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Sauvegarde des archives cinématographiques et audiovisuelles du Sénégal
Une question de souveraineté nationale pour la direction du Cinéma
critique
rédigé par Fatou Kiné Sène
publié le 14/02/2013
Scène du film "Le Prix du pardon" (2001) de Mansour Sora wade.
Scène du film "Le Prix du pardon" (2001) de Mansour Sora wade.
Fatou Kiné Sène (Africiné)
Fatou Kiné Sène (Africiné)

Plus de cinquante ans après son indépendance, Le Sénégal a recours à l'Institut National de l'Audiovisuel (INA) de Paris pour disposer de ses propres archives audiovisuelles ou cinématographiques. Une aberration que la direction du Cinéma compte corriger.



L'état des lieux des archives cinématographiques et audiovisuelles du Sénégal est alarmant. Sur les cinq mille bobines constituées pour "Les Actualités sénégalaises", des milliers se sont dégradés, atteints par le "syndrome du vinaigre". D'autres - de cette collection qui existait en bande magnétique ou en argentique de 16 millimètres ou 35 millimètres - ont simplement disparu. Parce qu'il y a eu des prêts qui n'ont pas connu une comptabilité, comme cela se devait ou même un registre qui devait mentionner le mouvement de toutes ces bobines.
Cet état des lieux dressé, le mercredi 06 juin 2012, par le directeur de la Cinématographie, Hugues Diaz, en dit long sur l'urgence de la restauration du patrimoine audiovisuel et cinématographique sénégalais. Pour le patron du cinéma sénégalais, c'est même une question de souveraineté nationale. "Avoir ses archives gérées à l'extérieur (référence à l'Institut National de l'Audiovisuel de Paris), c'est ne plus parler d'indépendance. Nous avons été négligents sur cet aspect fondamental de la vie d'une nation", a soutenu Hugues Diaz à Saly Portudal à Mbour, lors d'un atelier sur le cadre juridique et réglementaire du cinéma et de l'audiovisuel.

Le cinéaste Moussa Sène Absa abonde dans le même sens. Car, pour lui, "un pays qui n'a pas de mémoire est un pays mort". D'où la nécessité, dira le journaliste-critique Baba Diop, de sauvegarder notre patrimoine, car dans "ce siècle où nous sommes, il s'agit de se battre pour l'image (la production cinématographique et audiovisuelle) mais aussi pour notre histoire, notre mémoire".
Ayant compris cela, la direction du Cinéma effectue, depuis janvier 2012, un travail de recensement physique des bobines disponibles. Un tri pour connaître l'existence des archives cinématographiques et audiovisuelles, pour savoir les bobines vides, infectées et récupérables. Sur le millier de bobines retrouvées, 710 ont été récupérées, sauvées de toute infection.
"Elles étaient pour la plupart des films retraçant Les actualités sénégalaises. C'est-à-dire une série de films sur les activités importantes de la République du Sénégal et quelques films des pionniers du cinéma sénégalais, comme les films de Ousmane Sembène en 16 millimètres, ceux de Paulin Soumanou Vieyra, etc.", indique le patron du 7e art sénégalais. Diaz regrette que les archives cinématographiques et audiovisuelles n'aient pas été entretenues. Selon lui, elles doivent être quelque chose de continu parce qu'à chaque moment de l'année, la production cinématographique et audiovisuelle doit être capitalisée.

Pour les acteurs du secteur, le danger est qu'actuellement avec l'arrivée des jeunes cinéastes et même avec la génération intermédiaire, après les précurseurs, on arrive à ne pas avoir leurs films.
La direction du Cinéma du Sénégal s'est imposée comme priorité de reconstituer cette mémoire vive en restaurant l'existant, en numérisant pour éviter la destruction des archives. "On ne peut pas le faire seul, nous allons contacter et contracter des institutions habilitées à le faire, comme les archives nationales. La Rts et les télévisions privées qui détiennent des archives doivent nous les restituer", fait savoir Diaz.

A la France et au Maroc de restituer les rushs du patrimoine

Dans le même sillage, tout ce patrimoine des "Actualités sénégalaises" dont les rushs se trouvent dans des pays étrangers notamment la France et le Maroc, car le montage se faisait dans ces pays, sera restitué. Selon Hugues Diaz, dans le cas des accords cinématographiques avec ces deux pays, la récupération de ces archives sera instituée en bonne place, pour voir dans quelle mesure le Sénégal peut acquérir à titre gracieux ou onéreux ces archives assez importants de la République du Sénégal et du cinéma surtout. Parce qu'un Etat doit avoir une mémoire pour suivre l'état d'évolution de sa nation et voir à quelle étape nous en sommes. La direction de la Cinématographie ne s'arrête pas seulement aux Etats. Elle invite les cinéastes à déposer des copies de leurs productions.

"Le cinéaste Mansour Sora Wade a fait don de sa production audiovisuelle et de toute la documentation en livres, ouvrages sur le cinéma sénégalais qu'il possède à la direction", informe le directeur du Cinéma. Pour ne pas en arriver là, la direction de la Cinématographie envisage d'instaurer le dépôt légal de toute production nationale ou extérieure qui bénéficie d'autorisation de tournage.

DEBAT - EXISTENCE D'UNE LIGNE BUDGETAIRE POUR LES RECIDAK : Les cinéastes exigent l'audit de fonds versés à une manifestation qui n'existe plus depuis dix ans

C'est une vraie nébuleuse que les cinéastes ont découverte, lors de leur rencontre à Saly Portudal. Les réalisateurs Moussa Touré, Clarence Delgado, Saloum Seck, etc., sont tombés des nues en entendant qu'une "ligne budgétaire est inscrite et votée chaque année par l'Assemblée nationale pour le compte du ministère de la Culture pour les Rencontres cinématographiques de Dakar". Une manifestation qui n'existe plus depuis 2002.
Cette dotation, arrêtée tous les ans à 50 millions depuis dix ans, fait un cumul de 500 millions de francs Cfa. Il a récemment été réduit, informe-t-on, à 35 millions de francs Cfa pour les besoins du plan Takkal. "Il faut qu'on nous dise où l'argent a été mis depuis tout ce temps", interpellent les cinéastes Moussa Touré et Clarence Delgado.

Les réalisateurs exigent l'audit de ces ressources destinées à une activité inexistante depuis une dizaine d'années. Ce qui les irrite le plus, c'est de se rappeler des discours tenus par les anciennes autorités qui leur disaient qu'il n'y a pas d'argent pour le cinéma. Réunis dans un sous-atelier sur le thème du "Financement du cinéma", les réalisateurs viennent aussi de découvrir qu'il existe de nombreux fonds nationaux d'appui destinés au cinéma et à l'audiovisuel, notamment le Programme d'Appui à l'Industrie Cinématographique (PAIC) de trois cent millions. Ils demandent toute la lumière sur cet argent qui n'est jamais arrivé à ses destinataires.
"Il y a eu des détournements d'objectif dans l'argent attribué", constate l'ancien bras droit de Ousmane Sembène. Pour les réalisateurs, l'État s'est toujours réfugié derrière la division des acteurs pour ne pas assumer ses responsabilités. "C'est un manque de volonté politique, mais pas la division des acteurs", dit-il. La cartographie des fonds nationaux existants reste pour eux une priorité. Car ils ont toujours compté sur l'extérieur pour faire des films.

Fatou K. SENE

Article paru dans Wal Fadjiri (Dakar) du Jeudi 07 Juin 2012

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