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Khouribga jauge le cinéma africain
15e Festival du Cinéma Africain de Khouribga (F.C.A.K)
critique
rédigé par Baba Diop
publié le 17/08/2012
Baba Diop (Africiné)
Baba Diop (Africiné)
Nour Eddine Saïl, Président de la Fondation du Festival
Nour Eddine Saïl, Président de la Fondation du Festival
Mouna Fettou, actrice
Mouna Fettou, actrice
Roger Gnoan M'Bala, réalisateur
Roger Gnoan M'Bala, réalisateur
Abderrahmane Sissako, réalisateur
Abderrahmane Sissako, réalisateur
Pierre Yaméogo, Prix Sembène Ousmane 2012
Pierre Yaméogo, Prix Sembène Ousmane 2012
Yonas Perou, Prix du second rôle masculin
Yonas Perou, Prix du second rôle masculin
Cheila LIMA, Prix de la Meilleure Actrice, avec Ciomara Morais
Cheila LIMA, Prix de la Meilleure Actrice, avec Ciomara Morais
Ciomara Morais, Prix de la Meilleure Actrice, avec Cheila Lima
Ciomara Morais, Prix de la Meilleure Actrice, avec Cheila Lima

Le Festival du Cinéma Africain de Khouribga (F.C.A.K) qui se déroule chaque année à Khouribga, ville phosphate (à 120 kms de Casablanca) adoucit l'image de la ville ouvrière. La 15e édition (du 30 juin au 7 juillet 2012) accueillait 12 films de 11 pays et célébrait deux importants réalisateurs (Abderrahmane Sissako de la Mauritanie et Roger Gnoan M'Bala de de la Côte d'Ivoire) et la comédienne marocaine Mouna Fettou. Le grand prix Ousmane Sembene est allé à "Bayiri, la patrie" du Burkinabé Pierre Yaméogo.



Le parvis du complexe culturel de la ville de Khouribga sur le boulevard Moulay Youssef a retrouvé son calme derrière le lourd portail en fer forgé. Il avait vu se bousculer une semaine durant quelques grandes figures des cinémas nationaux d'Afrique, des réalisateurs, des comédiens, des directeurs de Centres nationaux de la cinématographie, des journalistes et une population nourrie au biberon du ciné-club puisque, comme le laisse entendre Nour-Eddine Sail, président de la Fondation du Festival : "le festival de Khouribga avait vraiment démarré sur un profil cinéphilique et militant". Ce qu'une brève historique du festival confirme, puisque la première édition couronnait les activités du ciné-club local et se déroulait un mois de mars de l'an 1977. Mais il aura fallu attendre quelque cinq années pour convier à nouveau les festivaliers, avant que la manifestation ne devienne biennale et aujourd'hui annuelle soutenue par une Fondation. L'esprit du ciné-club n'a pas quitté, pour autant, le festival.

Khouribga a ceci de particulier. Ceux qui s'y rendent savent que rien ne viendra entraver leur boulimie de films et de cinéma tout court. Pas de soirées sablées au champagne, pas de nocturnes bacchanales ; à la place, des soirées de discussions pointues et questionnements sur différents aspects du cinéma, c'est ce que l'on appelle ici les débats de minuit qui se poursuivent au-delà de 2 heures du matin. Ce régime est appliqué à presque tous les festivaliers. L'alternative qui s'offre à ceux qui ont le sommeil discipliné est la chambre d'hôtel.

Le souci d'une relève dans le cinéma marocain trouve son application dans les ateliers d'écriture de scénario, de réalisation, de montage numérique, de direction de la photographie de plateau. Les ateliers animés par des professionnels de l'image dont Mama Keita (L'Absence) se déroulent dans la matinée.
Comme le soulignait si justement Damir Yaqouti en 2008 sur le site Maghrebarts, le festival "… est habité par les âmes des intellectuels, artistes et militants qui ont défendu et mis en œuvre sa philosophie. Même le regretté Ousmane Sembene, qui n'a jamais mis les pieds à Khouribga est fortement présent dans le référentiel du festival. …. Son portrait choisi pour l'occasion, apparait comme une icône spirituelle. Avec son regard orgueilleux derrière des lunettes noires et sa pipe, véritable cheminée évacuant les souffrances du cinéma africain, Ousmane Sembene semble veiller sur la continuité du festival dans un esprit culturellement revendicateur."

