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Entretien avec Ousmane William Mbaye, cinéaste
"Les duos au pouvoir, qui finissent par se disloquer, doivent pousser à une réflexion politique"
critique
rédigé par
publié le 08/11/2012

Le cinéaste, Ousmane William Mbaye, revisite un pan de l'histoire du Sénégal dans son dernier documentaire Président Dia dont la première mondiale est prévue demain à l'Institut français de Dakar. Dans l'entretien qui suit, le réalisateur Diaiste [partisan de Dia, Ndlr] et Senghoriste [partisan de Senghor, Ndlr] à la fois, donne son point de vue sur cet évènement politique qui a "traumatisé toute sa génération" 50 ans après. Son film se dresse comme un modèle offert aux jeunes.

Pourquoi obstinez-vous à faire des films portraits ? Après Mère bi, Fer et verre sur Germaine Anta Gaye, Xalima la plume sur Seydina Insa Wade, aujourd'hui Président Dia

Ousmane Willam MBAYE : Avec la crise de nos télévisions du point de vue du contenu dans nos pays, nous nous sommes dit qu'une mémoire va se perdre. Parce que quand nous parlons à nos enfants de la première journaliste, Annette Mbaye D'Erneville, de la plasticienne Anta Germaine Gaye ou du président Mamadou Dia, nous nous rendons compte qu'ils ne les connaissent pas, ils ne les étudient pas à l'école. Donc, ils vont disparaître de la mémoire. On est étonné de ce constat, car ce sont des gens qu'on a eu à côtoyer.

Ce travail de mémoire m'a intéressé. Je trouve qu'une seule personne ne peut pas le faire. Aujourd'hui, parler du président Dia, je crois, soulève une curiosité. Et tout de suite les gens disent, mais il faut faire les autres portraits, notamment Cheikh Anta Diop, Patrice Lumumba, Thomas Sankara… Les gens sentent un besoin de combler un manque.

Est-ce que cela vous tente de faire le portrait de ces leaders panafricains ?

Je ne peux pas faire le portrait de tous ces personnages. J'aimerai bien qu'il y ait une stimulation au niveau du jeune cinéma. Les jeunes cinéastes qui revisiteront l'histoire auront un autre regard. Cheikh Anta Diop, ça me fascine, parce que c'est dans ma lignée culturelle et idéologique. Il ne faut pas oublier que c'est lui qui a parlé en premier de Renaissance africaine.

Qu'est-ce qui vous fascine quand vous faites un film sur un personnage ?

Ce qui me fascine, c'est qu'on a passé pendant une période de dix à vingt ans où il n'y a plus de modèles. En dehors des aspects culturels, des gens qu'on peut prendre comme modèle de patriotes sont des artistes. Les hommes de valeur comme Mamadou Dia m'ont fasciné.
Il y a une vingtaine d'années au Sénégal, les valeurs traversaient de gauche à droite. Je comprends qu'un jeune de vingt-cinq ans puisse me parler sur un ton bizarre. C'est parce qu'il n'y a plus de valeur et de modèle chez les jeunes. Aujourd'hui, le modèle, c'est celui qui conduit un véhicule 4X4 noir.

Comment faire comprendre à un jeune de 20 ans que Mamadou Dia est un modèle qui n'a jamais eu de véhicule, ni habité un étage ? Et que c'est un homme fort important qui voulait œuvrer pour son pays. Il faut montrer des exemples positifs. Sur les quatorze millions de Sénégalais, on doit avoir huit millions qui doivent œuvrer pour le pays.

Le documentaire que vous présentez [...] en avant-première à Dakar est intitulé Le complot ou Président Dia ?

Le titre provisoire était Le complot jusqu'à quelques jours avant le mixage. J'ai changé le titre pour l'appeler Président Dia. Pendant deux ans, le projet du film (recherche de financement, tournage et montage), a marché sur le titre Le complot.

Pourquoi ce changement ?

