Le 6ème Gulf Film Festival, organisé du 11 au 17 avril 2013, à Dubaï, est l'un des moments privilégiés de rencontre entre les cinéastes des pays du Golfe qui sont tous invités à venir y présenter leurs films. Au fil des sections compétitives, se dessinent les tendances abordées par les réalisateurs confirmés comme par les plus jeunes. Et la programmation des films d'étudiants éclaire les nouvelles voies qui attirent les regards.
La 6ème édition du Gulf Film Festival "se concentre sur les opportunités de l'industrie pour porter les films arabes et ceux de la région du Golfe dans un environnement professionnel pour les professionnels de l'industrie", assurent ses responsables. La qualité des programmes, supervisés par le directeur du festival, Masoud Amralla Al Ali, un cinéphile éclairé, secondé par des collaborateurs performants, permet d'asseoir la réputation d'une manifestation bien organisée, suivie avec profit par le public local et surtout les cinéastes de la région.
La compétition des longs-métrages du Golfe et les films primés révèlent l'écart entre les productions locales à petits budgets, au style souvent figé, et les coproductions plus ambitieuses aux qualités techniques attrayantes. Dans ce contexte, le jury dans lequel figure le réalisateur égyptien Ossama Fawzi, choisit comme Meilleur Film, une fiction déjà plébiscitée au Festival de Venise et au Festival International de Dubaï, Wadjda de Haifaa Al Mansour. La réalisatrice d'Arabie Saoudite s'appuie sur une coproduction allemande pour traiter avec simplicité des émotions d'une fillette qui convoite un vélo interdit. Autour d'elle, les prix locaux se concentrent sur Bekas de l'Iraquien Karzan Kader, une production suisse, Prix du Jury et du Meilleur Réalisateur, Sta per piovere de Haider Rashid, né en Italie, produit entre l'Irak, l'Italie et le Koweït, lauréat de Troisième Prix. Les cinéastes traitent volontiers de la condition de la femme, des espoirs entretenus par les enfants, des errances d'adultes en quête de repères dans les rares longs-métrages en provenance du Golfe.
La tendance se confirme dans les courts-métrages de la région que le jury choisit de primer tel Baghdad Messi de l'Iraquien Sahim Omar Kalifa, Meilleur film, sur les péripéties d'un garçon unijambiste qui rêve de partager des matchs de foot dans son village. On remarque aussi Scrap de Bader Alhomoud, d'Arabie Saoudite, Troisième Prix, sur les problèmes d'une femme conduisant illégalement dans son pays, et Cotton de Luay Fadhil, de l'Irak, Meilleur Réalisateur pour son approche sensible des relations entre la jeunesse et la mort. Les dix programmes de la compétition de courts-métrages du Golfe illustrent ainsi la variété des approches, de l'animation (Daddy ABC de Hamad M. Alawar, Émirats Arabes Unis) au documentaire (-18 de Sameer Al Namri, du Yémen), en passant pas des fictions réalistes (Ka'Bool de Musaed Al-Mutairi, du Koweït), fantasmatiques (Passport Photo, de Yousef Almujeem, Koweït) ou futuristes, (The sons of two suns, de S. A. Zaidi tourné à Dubaï).
Cet éclectisme se retrouve dans la section des films d'étudiants dont le jury est présidé par la réalisatrice française Frédérique Devaux, connue pour ses réalisations indépendantes et sa pratique de la pédagogie [elle est Maître de conférences en cinéma, à l'Université de Marseille / Aix-en-Provence, NDLR]. En marge des projections, elle anime une des Gulf Nights ["Nuits du Golf", ndlr] du festival sur le "cinéma différent", modérée par le critique Salah Sermini. Mais les préoccupations expérimentales paraissent encore assez loin des films d'école visionnés par ce jury, composé en outre de la critique libanaise Rima Mismar et du réalisateur des Emirats, Waleed Al Shehhi.
