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Les Figues de barbarie, de Wasis Diop
Une méditation sur nos legs
critique
rédigé par Fatou Kiné Sène
publié le 20/08/2013
Fatou Kiné Sène (Africiné)
Fatou Kiné Sène (Africiné)
Wasis Diop, réalisateur
Wasis Diop, réalisateur
Jérôme André, Gérant de campement, dans Les Figues de barbarie, 2013
Jérôme André, Gérant de campement, dans Les Figues de barbarie, 2013
Scène du film
Scène du film
Oumar Ndao, dramaturge et Directeur de la culture et du Tourisme de la ville de Dakar, dans Les Figues de barbarie, 2013
Oumar Ndao, dramaturge et Directeur de la culture et du Tourisme de la ville de Dakar, dans Les Figues de barbarie, 2013
L'artiste plasticien "Joe Ouakam" (Issa R. Samb).
L'artiste plasticien "Joe Ouakam" (Issa R. Samb).
Abdoul Aziz Cissé, réalisateur de La Brèche (2007)
Abdoul Aziz Cissé, réalisateur de La Brèche (2007)
Mahamet-Saleh Haroun, cinéaste tchadien, à la présentation de son film Grigris (2013), à Bordeaux.
Mahamet-Saleh Haroun, cinéaste tchadien, à la présentation de son film Grigris (2013), à Bordeaux.
Le regretté Dijbril Diop Mambéty, cinéaste sénégalais.
Le regretté Dijbril Diop Mambéty, cinéaste sénégalais.
La réalisatrice Mati Diop
La réalisatrice Mati Diop
Magaye Niang dans Mille Soleils (de Mati Diop, 2013), Grand Prix de la Compétition Internationale et aussi Mention Spéciale du Prix du GNCR (Groupement National des Cinémas de Recherche) au 24ème FID de Marseille.
Magaye Niang dans Mille Soleils (de Mati Diop, 2013), Grand Prix de la Compétition Internationale et aussi Mention Spéciale du Prix du GNCR (Groupement National des Cinémas de Recherche) au 24ème FID de Marseille.
Scène du film Les Figues de barbarie
Scène du film Les Figues de barbarie
Les Figues de barbarie, 2013
Les Figues de barbarie, 2013

Touché par la situation catastrophique qu'a entrainée l'ouverture de la brèche dans la langue de barbarie en octobre 2003 à Saint-Louis, sur les côtes Nord du Sénégal, le réalisateur Wasis Diop a réagi à travers un documentaire intitulé Les Figues de Barbarie (21 minutes 20). Le cinéaste sénégalais s'interroge sur notre rapport à la nature. Il convoque l'histoire, notre passé. Car, rappelle-t-il, la relation avec l'environnement était jadis quelque chose de naturelle, une sagesse innée. Nos ancêtres dialoguaient avec la mer. Durant des siècles, la mer et le fleuve Sénégal ont toujours cohabité. Ceci a été entretenu par grand-mère. Car, raconte-t-on dans le film, chaque fois, plusieurs fois par an, elle venait avec son cortège, parée de bijoux, marchant au rythme du tam-tam, verser du lait sur la plage.
Wasis Diop rappelle les raisons de ce geste. Elle disait que, la mer aussi avait besoin de boire, le sang qui coule dans nos veines nous dispense-t-il de boire ? "La mer ne boit pas la mer, il faut l'abreuver, sinon elle se fâchera". La caméra montre un feu allumé sur la plage par les génies du fleuve pour défier la mer. Cet espace infini, calme malgré la proximité entre le fleuve et la mer.

Mais ce chien qui passe annonce le danger. Comme dans la cosmogonie dogon ou bien la mythologie grecque où le chacal, symbole de toutes les difficultés, est l'annonciateur du péril. Ce chien longeant la plage prédit la catastrophe. Ces voix fantômes et silences musicaux pesants sont prémonitoires. Le cinéaste se désole du legs des ancêtres abandonné au profit d'autres pratiques modernes. Mais celui qui est responsable de tout cela, c'est l'humain.
La mer se déchaîne et envahi le fleuve. L'homme désespéré cherche des solutions pour arrêter la colère des dieux. Des bénévoles sur la plage mettent en place une digue dérisoire faite de pneus qui n'a pas duré un mois, et le barrage de Diama vu comme une prison verrouillée est là pour stopper la mer. Mais rien de tout cela n'arrête ces grosses vagues. Elles ont anéanti l'espérance des hommes. Comme ce fut le cas en octobre 2003, où l'océan avait percé la langue de Barbarie.

