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Interview de Yacouba Sangaré avec Jean Roke Patoudem (Producteur de films)
"En Afrique, il y a des producteurs privés"
critique
rédigé par Yacouba Sangaré
publié le 23/01/2013
Le Producteur Jean Roke Patoudem et son actrice Emma LOHOUES, à Dubaï - DIFF 2012
Le Producteur Jean Roke Patoudem et son actrice Emma LOHOUES, à Dubaï - DIFF 2012
Yacouba Sangaré (Africiné)
Yacouba Sangaré (Africiné)
DIFF 2012
DIFF 2012
Emma LOHOUES, Golden Rooster de la MEILLEURE ACTRICE, en Chine
Emma LOHOUES, Golden Rooster de la MEILLEURE ACTRICE, en Chine

C'est un homme affable, fort sympathique et d'un commerce facile. Jean Roke Patoudem, c'est son nom, est le Directeur général de Patou Films International, la structure chargée de vendre sur le plan international "Le Mec Idéal", la comédie romantique à succès réalisée par Owell Brown, lauréate de l'Etalon de Bronze, au Fespaco 2011. Présent en décembre dernier, à la 9ème édition du Festival International du Film de Dubai, il a accepté, entre deux rendez-vous, de parler de ce film qui fait la fierté de la Côte d'Ivoire. Aussi explique t-il pourquoi les productions africaines peinent à faire carrière en Occident.

Yacouba Sangaré : Qu'est-ce qui vous a motivé à vendre un film comme "Le Mec Idéal" ?

Jean Roke PATOUDEM : Avant tout, c'est une histoire de famille entre Owell et moi. Une profonde amitié qui nous lie. On avait déjà travaillé sur son précédent long métrage "No Way!". Il faut quand même souligner que ce film n'aurait pas existé sans Abass Zein qui vit en Côte d'Ivoire. C'est un producteur qui a injecté de l'argent dans le film. Il y a aussi les parfumeries Ghandour qui ont mis aussi de l'argent, de même que Yves Lambelin qui est mort. Ce sont ces trois-là qui ont porté le projet en Côte d'Ivoire. Ce qui veut dire que des producteurs locaux sont capables de faire émerger des projets comme "Le Mec Idéal" en Afrique. Cela dit, ce qui m'a séduit l'histoire et la qualité de ce film. C'est une comédie pétillante qui donne de la couleur au cinéma ivoirien et africain.



Le film a failli ne pas être au Fespaco, il y a deux ans, parce qu'il n'était pas kinescopé en 35 mm. Qu'est-ce qui a coincé ?

JRP : Le Fespaco a été créé par l'ancienne génération de cinéastes qui pensaient cinéma par le 35mm. Aujourd'hui, les choses ont évolué, mais le Fespaco n'a pas encore abrogé cette clause dans ses règles qui exigent que pour qu'un film soit retenu en compétition officielle fiction long métrage, il faut qu'il soit en 35mm.
Peut-être qu'il faut laisser encore le temps à ce festival de savoir comment il va s'y prendre. Jusqu'à présent, au Fespaco, les films en sélection officielle sont en 35 mm. Pour "Le Mec Idéal", c'est Owell, grâce à ses relations, qui a obtenu le kinescopage au Maroc.

Voulez-vous dire qu'en Europe, les salles de cinéma n'utilisent plus la pellicule 35 mm ?

JRP : C'est du prestige. Ça ne sert plus à rien. En Europe, précisément pour la France que je connais bien, je sais que le Centre national de la cinématographie a débloqué les fonds pour numériser les salles. Pour beaucoup de raisons, certaines salles ont gardé un projecteur 35 mm, parce qu'un film peut avoir des difficultés pour être transféré. Cela dit, ça devient un luxe. Le numérique fait qu'on dématérialise le volume et il n'y a plus d'usure de copie.
De plus, ça permet aux films de voyager facilement. Quand j'ai envoyé par exemple "Le Mec Idéal" en Chine*, je l'ai fait par un fichier numérique. C'est après qu'ils ont demandé la copie 35mm.

Avant de vendre "Le Mec Idéal", vous aviez produit "Gohou Show", dont le tournage ne s'est pas bien passé avec Muss des M.A.M. Qu'est-ce qui n'a pas marché ?

JRP : Nous étions partis pour 30 épisodes. Mais, après trois jours de tournage, je suis resté sur ma conviction que Muss n'était pas un réalisateur de fiction. Je suis sorti du projet, à un moment donné et je suis parti à Paris. Ils ont continué jusqu'à 21 épisodes et Kodjo, l'initiateur du projet, est revenu me donner un jour raison. Après Muss a passé le relais à son frère Mad. Cela a donné ce que nous avons pu rattraper au montage.
Et grâce à mes relations, la série est arrivée sur TV5. Au départ, c'est Owell qui devait réaliser la série. Muss est un excellent réalisateur de clips, mais raconter une histoire relève d'un réalisateur de cinéma ou de télévision.

Comment expliquez-vous justement que les séries africaines ne soient pas diffusées sur les chaînes occidentales, alors que les productions du Nord inondent nos télévisions en Afrique ?

