Les feux du cinéma de l'Egypte, illustrés notamment par la présence des films de Salah Abou Seif ou Youssef Chahine au Festival de Cannes, sont relayés avec panache par le travail de Yousri Nasrallah. Révélé par Vols d'été (Sarikat Sayfeya) , 1987, à la Quinzaine des Réalisateurs, il est plébiscité avec La Porte du soleil, 2004, en sélection officielle, et promu en compétition avec Après la bataille (Baad el mawkeaa), 2012. Là, il bouscule encore les codes du cinéma égyptien en s'engouffrant dans le vent du changement qui secoue le pays depuis 2011. La "marche d'un million" qui rassemble une vague imposante de manifestants de tous bords, le 1 février, sur la place Tahrir, marque les esprits. Mais le lendemain, la "bataille des chameaux" livre un souffle réactionnaire. Ce jour-là, les chameliers des pyramides et des cavaliers chargent la foule, au grand dam des manifestants remontés.
Ces scènes, jetées sur Youtube, désignent les chameliers de Nazlet El-Samman comme les représentants de la contre-révolution. Leur pauvreté les pousse à vendre les bêtes aux abattoirs. L'intervention sur la place Tahrir est vécue comme un geste de désespoir réactionnaire. Yousri Nasrallah, persuadé que ces attaquants sont armés, se laisse convaincre du contraire par son acteur ami, Bassem Samra, qui habite leur quartier. Et il visionne les images pour vérifier qu'ils n'ont pas d'armes, découvrant alors que derrière les vues médiatisées, se cache une autre réalité : l'intervention de gens instruits et armés pour faire porter à des gens du peuple, l'aspiration à la contre-révolution. Interpellé par cette manipulation, le réalisateur suspend le tournage d'une fiction, déjà prête et financée, pour engager Après la bataille, à partir d'une trame de quelques pages, proposée aux comédiens impliqués dans l'aventure.
Festival de Cannes: "Baad El Mawkeaa" (Après la... par 20Minutes
Yousri Nasrallah mêle dans son récit, des vues prises pendant les manifestations, des scènes de fiction, des images captées à la télévision, sur internet. Il aligne ostensiblement les formats, du 35mm au numérique et à la HD. La caméra recadre ouvertement, suivant le rythme des discussions, poussant le spectateur au cœur d'images entrechoquées. Avec ce film tourné sans permis de police, librement, se compose une histoire sensible, parfois rugueuse, sur le fil des événements qui se précipitent. Yousri Nasrallah écrit ses scènes au jour le jour, en collaboration avec les habitants du quartier, pour saisir la fièvre qui agite la société. Cette expérience de cinéma, ancrée dans l'histoire en marche, fonctionne sur l'adaptation, l'improvisation mais aussi l'inspiration du réalisateur pour élargir l'horizon du cinéma égyptien
Vu par Michel AMARGER
(Afrimages / RFI / Médias France)