes que les siennes".
D'autre part, tout comme Carlos Reygadas dans POST TENEBRAS LUX, Leos Carax a donné libre court à son "moi" dans la conception et réalisation de HOLY MOTORS, et ce aussi bien à travers le style de réalisation que son scénario. D'ailleurs, ces deux réalisateurs réunissent bien les qualifications idoines du cinéma d'auteur. Le Mexicain Carlos Reygadas ayant en commun avec le Français Leos Carax (Alex Christophe Dupont, de son vrai nom) les qualités de réalisateur, scénariste et dialoguiste de leurs films présentés à Cannes cette année.
HOLY MOTORS déroule "de l'aube à la nuit" une vie cauchemardesque où le personnage principal Mr. Oscar, interprété par Denis Lavant, a vécu plusieurs vies à travers 9 rendez-vous et plusieurs personnages (PDG, meurtrier, vieillard, mendiante, créature monstrueuse, père de famille). Ce drame de 115 minutes n'avait pour secours que la lueur de deux belles digressions : la première, des inscriptions tombales du genre "visitez mon site web…", un clin d'œil funèbre futuriste, et la deuxième, le dialogue des limousines dans le garage spécialisé qui emporte le spectateur dans un sourire ou un rire fort dont l'écho résonne encore. Voilà une lueur qui a sans doute séduit les sept membres du Jury-Jeunes qui ont décerné le Prix de la Jeunesse à HOLY MOTORS de Léos Carax.
Le "moi" du cinéaste peut donc donner du dégout au spectateur, ce que plusieurs festivaliers ont confié sur la Croisette, mais il peut aussi transporter le public au septième ciel de cet art, à travers une imagination créative qui ajoute du sel au cinéma.
"En fait, le cinéma d'auteur a été cloitré dans un cadre qui fait qu'il se confond avec le "Moi" de l'auteur ; donc, il transmet cet "Ego" vers l'autre, qui le subit." Cette déclaration du réalisateur tunisien Ridha Tlili (Ayan Ken) dans une interview accordée à Mohamed Nasser Sardi renforce la force du "moi" du cinéaste, qui peut être aussi bien positif que négatif vis-à-vis de l'art ou du public.

Cannes, côté court métrage

Côté courts métrages, la Palme d'or courts métrages, est décerné au film SESSIZ-BE DENG (SILENCIEUX) réalisé par L. Rezan Yesilbas. Il faut signaler que la sélection de la compétition officielle courts métrages de Cannes 2012 comportait 10 films en provenance de Belgique, USA, Nouvelle Zélande, Allemagne, Syrie, Australie, Canada, Turquie, France et Porto Rico. Ces films sont à leur tour autant de reflets des pays et des mœurs qui en constituent leurs trames et leurs styles.

Reflets à travers des regards croisés

Au salon des ambassadeurs du palais des festivals, le 26 mai, deux regards croisés sur la sélection officielle de Cannes 2012. C'était la soirée palmarès des jurys Fipresci et œcuménique en présence du Délégué général du festival de Cannes, Thierry Frémaux.
Pour la compétition officielle, le Jury de la Fédération internationale de la presse cinématographique (Fipresci) composé de critiques de cinéma, a décerné son Prix au film ukrainien DANS LA BRUME (V TUMANE) réalisé par Sergei Loznitsa. C'est un drame de 130 mn qui, à travers une série de flash back, déroule l'histoire d'un résistant soupçonné de collaboration enlevé par ses camarades pour être tué dans la forêt. Un grand film qui a été également objet de débat au sein du Jury Œcuménique en ce qu'il propose un exemple de la probité morale d'un compagnon accusé à tort de trahison, mais qui fait montre d'un grand cœur envers ceux qui sont résolu à mettre fin à sa vie.
D'un autre côté, le film LES BÊTES DU SUD SAUVAGE (BEASTS OF THE SOUTHERN WILD) de la sélection Un Certain Regard a retenu l'attention aussi bien du Jury Fipresci que du Jury Œcuménique. Le premier lui a attribué son prix Un Certain Regard et le deuxième lui a décerné une mention spéciale. Pour le Jury Œcuménique, ce film est "un véritable hymne à la vie, à l'amour et à l'espérance", qui met en relief "les rôles fondamentaux de la liberté, des relations humaines et de la famille". Tourné en Louisiane, BEASTS OF THE SOUTHERN WILD est le titre original du premier long métrage du jeune américain de 29 ans, Benh Zeitlin. Également couronné Caméra d'or 2012 et Prix Regard Jeune à Cannes, ce film de 92 mn est merveilleusement porté par les talents d'une fillette de 6 ans, Quvenzhané Wallis dans le rôle principal de Hushpupy, mais aussi et surtout par les belles images de Ben Richardson, Directeur de la photographie.