Aux côtés de Moments de Zbrahim Najem Al Rasbi, un auteur des Emirats qui remporte le Prix du Meilleur Film et celui du Meilleur Réalisateur, en contant l'histoire de deux garçons autour de leur ami disparu, on trouve deux œuvres d'Irak : Women of bricks de Essam Jafar, Deuxième Prix, documentaire sur des ouvrières d'usine, et 48heures de l'Irakien Haider Jumaah, Troisième Prix, sur le désir de fuite éperdu d'un homme hors de son pays.
Comme le révèlent les quatre programmes de films en sélection, les étudiants sont attirés par les formations en audiovisuel les plus intenses, pratiquées dans les Emirats ou au Qatar avec le Doha Film Institute. Mais les formations qui reposent surtout sur des expériences de tournage favorisent la virtuosité de certains dispositifs comme on le voit dans Slow death de l'Iraquien Hussein Al Maliki, la pratique du documentaire de proximité tel Drop outs de Suqrat Bin Bisher, des Emirats, sur l'avenir des jeunes diplômés, ou encore la recherche de valeurs rurales dans Ehfeedh de l'Iraquien Ahmed Al Diwan. Les films regardent alors des communautés marginalisées avec Sons of river de l'Iraquien Omar Falah, ou des individus proches et singuliers dans Collecting my passion de Meera Abdulla Al Mutawa et Mariam Shehab Khanji.
La collaboration entre des réalisatrices est aussi remarquée pour Bader de Latifa Al-Darwish, Sara Al-Saadi et Maaria Assami, du Qatar, qui s'attachent à un écolier à la peau foncée, aspirant à devenir poète. Le film reçoit une Mention qui signale et encourage la place croissante des femmes dans les écoles d'audiovisuel du Golfe. Elles occupent ainsi une bonne partie des quatre séances d'étudiants, présentés cette année à Dubaï. Les essais avec des jeux sur l'image motivent des œuvres comme Balloons de Khaled Al Bayati, de l'Irak, Prix du Meilleur Talent émergent, alors que d'autres restent partisans d'un traitement discret pour valoriser l'histoire tel Just a picture de Nawaf Alhosan, d'Arabie Saoudite, qui reçoit le Deuxième Prix. Mais la tentation d'user des effets spéciaux pour exorciser des apparitions de zombies ou d'esprits du passé, entraine des distorsions parfois excessives à l'écran. Nombre de jeunes cinéastes n'y résistent pas, enrobant leurs histoires de musiques aux synthétiseurs standards, assez envahissants.
La compétition des courts-métrages internationaux, estimée par le même jury, distingue des auteurs au style mesuré : Elmar Imanov d'Azerbaijan, pour The swing of the coffin maker, sur un homme qui prévoit de perdre son fils attardé, et Natalia Saufert, de Moldavie, pour Ana, Prix de la Meilleure Réalisatrice, sur les émotions d'une jeune fille violentée. Ainsi l'invitation faite aux réalisateurs des trois programmes de cette section, favorise le croisement des expériences et de regards à Dubaï. En marge des projections, le Gulf Film Market, du 14 au 17 avril, propose une aide au développement des courts-métrages, des sessions d'information et de financement sur la production, la diffusion et l'engagement dans des projets de production.
Cette volonté de créer les bases d'une incitation à l'établissement d'une industrie du cinéma dans le Golfe en tissant des liens avec des organismes étrangers comme le Robert Bosch Stiftung (une fondation allemande), la New York Film Academy, peut engendrer de nouveaux films, courts ou longs, aptes à alimenter les prochaines éditions du Gulf Film Festival de Dubaï. Car dans cette ville où tout est en construction intensive, le cinéma pourrait lui aussi atteindre des sommets. L'émergence des jeunes réalisateurs participe à une dynamique, capable d'affirmer l'identité des pays du Golfe si on lui en donne les moyens.
Vu par Michel AMARGER
(Afrimages / RFI / Médias France)