Le gérant de campement, Jérôme André, qui a vécu en direct cet assaut de la mer - raconte le déroulement des faits : "la mer a rejoint le fleuve, en aval au sud de l'embouchure - situé près de l'hydrobase - qui peut être relié en dix minutes de marche sur la plage alors qu'il fallait une heure de ballade auparavant". Ce qui donne une idée de l'ampleur des dégâts. La mer agitée continue de monter dangereusement. Sur les images, elle engloutit les arbres et menace le fleuve. La langue s'est retrouvée malmenée, prisonnière entre les fortes pressions de l'océan atlantique et les délestages du barrage de Diama.

Notre rapport au temps

Pour le réalisateur, l'on suit toutes ces lignes droites sans plus jamais écouter notre histoire ? Ce qui fait dire au dramaturge Oumar Ndao, que depuis qu'on a commencé à détruire la nature, on a des problèmes. Il fait surtout savoir que nous étions dans un mouvement harmonieux, dans un cycle qui est celui de la nature et non dans cette ligne droite imposée. Oumar Ndao donne comme exemple le puits, la case, le chapeau tengado, la terre, ils sont ronds. Il évoque Franck Fanon qui disait : "L'une des premières atteintes de la colonisation, c'est d'avoir introduit la ligne droite". Sur les images, la pénétration coloniale impose sa "rectilignité" avec la construction des chemins de fer.

Cette ligne droite, linéaire calquée au temps comme gagner du temps qui est de l'ordre de l'intérêt et du profit, est différent de notre tempérament qui n'a ni à gagner, ni à perdre, qui est de l'ordre du social, ici tout se transforme. Ce rapport au temps différent d'un lieu à un autre. Il n'est pas le même partout dans le monde. Donc il ne doit pas être imposé.
L'artiste plasticien Joe Ouakam l'illustre dans ses salamalecs en n'en plus finir. Sa cour est balayée par la caméra qui montre son univers de masques, de squelettes, de tableaux, une étagère de papiers d'archives… L'Afrique n'est pas guidé par le temps contrairement à ailleurs où le temps est de l'argent, "time is money", disent les Américains.

Le réalisateur appelle à un retour à nos croyances. Wasis Diop n'invite pas à un retour vers le passé, mais à cette sagesse africaine dont le monde entier nourrit de l'espoir. Le cinéaste, qui vit à l'étranger, s'alimente de l'imaginaire africaine. Il revient souvent sur cette thématique dans ses nombreuses œuvres artistiques. Il appelle à une méditation sur ce qui nous arrive et met à l'écart ces solutions théoriques couchées sur papier et irréalisables, car coûtant trop chères.
Pendant des siècles la mer n'a pas bougé et tout d'un coup, elle vient à grand pas, comment cela se fait-il ? se demande-t-on dans le film. Pour lui, la terre vie, il ne faut pas la violenter. Son film Les figues de Barbarie rappelle un autre. Celui du Sénégalais Abdoul Aziz Cissé, intitulé La Brèche, réalisé en 2007 (documentaire, 26 minutes), qui traite du même sujet, invite lui aussi à la préservation de rituels et à la symbolique de l'eau qui rythme l'imaginaire de ces populations.

Dans Les Figues de Barbarie, la musique y est bien présente et constitue même un personnage principal. Elle accompagne la colère des dieux. Cela ne surprend guère, car le réalisateur est avant tout compositeur. Il est l'auteur de plusieurs musiques de films de cinéastes africains dont le Tchadien Mahamet-Saleh Haroun.
Wasis Diop a remporté le Prix de la meilleure musique au Fespaco 2011. Il est aussi photographe. L'esthétique des images confirme ses talents dans ce domaine.

Wasis Diop marche sur les pas de son défunt frère cinéaste Dijbril Diop Mambéty. Il en est à son deuxième documentaire après Joe Ouakam, portrait éponyme réalisé sur le plasticien en 2010. Sa fille Maty Diop emprunte le même chemin : elle vient d'être primée au 24ème FID de Marseille pour Mille Soleils (ce moyen métrage est sélectionné au prochain TIFF 2013, Toronto, le plus grand festival d'Amérique du Nord).

Le documentaire Les figues de Barbarie a été projeté en avant-première au festival de Jazz de Saint-Louis, tenu du 15 au 19 mai dernier avec un colloque sur le thème "Changements climatiques et modifications de l'écosystème de la langue de Barbarie".

Fatou Kiné SENE

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