Je ne sais pas, mais dans le titre il y a de l'objectivité, mais aussi de la subjectivité. Il se trouve que Mamadou Dia a été Président du Conseil des ministres. C'est une chose qu'aujourd'hui, pour un jeune Sénégalais ne veut rien dire. Mamadou Dia avait plus de pouvoir à un moment donné que le Président de la République. Les gens de sa génération l'appelaient Président, parce qu'ils avaient compris la situation politique. Je me dis qu'il est parti et on va oublier qu'il a été Président. Car il l'a effectivement était, parce qu'il est signataire de l'indépendance du Sénégal. Il y a des faits objectifs politiques. Le complot, c'était plus tendance recherche policière. Président Dia, c'est affirmer le portrait politique de Mamadou Dia.

Quand vous dites Le complot, prenez-vous partie dans le film ?

J'aimerais qu'à la fin de la projection, que les spectateurs me disent "si c'est un complot, qui complote contre qui ?". Même le complot, on ne sait pas si c'est Senghor qui complote contre Mamadou Dia ou vice-versa. Au sortir du film, j'aimerais que les gens me disent comment il le ressente. Le débat est ouvert.

Mamadou Dia a été effacé de l'histoire politique de ce pays. Il ne le mérite pas. Il fait partie des pères fondateurs de notre indépendance. Je trouve que Thomas Sankara et Blaise Compaoré au Burkina comme Mamadou Dia et Léopold Sédar Senghor, etc., le duo qui est au pouvoir, finit toujours par se disloquer. C'est une réflexion politique à mener.

Peut-on parler pour ce film de portrait politique ?

C'est assez bizarre comme définition. Mais j'ai eu l'impression de faire un film politique, à la limite même d'affirmer un point de vue qui est à discuter. Je ne vais pas raconter le film avant le 6 octobre [le film sera projeté en avant-première mondiale à l'Institut français ; entretien réalisé]. Je suis d'accord que c'est un portrait politique, mais forcément ça parle de personnages, mais aussi de société, du pays. C'est une trajectoire de 1956-1957 à 1963.

Quel message voulez-vous transmettre à travers ce film ?

Un message politique. D'abord, Mamadou Dia a été effacé de l'histoire politique de ce pays. Il ne le mérite pas. Il fait partie des pères fondateurs de notre indépendance. Il n'y a pas un boulevard qui s'appelle Mamadou Dia, ni d'aéroport, ni une place publique pour lui. Il faut rétablir cela pour qu'il soit connu des générations futures. Je ne parle pas de politique, mais plutôt du public. Je veux que mes enfants sachent que Monsieur Mamadou Dia a joué un rôle important pour notre indépendance. Il avait une option économique qui, si elle était appliquée, on n'en serait pas là aujourd'hui. Je ne dis pas que ce serait le bonheur. Ça c'est d'un.
D'autre part, moi, je n'aime pas la politique. Mais je trouve que Thomas Sankara et Blaise Compaoré au Burkina Faso, comme Mamadou Dia et Léopold Sédar Senghor au Sénégal, ou en Algérie et dans plusieurs pays africains, le duo qui va au pouvoir finit toujours par se disloquer. C'est une réflexion politique à mener.

C'est à cause de cela que je n'aime pas la politique. Nous avons obtenu notre indépendance en 1960 et deux ans après il y a la plus grande crise politique de notre pays. S'il y a un autre film à faire, ce sera les années 1960-1965 dans la sous-région. Ça veut dire que l'impérialisme ne les avait pas lâchés. Ça aussi il faut le dire, c'est cela aussi la politique.

Je n'ai pas trop envie de personnaliser cette crise politique, mais je suis contemporain de cette crise. Ce qui m'a le plus motivé, c'est que ma génération a été traumatisée, comme celle de mes pères, par ce divorce Dia-Senghor.

Vous mettez toutes ces divergences sous le dos de l'impérialisme…

A 100 %. Les gens qui divorcent aussi ont envie de divorcer. Mais on peut aussi les aider à le faire plus rapidement. Pourquoi tous les Sénégalais qui ont mon âge, sont choqués par cette crise politique Senghor-Dia ? Quel que soit leur camp, les "Diaistes" comme les "Senghoristes" disent qu'on a raté un coche. Donc, c'est pour cela, qu'il fallait un peu creuser l'abcès.

