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Interview de Jean-Marie MOLLO OLINGA avec Djamila Sahraoui, Réalisatrice de Yema (Mère)
"Je partage mon paradis perdu retrouvé avec les spectateurs"
critique
rédigé par Jean-Marie Mollo Olinga
publié le 07/01/2013
Jean-Marie Mollo Olinga (Africiné)
Jean-Marie Mollo Olinga (Africiné)
Djamila Sahraoui, réalisatrice algérienne
Djamila Sahraoui, réalisatrice algérienne
Scène de Yema
Scène de Yema
Scène de Yema
Scène de Yema
Scène de Yema
Scène de Yema

Avec Yema ("Mère"), son deuxième long métrage de fiction, l'Algérienne Djamila Sahraoui a remporté le Prix de la Critique, le Prix Fipresci, au Festival international du film de Dubaï (DIFF) 2012.

Yema est un film rude, sombre, tant au niveau du décor, des dialogues que des contacts entre personnages. Pourquoi un tel film ? Pourquoi un film si radical ?

J'ai voulu faire un film où tout devait converger vers la tragédie, où tout devait construire une tragédie radicale. C'est pourquoi il se passe de mots, il n'est pas très bavard. J'ai travaillé sur l'image, le dialogue, le son, les comédiens eux-mêmes, pour quelque chose de tragique. C'est une tragédie, une tragédie grecque. Et, voyez-vous, en Grèce et en Petite Kabylie, il y a des régions qui se ressemblent : les oliviers y sont toujours verts, le ciel toujours bleu, le sol toujours ocre.
Le thème peut être rapproché de celui d'Antigone, parce qu'on interdit à une mère d'enterrer son fils ; elle est aussi Médée. Dans ce film, il est question de deux frères qui s'entretuent pour l'amour : ils aiment cette terre, une même femme qu'on ne voit jamais, et qui leur a donné un bébé, tous deux voulaient l'amour de leur mère.

YEMA, de Djamila Sahraoui, 2012, Algérie, 90min / arabe VOSTF from Africiné www.africine.org on Vimeo



Le film est assez silencieux, mais ces silences lui confèrent une certaine poésie, surtout lorsqu'ils sont couplés aux lumières. Yema est finalement un beau tableau ; mais est-ce pour cela que les plans d'ensemble y sont prépondérants ?

Je voulais quelque chose de très lyrique. En tant que spectatrice, j'aime les films qui font appel à mon imagination. Comme réalisatrice, je fais appel à l'imaginaire du spectateur. De la même manière, je lui laisse le temps de jouer avec son propre imaginaire et d'entrer dans mon imaginaire. Je ne le manipule pas, d'où ces silences.
Je filmais très tôt, à 4h du matin, pour avoir la lumière dorée de l'aurore, et l'après-midi, avant le coucher du soleil, pour avoir la lumière dorée du crépuscule. Il fallait une équipe qui l'accepte. Quant à la lumière de l'intérieur, elle est faite avec de vraies bougies. Quand on mange avec le gardien, cette lumière claire-obscure doit rendre compte de la tragédie. Quand on regarde les toiles de certains peintres, on sent la tragédie. Il y a aussi le décor. Je suis intimement convaincue qu'on a des images qu'on s'est construites dans l'enfance. Et depuis l'enfance, j'ai ce paysage dans ma tête, ces montagnes, la couleur de la terre, les oliviers. J'ai cherché mon paradis perdu, je l'ai retrouvé et je le partage avec les spectateurs. J'ai cherché ce décor pendant deux ans. Lorsque je l'ai trouvé, nous n'y avons plus construit que la bergerie, le puits et le jardin, il fallait montrer tout cela dans les plans d'ensemble.



Vous n'utilisez aucune musique. Pourquoi ? Quand on sait que certaines musiques auraient pu en rajouter à l'intensité émotionnelle de cette tragédie ?

Je n'ai pas utilisé de musiques exprès. J'ai fait le pari de tourner un film lyrique sans musique. J'ai essayé de me passer de ces béquilles. Si j'y avais mis des musiques, je serais tombée dans le mélodrame. Je voulais une tragédie ; j'ai décidé de l'assumer. Par contre, on a fait un montage son avec un corbeau par-ci, du vent par-là.

Vous êtes la réalisatrice de Yema et vous y tenez le premier rôle, celui de Ouardia. Est-ce que ça n'a pas été difficile d'être devant et derrière la caméra pour un film de 90mn ?

Ça a été très dur, ça a été très éprouvant, mais très satisfaisant à la fin. Je ne suis pas comédienne. J'ai cherché des femmes pendant très longtemps, mais celles que j'ai trouvées étaient trop douces, citadines, bien nourries, bien portantes et je ne voulais pas de maquillage. Je me suis aperçue que ce personnage était aride comme sa terre, qu'il était expressif, avec des yeux tout aussi expressifs. Il y a aussi les gestes ; mes parents sont paysans et je connais leurs gestes. Je me suis dit : "je vais faire ça, je vais le faire". Parce que c'est un personnage qui me ressemble à tout point de vue : sans concession, expressif, radical. Et j'ai poussé mon travail jusqu'à cette radicalité-là.



Les autres comédiens interprètent aussi correctement leurs rôles, comment avez-vous travaillé avec eux ?

Parmi les acteurs, un seul est professionnel, Ali Zarif, mon fils, qui interprète le rôle d'Ali ; c'est un acteur de théâtre, mais il ne fallait pas qu'il surjoue. Quant au gardien, Samir Yahia, c'est un vrai manchot. Il n'est pas acteur professionnel, c'est un étudiant en Sciences politiques à Alger. Nous avons fait un casting et il a été retenu.

Propos recueillis par Jean-Marie MOLLO OLINGA
Dubaï, Emirats Arabes Unis

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