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Grigris
Re-poser les corps au Tchad
critique
rédigé par Michel Amarger
publié le 10/07/2013
Michel Amarger (Africiné)
Michel Amarger (Africiné)
Mahamat-Saleh Haroun, réalisateur de Grigris
Mahamat-Saleh Haroun, réalisateur de Grigris
Grigris
Grigris
Grigris
Grigris
Grigris et Mimi
Grigris et Mimi
Grigris
Grigris
Grigris
Grigris

LM Fiction de Mahamat-Saleh Haroun, France / Tchad, 2013
Sortie France : 10 juillet 2013
Distribution : Les Films du Losange

La présence du Tchad dans la carte du cinéma actuel, repose essentiellement sur la reconnaissance internationale de l'oeuvre de Mahamat-Saleh Haroun. Trois ans après avoir remporté le Prix du Jury au Festival de Cannes pour Un homme qui crie, 2010, le cinéaste est revenu en compétition avec Grigris, 2013, qui a valu à son chef opérateur, Antoine Héberlé, de recevoir le Prix Vulcain de la Commission Supérieure Technique (CST) pour son travail sur le film. Cela indique que les images proposées par Mahamat-Saleh Haroun confirment le soin que le réalisateur met à aborder les réalités du Tchad, en développant une écriture personnelle.

Grigris est le surnom d'un homme de 25 ans, paralysé d'une jambe, qui veut être danseur professionnel. Il se produit dans les boîtes de nuit, en ville, éblouissant les fêtards noctambules. La maladie de son beau-père l'oblige à subvenir aux besoins de la famille, pour payer les frais d'hôpital. Il se fait embaucher par des trafiquants d'essence. Et en cours de route, il tombe amoureux de Mimi, une prostituée métisse. Ensemble, ils fuient en campagne, pour échapper aux trafiquants que Grigris a doublés, aspirant à se refaire une vie commune sur d'autres bases.
La caméra suit le personnage principal en s'attachant à restituer sa fébrilité. "Je voulais adopter son point de vue et donner le sentiment d'un personnage en mouvement, en quête de quelque chose", explique Haroun. "Grigris est dans une recherche permanente, et il me semblait que cette manière de l'accompagner et d'épouser sa subjectivité nous rapprochait de lui." En cadrant à hauteur d'homme, le réalisateur concentre l'attention sur l'aspiration du danseur à trouver l'empreinte de son corps dans le monde, plutôt qu'au handicap qui affecte sa jambe. Ainsi la gestuelle particulière de Souleymane Démé, vrai danseur handicapé qui se produit au Burkina Faso, a pu inspirer les rebondissements de Grigris, écrits en fonction de lui.



La rencontre du danseur, devenu trafiquant d'essence, avec une prostituée est donc une affaire de corps qui recouvrent leurs blessures. "Tous les deux sont, par essence, des êtres "anormaux", des infirmes dans leur société et ils malmènent le lieu par lequel passe cette souffrance", commente Mahamat-Saleh Haroun. "Ce lieu, ce sont leurs corps. Ils ont un rapport d'amour - haine vis-à-vis de leur propre corps." Pour échapper à cette position, les héros se lancent dans des défis et une course vitale. "La marge, c'est l'aventure, c'est l'expression du mouvement, et donc de la vie, qui va vers le centre", estime Haroun. "C'est la marge qui peut irriguer et contaminer le centre."
Et pour mieux éclairer les aventures de ses marginaux en rupture, le réalisateur flirte avec le mode du polar, avançant l'envie de "revisiter le film de genre avec un point de vue personnel et une situation bien tchadienne, en évitant les stéréotypes." Il précise : "C'est pourquoi j'ai voulu plonger le spectateur dans un univers codifié, puis m'en éloigner pour explorer d'autres pistes, moins connues : la danse m'a justement donné la possibilité de déstructurer le genre." Le cinéaste se fait parfois réaliste pour souligner la matérialité d'une poursuite dans les égouts. Il utilise en contrepoint des plans-séquences plus stylisés et construits, jouant sur la symbolique de la couleur comme avec le rouge sang de la chambre de Mimi.

Le contraste de traitement, entre la ville où les désirs des héros semblent étouffés, et la campagne où ils vont chercher la possibilité de vivre une nouvelle étape, souligne la pression sociale qui marque la société urbaine au Tchad. Grigris paraît sous la coupe de sa mère, en accomplissant son devoir pour subvenir aux besoins de la famille, en renonçant à ses aspirations de danseur. Puis il se retrouve sous l'emprise du patron de la mafia locale auquel il tente de se soustraire en partant au village. Là, le regard de la communauté des femmes sur le couple se retourne dans une forme de solidarité nouvelle où chacun a une responsabilité constructive.
Mahamat-Saleh Haroun développe ainsi les possibilités d'évolution qu'il cherche à trouver et à provoquer dans les personnages de ses films. Après la famille refondée de Abouna, 2002, le libre choix défini de Daratt, 2006, les héros de Grigris, en quête de rédemption tentent de redéfinir leur place dans la société du Tchad et de fonder un nouveau foyer. Le charisme des comédiens qui entourent le danseur, contribue à la qualité d'image recherchée. Anaïs Monory, repérée par casting, se distingue en jouant Mimi, tandis que Cyril Gueï - qui est le chef de gang - met à profit sa solide expérience au Conservatoire de Paris.

La production française qui réunit plusieurs chaines de télévision, a bénéficié du concours du gouvernement du Tchad. Grâce à la sélection de Cannes et une distribution structurée, Mahamat-Saleh Haroun continue d'élargir son audience tout en voulant conscientiser ses concitoyens. Grigris aborde simplement les problèmes posés par les trafiquants d'essence, les magouilles de la mafia, la prostitution des jeunes files, la dureté du travail dans une volonté de voir évoluer la vie au Tchad comme le revendique Mahamat-Saleh Haroun : "Mon rôle, c'est d'aborder les sujets tabous publiquement pour permettre aux gens d'en parler ouvertement et d'assumer cette réalité, de la questionner."

Vu par Michel AMARGER
(Afrimages / RFI / Médias France)

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