Il faut noter que le Jury Fipresci a primé dans les sections parallèles, le film RENGAINE, premier long métrage de Rachid Djaïdani présenté dans la Quinzaine des Réalisateurs, qui tire à boulets rouges sur les considérations raciales en matière de mariage.
Le Prix du Jury œcuménique du 65ème Festival de Cannes a été décerné au film JAGTEN (LA CHASSE) du réalisateur danois Thomas Vinterberg. Ce film représente selon le Jury Œcuménique, "une partie de chasse où le gibier est un homme bon, en proie à la méfiance et à la manipulation d'une communauté déchirée, à la recherche du pardon et de l'harmonie perdue".

Quels reflets d'Afrique ?

Du côté de l'Afrique, le 65ème Festival de Cannes attire l'attention sur les combats pour le respect des Droits de l'Homme à travers le film APRÈS LA BATAILLE (BAAD EL MAWKEAA) du réalisateur égyptien Yousry Nasrallah, un film qui a accroché le public par l'actualité de son sujet. À travers cette fiction, Yousry Nasrallah dirige les projecteurs sur le combat pour la "Faim, Liberté, Dignité" en Egypte, événement qui a eu lieu à la place Tahrir, le 2 février 2011, dans la foulée du printemps arabe. Ce film est ainsi le reflet de l'actualité en Egypte où la 2ème élection présidentielle de son histoire s'est tenue les 23 et 24 mai, puis les 16 et 17 juin 2012. Proclamé vainqueur de cette élection le 24 juin, Mohamed Morsi a déclaré le 29 juin sur la place Tahrir que "le peuple est la source de la légitimité".
A noter également que le film LA PIROGUE de Moussa Touré (Sénégal, 1h27) traite d'une thématique actuelle, celle de l'immigration à tout prix. Le film LES CHEVAUX DE DIEU de Nabil Ayouch (Maroc, 1h55) ne reflète pas moins un visage du monde actuel quand il montre les conséquences de ce que le réalisateur appelle "Islam politique". Le Nigeria reste encore le lieu de réels drames sous forme d'attentats revendiqués par la secte Boko Haram.

Mais alors on peut se demander, quels effets ces reflets souvent négatifs de notre monde produisent sur nous et sur le cours de notre histoire. Quoi qu'il en soit, n'oublions pas qu'au-delà d'être un reflet de la réalité, le cinéma reste aussi un monde rêve, comme dans le film REALITY, de l'Italien Matteo Garrone, un long métrage merveilleusement porté par Aniello Arena.
Ken Loach vous invite à sortir quelque peu de ces reflets parfois cauchemardesques du monde à travers une belle comédie à l'anglaise intitulée LA PART DES ANGES qui a détendu plus d'un sur la Croisette et peut-être réveillé l'espoir agonisant chez certains. C'est l'histoire d'un groupe de jeunes "voyous", dont l'un réussit à s'offrir un avenir prometteur à partir d'un acte peu catholique qui peut bien nourrir le débat.

Charles Ayetan (Togo)

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