Le cru de cette 15e édition fait parti des meilleurs millésimes de l'histoire du festival avec une diversité et une exigence de qualité dans le choix des films. Il y avait la double présence du Maroc dans la sélection : Mort à Vendre de Faouzi Bensaïdi et Andalousie, mon amour de Mohamed Nadif.
Pour les autres films : le Congo Démocratique (ex Zaïre) est représenté par Viva Riva ! de Djo Tunda Wa Munga ; l'Egypte : La main de Qamar (Kaf el Qamar) de Khaled Youssef ; le Sénégal : Aujourd'hui (Tey) de Alain Gomis ; le Gabon : Le Collier du Makoko de Henri Joseph Koumba Bididi ; l'Angola : Tout va bien de Pocas Pascoal) ; l'Algérie : Combien tu m'aimes de Fatma Zohra Zamoum ; la Tunisie : Always Brando de Ridha Behi) ; le Burkina Faso : Bayiri, la patrie de Pierre Yaméogo) ; le Rwanda : Matière grise de Kivu Ruhorahosa et le Mali : Toiles d'araignée de Ibrahim Touré.

Khouribga 2012 ouvrait large l'éventail du cinéma africain tant sur le plan genre cinématographique, esthétique que thématique. Le Collier du Makoko fait revenir sur les plateaux de tournage Philippe Mory, le père du cinéma gabonais. Le film est à ranger dans la catégorie superproduction, tourné à Paris et en forêt équatoriale avec des lions ramenés d'Inde ainsi que d'un zoo français, outre des acteurs de premier plan : Hélène De Fougerolles, Eriq Ebouaney.
Le film prend prétexte du retour d'un collier sacré dérobé à l'Afrique pour faire converger trois retours au pays natal : celui de l'enfant gavroche éleveur de lion (Yonas Perou, prix du second rôle masculin), des lions et du collier. Un film d'aventure et de poursuite dans la jungle à la sauce Indiana Jones et se situant dans la lignée de "A la poursuite du Diamant vert" de Robert Zemeckis. Le tout sur un scénario de Robert Darène.

Lors de la première mondiale du film, l'année dernière à Cannes, le réalisateur Henri-Joseph Koumba, dans un entretien avec Caroline Pochon ne cachait pas ses références : "Dans un film comme celui-là, je suis un peu dans l'esprit du Mystère du sortilège de jade… J'ai été inspiré aussi par La flèche brisée, un western qui montrait que les Indiens ont une âme, ce ne sont pas que des bandits, ce sont des hommes avec qui on discute. Je me suis dit, en faisant ce film, que je tenterai de donner ce même plaisir de vie. La vérité est la diversité. Quand on prête oreille à l'autre, on finit par découvrir une facette de la vérité. C'est un peu moins La poursuite du diamant vert, mais à partir du moment où il y a l'aventure, la forêt, cette pêche-là, pourquoi pas, c'est un film que j'aime aussi."

Always Brando de Ridha Behi (Tunisie) de par son esthétique et sa volonté de décloisonner documentaire et fiction affiche son ambition d'un cinéma qui place la barre très haut. Point de départ d'un témoignage affectueux sur Marlon Brando monstre sacré du cinéma américain, malade et alité, Ridha Behi glisse sur le désastre que peut causer un type de cinéma peu respectueux des habitants et du sol où se déroule le tournage d'un film.
Le film met à nu la fragilité d'un jeune homme à qui son imaginaire joue un tour. Sa ressemblance avec Brando loin de lui ouvrir les portes de Hollywood le plongera dans un drame. Always Brando est un film élaboré dont l'écriture mélange style documentaire, chronique villageoise et film historique par les extraits de quelques films cultes incorporés dans le récit. Le travail de la chef monteuse Kahéna Attia (monteuse de Camp de Thiaroye de Ousmane Sembene) est d'une admirable exigence.