JRP : Nos séries ont malheureusement énormément de lacunes de son ; le montage est complètement chaotique. Il y a également la mise en scène et la direction d'acteurs qui ne sont pas au top. On peut dire que je parle mal des séries africaines ; mais c'est une réalité artistique et technique. Il y a une pauvreté dans l'éclairage qui se voit. Le champ peut être éclairé, mais pas le contrechamp et à la fin, il n'est pas étalonné.
Et puis, il y a la professionnalisation des comédiens et la problématique de l'accent des comédiens. Car, l'accent ivoirien est différent de ceux du Cameroun, du Sénégal ou encore du Burkina Faso… Il y a donc une diversité d'accents qui fait que l'harmonie du ton n'y est pas. En Afrique, on fait du brut qui n'intéresse pas les télés occidentales.

Je prends par exemple, le cas du "Gohou Show". Il parle le "nouchi" dans la série. C'est l'argot ivoirien, je suis d'accord. L'Ivoirien va rigoler mais le Camerounais ne le comprendra pas. Pour une production qui veut se vendre à l'international, il ne faut pas utiliser un langage local. En général, l'argot est juste familier. Il n'apporte rien au scénario. C'est un aspect commercial dont il faut tenir compte si l'on veut exporter son film. Pour preuve, TV5 a accepté de diffuser la série "Gohou Show", à condition qu'elle soit sous-titrée en français, pour ceux qui ne comprennent pas le "nouchi".

Sur le grand écran, c'est aussi compliqué pour les films africains d'avoir une réelle visibilité en Europe…

JRP : Effectivement. Sur le grand écran, c'est même pire. Nos films sont aidés par la France, tant mieux. Mais, l'erreur c'est qu'ils mettent dans les commissions des personnes qui ne connaissent rien à l'Afrique et trouvent le cinéma africain naïf. Ce sont des intellos qui essaient de se donner de l'existence sur le cinéma africain, en pensant que les films sur les villages post coloniaux sont plus représentatifs de l'Afrique et non ceux qui ne vont pas dans ce sens. Malheureusement, ce sont ces personnes qui décident des projets de films à financer.
Ces gens là, je les déteste. Ils ont une vision de l'Afrique qui n'est pas la mienne. Franchement, ils tuent le cinéma africain, qui se résume, à leurs yeux, au cinéma calebasse. Alors qu'on peut bien produire des comédies romantiques comme "Le Mec Idéal" en Afrique.

Quelle est donc la solution pour sortir de ce "piège" ? Faut-il s'en remettre à nos Etats?

JRP : Je pense qu'il faut laisser tomber l'État. Ceux qui produisent les séries en Afrique ne comptent pas sur l'État. En Afrique, il y a des producteurs privés qui peuvent porter des projets de films. Abass Zein a par exemple propulsé la machine du "Mec Idéal" en Côte d'Ivoire.

Pensez-vous sincèrement que des producteurs vont injecter leur argent dans le cinéma qui n'est pas rentable en Afrique?

JRP : C'est clair que le cinéma africain n'est pas rentable. La raison est simple : il n'y a pas une économie locale qui peut permettre au cinéma de se rentabiliser. On a coutume de dire qu'il n'y a pas de salles, mais il n'y a pas non plus de films pour les alimenter. Tu vas construire de belles salles et attendre qu'un Ivoirien fasse un film tous les cinq ans ? Il faut énormément de films pour alimenter les salles.
Il faut aussi créer des stars africaines comme je veux le faire avec Emma Lohoues (l'héroïne du "Mec Idéal"). Moi, j'ai décidé de l'encadrer, d'en faire une vedette incontournable du cinéma en Afrique. Elle va tourner dans la nouvelle série intitulée "Villa Karayib". Le tournage de l'épisode pilote a débuté le 7 janvier, avec un pré achat de Canal+ Afrique. Et après, on va partir sur la base de 100 épisodes. Les gens qui ne l'aiment pas et la détestent par envie en Côte d'Ivoire, vont la "bouffer" pendant 5 ans (rires).

En attendant, il y a votre prochain documentaire intitulé "Roger Milla. Les 4 vies d'une légende", réalisé par Alain Fongue, qui est déjà prêt.

JRP : Roger Milla est une personne exceptionnelle dans son parcours. J'ai donc voulu rendre hommage à ce monsieur en produisant ce documentaire qui raconte à la vie de l'homme et du footballeur. Il est le plus vieux buteur de l'histoire de la coupe du monde. Ce doc raconte l'histoire de ce héros africain, qui a fait rêver des millions de personnes en Afrique voire dans le monde. Ce film se veut un devoir de mémoire pour tous les Africains.

Quel regard portez-vous sur le festival international du film de Dubai ?

JRP : C'est un très beau festival, bien organisé. Mais, ce qui m'intéresse plus, c'est l'aspect marché du festival qui nous permet de vendre nos films. Et je suis venu à Dubai pour vendre justement "Roger Milla. Les 4 vies d'une légende". Au-delà de tout ce qu'on peut vendre en Europe, je cherche de nouveaux marchés en Asie.

Entretien réalisée à Dubai
par Y. Sangaré

Article paru dans le quotidien LE PATRIOTE (Abidjan), du 09 janvier 2013. www.lepatriote.net/actualite_det.php?id=273

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