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Yema, de Djamila Sahraoui
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critique
rédigé par Jean-Marie Mollo Olinga
publié le 27/12/2012
Jean-Marie Mollo Olinga (Africiné)
Jean-Marie Mollo Olinga (Africiné)
Djamila Sahraoui, réalisatrice algérienne
Djamila Sahraoui, réalisatrice algérienne
Scène de Yema
Scène de Yema
Scène de Yema
Scène de Yema
Scène de Yema
Scène de Yema

2012, Fiction, 90mn.

Après BARAKAT! en 2006, où elle met en scène une jeune femme médecin à la recherche de son mari journaliste, Djamila Sahraoui sort YEMA en 2012, son deuxième long métrage de fiction. Comme dans le premier, il est question, pour la femme, d'affronter courageusement les péripéties d'une vie qui n'est pas du tout semée de roses.



YEMA, qui signifie "Mère", s'ouvre sur une femme, Ouardia, interprétée par Djamila Sahraoui elle-même, tirant péniblement un lourd fardeau, comme on traîne un boulet. Si à cet instant la réalisatrice utilise un plan large, c'est bien pour montrer, au travers de ce plan descriptif, que le film de cette vie va se dérouler dans un décor inhospitalier. Constitué de montagnes, son sol est desséché et résiste à la houe intrépide de cette "Mère" de famille en butte à des souffrances de divers ordres : des fils qui se haïssent cordialement ; un environnement hostile qu'il faut dompter à tout prix pour en devenir le maire, c'est-à-dire l'officier, l'agent qui y détient le pouvoir. La réalisatrice construit ainsi, au travers d'un scénario bien ficelé, une tragédie, qui, par certains aspects, relève de la tragédie grecque classique.

Certes, l'intrigue ne se déroule pas en un jour. En un seul lieu (un petit village de Kabylie, en Algérie) et pendant 90 minutes, avec seulement sept personnages, le film réussit l'exploit de tenir en haleine les spectateurs, de maintenir l'incertitude jusqu'au bout. Il est dur et fort : c'est l'histoire de la perte d'un fils, militaire, tué probablement par son frère, avec qui il se disputait une femme qui leur laisse un enfant. La douleur de la mère, obligée de l'enterrer (contrairement aux usages dans le village), comme Antigone de Sophocle, son frère, est si vive qu'on ne la voit sourire à aucun moment du film.

Les dialogues, souvent inamicaux, sont réduits à l'essentiel (les grandes douleurs ne sont-elles pas muettes ?) ; l'environnement clair-obscur où se déroule l'intrigue ; les relations, les contacts entre les différents personnages sont, eux-mêmes, emprunts de froideur et de rigidité. Comment peut-il d'ailleurs en être autrement, si la mère, pièce centrale de la tragédie, est tout le temps effrayée et surveillée par un homme de main de son autre fils, avec qui les rapports sont plutôt difficiles ?
Et comme pour en rajouter à la dureté du film, Djamila Sahraoui n'y introduit aucune musique. Les seuls bruitages qu'on y perçoit sont ceux du vent et les chants de corbeaux, oiseaux précurseurs de malheur s'il en est. Cependant, cette absence de bruitage, ces silences sont si éloquents qu'ils confèrent une certaine sensibilité, une certaine poésie à l'œuvre de Sahraoui.



Un passé très présent

Si YEMA est un film basé sur des événements passés, ceux-ci ont cependant des répercussions sur le présent ; on pourrait même dire que ce sont ces événements qui conditionnent le présent, le film. YEMA est également un film où la réalisatrice (se) joue de l'imagination des spectateurs. Une femme, elle aussi pièce importante de l'intrigue, est souvent évoquée, mais personne ne la voit jamais. Le film est dur, et pourtant, il y est question d'amour (d'une femme, bien entendu ; d'une mère impénétrable ; d'une terre à laquelle tous les personnages semblent attachés).



Des aspects de YEMA rappellent étrangement BARAKAT!. Ici, deux femmes se réfugient dans une maison isolée, et là, l'action se déroule dans et autour d'une maison elle aussi isolée dans la campagne). Cette récurrence ne montre-t-elle pas l'attachement de la réalisatrice à sa terre natale ? N'est-ce pas la raison pour laquelle elle suggère de cultiver inlassablement son jardin, comme le fait Ouardia, pour y faire renaître la vie. La renaissance est symbolisée non seulement par la verdure, les tomates, les salades, mais surtout par un nouveau-né orphelin qui vient ainsi matérialiser la mort d'un passé lourd à porter. Au-delà, Djamila Sahraoui n'indique-t-elle pas le chemin à la femme algérienne qui doit aller, tel Prométhée avec les dieux, arracher le feu aux hommes ?

En dépit de quelques longueurs malheureuses (la séquence d'exposition, par exemple, la scène où est montré le corps du fils dure si longtemps que le cadavre finit par respirer), le film de Djamila Sahraoui est correctement construit. Il bénéficie d'une interprétation magistrale du premier rôle (Djamila Sahraoui, "Ouardia") et de seconds rôles qui jouent tout aussi bien (Samir Yahia, "le gardien" ; Ali Zarif, "Ali"). Ce qui justifie amplement son Prix de la Critique au Festival international du film de Dubaï (DIFF) 2012.

Jean-Marie MOLLO OLINGA

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