Quoi dire sur Viva Riva ! du congolais Djo Munga ? Sinon que c'est un film non destiné à voir en famille. Il accumule sexe, sang, alcool, argent, femme fatale, au rythme trépident des images. Dans le genre thriller, le film tient honorablement la route et prend le spectateur par la gorge et ne lui laisse pas un temps de répit. Le tout dans Kinshasa à qui le genre va comme un gant, lieu où l'argent devient très vite poison.

Les cinéastes du continent se dépouillent peu à peu de leur misogynie en portant au devant de l'écran des personnages féminins. Il y a dans la sélection trois films dans lesquels la femme tient le premier rôle. Bayiri, la patrie de Pierre Yaméogo qui, loin d'être un chef d'œuvre parce que filmé du seul point de vue du réalisateur et non du personnage central, reprend des scènes de camps de réfugiés devenues poncifs dans les reportages télévisés.
Le jury aura surtout primé les bons sentiments du réalisateur face au drame des burkinabés en fuite au moment de la guerre civile en Côte d'Ivoire dont le filmage a été la conduite du récit.

Toiles d'araignée de Ibrahim Traoré inspirée du roman hyponyme de Ibrahima Ly aborde avec pudeur la maltraitance dans les prisons, sur fond d'injustice sociale avec à la clé le mariage forcé et la brimade des intellectuels dans un régime militaire.

Matière grise du Rwandais Kivu Ruhorahosa se déroule en trois actes, là aussi sur toile de fond du génocide et la détermination d'une sœur à sortir son frère du trauma qui lui bouffe la cervelle.

Bien que n'ayant pas le premier rôle dans "Combien tu m'aimes … (Kedach Ethabni)" de Fatma Zohra Zomoun, la comédienne algéroise Louiza Habani marque de sa forte présence le film. Elle offre aux enfants du monde l'espoir de rêver à une grand-mère aussi attentionnée.

Il y avait de la bonne humeur avec "Andalousie, mon amour" de Mohamed Nadif qui dédramatise l'émigration.

Le Sénégal rentre de Khouribga avec le trophée du meilleur comédien (pour Saul Williams) dans le film "Aujourd'hui" de Alain Gomis.

Khouribga aura aussi permis aux directeurs de plusieurs centres et directions du cinéma africain de créer une plateforme d'échange et de concertation dénommée : Communauté des Cinématographies africaines (CCA) pour une meilleur harmonisation des politiques cinématographiques.

Le palmarès

Le palmarès complet de l'édition 2012 du Festival de Khouribga :

- Grand Prix Ousmane Sembène : "Bayiri, la patrie" de Pierre Yaméogo (Burkina Faso)

- Prix spécial du jury : "Matière grise" de Kivu Ruhorahosa (Rwanda)

- Prix du scénario : "Always Brando" de Ridha Behi (Tunisie)

- Prix de la meilleure réalisation : "Andalousie, mon amour" de Mohamed Nadif (Maroc)

- Prix du premier rôle féminin : Cheila Lima et Ciomara Morais dans "Tout va bien" de Pocas Pascoal (Angola)

- Prix du premier rôle masculin : Saul Williams dans "Aujourd'hui" d'Alain Gomis (France/Sénégal)

- Prix du meilleur second rôle féminin : Marlène Longange dans "Viva Riva !" de Djo Munga (Congo RDC)

- Prix du meilleur second rôle masculin : Yonas Pérou dans "Le collier du Makoko" de Henri-Joseph Koumba Bididi (Gabon).

Baba DIOP

article paru le dimanche 12 août 2012 dans l'hebdomadaire La Gazette (Dakar)
www.lagazette.sn/spip.php?article4026

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