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Les Mamans de l'indépendance, de Diabou Bessane
Dix sept passionarias sur une longue liste
critique
rédigé par Baba Diop
publié le 14/03/2013
Baba Diop (Africiné)
Baba Diop (Africiné)
Diabou Bessane, réalisatrice
Diabou Bessane, réalisatrice

Diabou Bessane est journaliste reconvertie au cinéma. Les mamans de l'indépendance : une histoire de femmes, d'engagement et de patriotisme, documentaire de 53 minutes, est le premier film d'une trilogie à venir et qui mettra au jour le destin exceptionnel de femmes qui méritent place au panthéon de nos mémoires.

"Rarement citées dans les débats et les cérémonies officielles qui rythment la vie de notre pays, nombre de femmes héroïques ont écrit quelques unes des plus belles pages de l'histoire du Sénégal. Et ce bien avant les indépendances". Diabou Bessane justifie ainsi l'intérêt qu'elle porte au parcours combattant et militant de dix sept femmes au destin exceptionnel et au nombre desquelles : Annette Mbaye D'Erneville, première journaliste et fondatrice de la Fédération des Associations Féminines du Sénégal (FAFS) ; Jeanne Martin Cissé, première femme à diriger le Conseil de Sécurité de l'ONU, également vice-présidente de l'Union des Femmes du Sénégal (UFS) ; Maïmouna Kane, l'une des premières femmes ministres avec Caroline Faye Diop ; Oumy Sène, membre de l'UFS ; Mame Madior Boye, première femme Premier ministre ; Maguette Diop, présidente de l'UFS.

Le film de Diabou Bessane Les mamans de l'indépendance aurait pu s'intituler Les dix sept passionarias sur une longue liste. A l'heure où finit de blanchir leur chevelure, ces femmes regardent, un tantinet amusées, leur passé de militante avec la satisfaction du devoir accompli. Dans la deuxième moitié des années 50, au moment où se levait le vent de la contestation pour l'indépendance, elles ont fondé en premier l'Union des Femmes du Sénégal (UFS) pour la promotion de la femme et de l'enfant. Une union dont l'apolitisme n'était que façade puisque leur action allait au-delà du simple regroupement.
Il y avait un engagement politique dans le fait de célébrer le 8 mars et de rendre hommage aux tirailleurs victimes du camp de Thiaroye en exposant leur vie. L'une d'elles raconte cette fameuse journée du tirailleur. "Nous étions à Thiaroye avec nos foulards jaunes pour montrer que nous étions des femmes révolutionnaires.
Au cours de notre manifestation, les forces de l'ordre nous ont dispersées avec des bombes lacrymogènes. Nous avons dû courir de Thiaroye à Dakar". Il y eut naturellement des blessées.


Elles étaient en première ligne dans le combat pour "l'indépendance immédiate". L''homme politique Mbaye Jacques Diop, présent au congrès de Cotonou à coté de Rose Basse, déléguée par l'Union des Femmes du Sénégal dit d'elle : "Elle était belle, elle savait parler. A Cotonou, elle a pris la parole pour parler au nom des femmes d'Afrique. Elle a apostrophé les hommes pour leur dire : " Si vous avez peur d'aller à l'Indépendance, nous les femmes nous y allons". Elle était la première à parler d'indépendance."

Les femmes de l'UFS avaient organisé une kermesse afin de payer le voyage Dakar-Cotonou à Rose Basse. Si aujourd'hui le nom de Mahjmout Diop s'impose dès qu'on évoque le Parti Africain pour l'Indépendance (PAI), la vérité historique recommande de faire passer Arame Thioumbé Samb au devant de la scène puisque, selon le témoignage de Maguette Diop, présidente de l'USF, elle a été à la naissance de ce parti en étant la figure de proue. Elle avait choisi le parti révolutionnaire, en sachant qu'elle allait au devant des brimades et de l'emprisonnement. Mahjmout doit également son salut à la dame Maguette Diop qui l'a déguisé en femme, lui permettant ainsi d'échapper aux mailles du filet de la police et de se rendre à Bamako.

Devoir de mémoire

Le film de Diabou Bessane fourmille d'anecdotes croustillantes racontées par les femmes. Fatou Gaye a rampé sous l'estrade présidentielle et pour venir tendre un journal au président du Cameroun, Ahidjo. On ne peut que dire quelle témérité ! Même si mal lui en a pris. Elles ont brandi des pancartes, sous le nez de De Gaulle. Elles ont, de nuit, placardé des affiches. Elles ont crié "Parité, Parité" avec leurs sœurs maliennes et ceci dès les années 50.
Mais une fois l'indépendance acquise, Mamadou Dia [Président du Conseil des Ministres, Ndlr] les a traitées de communistes, leur interdisant de prononcer le mot parité sous peine d'emprisonnement. Valdiodio [Ndiaye, Ministre de l'Intérieur, Ndlr] leur a interdit de fêter le 8 mars. Les hommes qui craignaient que ces militantes leur fassent de l'ombre ont tôt fait de les mettre sous l'éteignoir.

Pourtant, elles auraient pu être des aigries, au regard de l'oubli qui leur est fait dans les manuels d'histoire contemporaine rédigés par des hommes. Mais que nenni ! L'émotion du film, vient de Jeanne Martin qui sert de fil d'Ariane à la restitution des faits. Elle est touchante, attachante de sérénité. Elle est la gardienne de la mémoire visuelle de cette époque. La photo de groupe de ces femmes résume la complicité qui les unissait et l'inter-africanité de leur combat. La sociologue, directrice laboratoire Genre de l'Ifan, Rokhaya Fall, historienne et directrice du laboratoire Femme de l'Ifan, Sokhna Sané, chercheur au WARC [West Africa Research Centre / Centre de Recherche Ouest-africain, Dakar, ndlr], ainsi que le professeur Koné du musée des forces armées et Amsatou Sow Sidibé, agrégée de Droit, éclairent de leurs explications et analyses l'histoire des femmes dans le combat pour l'émergence d'une conscience nouvelle. La première partie du film nous amène dans l'Afrique précoloniale, avec le défilé de noms de femmes de la résistance contre le colonisation.

Diabou Bessane a réalisé ce film par devoir de mémoire tout en revêtant le manteau de redresseuse de torts. Les mamans de l'indépendance allie esthétique sonore (texte et voix) et esthétique visuelle, jouant sur différents registres émotionnels. On passe de la joie à l'intensité émotionnelle, du fou rire à la sérénité mais jamais d'amertume. Un peu de regret peut être sur les ailes de leur élan brisé.

Baba Diop
Sud Quotidien

article paru dans le quotidien Sud Quotidien, du Vendredi 08 mars 2013.

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