Est-ce que cela fait partie de vos motivations à faire le film ?

En plus, j'ai grandi dans cette ambiance. Mon oncle Joseph Mbaye a été emprisonné avec Mamadou Dia. J'ai des souvenirs que je n'ai pas mis dans le film, car je me souviens quand on rentrait à la maison, les renseignements généraux notaient la plaque d'immatriculation du taxi, le nombre de personnes qui entraient et sortaient. Je n'ai pas trop envie de personnaliser cette crise politique, mais je suis contemporain de cette crise.
Ce qui m'a le plus motivé, c'est que ma génération a été traumatisée, comme celle de mes pères, par ce divorce Dia-Senghor.

Quel âge aviez-vous à l'époque ?

J'avais une dizaine d'années. Je n'étais pas politique, mais on ressent un choc. J'ai eu l'explication politique dans les années soixante-huit. Mais en 62, je sens qu'il y a une crise, que ma famille est touchée. Mais, tu n'as pas l'explication. En plus Kédougou, c'était plus loin que Koulikoro. En plus, c'était une prison politique. Ils n'avaient pas volé, ni tué, c'était ni une affaire de mœurs.
On s'est dit comment politiquement des gens aussi respectés, comment du jour au lendemain, on pouvait se retrouver en prison. A dix ans, il y avait une sympathie inexpliquée pour les "diaistes".

Etes-vous toujours Diaiste ?

C'est dévoilé le film non ? (Rires)

Ne craignez-vous pas qu'on vous reproche d'être subjectif dans ce film, si on sait que votre oncle Joseph Mbaye a été emprisonné avec Mamadou Dia ?

Je sais que mes oncles maternels et paternels sont Diaistes. Dans ma famille, il y a des Senghoristes et des Diaistes. Moi, à dix ans, je n'ai pas de camp. Mais j'ai ressenti le malaise. En plus, j'aime les deux hommes. J'ai des rapports avec eux. Il y a des réponses qui sont données dans le film.
Nous qui sommes situés entre 1968 et 1972, nous sommes contre Senghor. On ne respectait Senghor que sur le plan de la culture et de la littérature. Parce qu'il n'était pas un révolutionnaire.

Mamadou Dia est un homme de grand cœur et de fermeté. Quand on voit le bordel qui sévit aujourd'hui au Sénégal, on se dit qu'avec un Mamadou Dia, ce n'était pas pensable du tout. Il était plus à gauche que Senghor.

Est-ce que vous avez connu Mamadou Dia ?

La dernière fois que je l'ai vu, c'était un an avant sa disparition. Il a récité une prière pour moi. Dia a terminé sa vie en tant que soufi. Les choses terrestres et la politique ne l'intéressaient plus. Il ne se préoccupait que du Saint Coran et de Dieu.

Quelle image, les gens de votre génération retiennent de lui ?

Les gens de ma génération qui l'ont connu, retiennent de lui un homme intègre qui voulait développer le Sénégal. Il était presque socialisant, il n'était pas communiste. Je le répète, c'était un homme de grand cœur et de fermeté. Quand on voit le bordel qui sévit aujourd'hui au Sénégal, on se dit qu'avec un Mamadou Dia, ce n'était pas pensable du tout.
Les gens de la génération de mes parents ont une vision beaucoup plus objective. Parce qu'ils l'ont côtoyé et travaillé avec lui. Il y a une part de fantasme et de vérité. Il était plus à gauche que Senghor.

Parler du président de Dia nécessite des archives. Comment vous les avez acquis ?

Il y a d'abord l'Institut national de l'audiovisuel (INA) en France qui est coproducteur du film. On a eu accès à leurs archives. Au Sénégal, c'est très compliqué d'avoir des archives. N'empêche, je suis allé à la RTS [Radio Télévision Sénégalaise, Ndlr] et j'ai trouvé que c'était un peu administratif pour avoir ces images de l'époque. Donc, j'ai utilisé les archives de l'INA et des archives photos et audio privées comme celles de Roland Colin et de ma sœur. Il y a aussi la photothèque de la femme de Mamadou Dia, Oulimata Dia.

Il vous a fallu combien de temps pour faire ce film ?

Ce n'est pas comme Mère-bi (Son dernier film réalisé en 2008) qui a duré dix ans de travail. Président Dia n'a duré que 18 mois de travail.

Dix-huit mois, c'est parce que les moyens étaient accessibles ?

La démarche entre Mère-bi et Président Dia était différente. En vieillissant, je deviens de plus en plus vite fatigué. Mère-bi, ce n'est pas un bon exemple de fabrication. Pour faire Président Dia, il y avait déjà les archives disponibles et les personnages encore vivants et surtout disponibles. Vu qu'ils sont très âgés, on s'est dit qu'il ne faut pas perdre de temps.

Par contre, la difficulté du travail a été le montage. Monter le film a été un acte douloureux que je ne peux pas expliquer clairement. Quand j'ai mûri le projet, je pensais que c'était un travail facile. Mais lors du montage, je me suis rendu compte que ce n'était pas du tout facile. Parce qu'on ne sait pas par quel bout prendre l'histoire de Dia.

Il ne fallait pas trahir les personnages ou travestir l'histoire. On ne peut pas dire n'importe quoi dans cette histoire. D'abord, Senghor et Dia sont des personnages qui appartiennent maintenant à l'Histoire de l'humanité. Si on compte mes deux oncles, on se retrouve dans une histoire à quatre ou six personnages. Il faut raconter son point de vue et la manière est personnelle. Maintenant, je ne sais pas encore comment les Sénégalais vont réagir. J'espère qu'ils ne seront pas déçus.

Pourquoi aucune structure au Sénégal n'a participé au montage financier ?

C'est parce qu'il n'en existe pas. J'ai écrit à la Sonatel [1ère société de téléphonie, filiale de France Télécom /Orange, Ndlr], qui n'a pas répondu. J'ai écrit à la RTS qui n'a jamais répondu. J'ai envoyé une demande à la Direction de la cinématographie pour faire un kinescopage au Maroc. Je leur demande d'actionner les accords de coopération cinématographique entre le Sénégal et le Maroc. On me dit que c'est en bonne voie. Les gens ont fait le mort, parce que l'image de Senghor est forte et ils ne savent pas comment je vais traiter le documentaire.

Dans le scénario, vous faites allusions à la présidentielle de 2012. Quel rapport avec Président Dia ?

L'élection présidentielle de 2012 était très compliquée. La violence a commencé et on s'était dit que c'est fini. On a eu très peur en se disant qu'on ne va pas organiser une élection transparente et libre comme d'autres pays africains. Pendant ce temps, l'artiste sénégalais se dit quoi faire dans cette situation de crise politique. J'avais déjà en tête un travail sur Mamadou Dia et je voulais faire une interdépendance sur le plan esthétique des événements de 1962 et de 2012. On s'est dit comment le Sénégal, pays donneur de leçon de démocratie, peut en arriver à autant de morts et de violence ? En 1962, dans les recherches documentaires, il y a eu des morts et 50 ans après - les évènements de 62 auront 50 ans le 17 décembre prochain - on se demande si on avance ou on recule.
Comme on n'était pas encore arrivé au montage, on s'est dit que les images de la place de l'Obélisque peuvent servir pour établir le parallèle entre hier et aujourd'hui. D'autant plus que le film donne un point de vue 50 ans après.
Il faut préciser que 2012 ne m'a pas donné l'idée de faire mon film. Mais cela a été un terrain fertile pour mon film.

Propos recueillis par Baba MBALLO et Fatou K. SENE (Wal Fadjiri)

Article d'abord paru le Lundi 05 Novembre 2012, sur Walf' [cliquez ici

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