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La Vie d'Adèle
Une passion de filles primée à Cannes en débats
critique
rédigé par Michel Amarger
publié le 07/10/2013
Michel Amarger (Africiné)
Michel Amarger (Africiné)
Le réalisateur Abdellatif Kechiche
Le réalisateur Abdellatif Kechiche
La Vie d'Adèle
La Vie d'Adèle
La Vie d'Adèle
La Vie d'Adèle
Adèle Exarchopoulos dans La Vie d'Adèle
Adèle Exarchopoulos dans La Vie d'Adèle
Léa Seydoux dans La Vie d'Adèle
Léa Seydoux dans La Vie d'Adèle
La Vie d'Adèle
La Vie d'Adèle
La Vie d'Adèle
La Vie d'Adèle
La Vie d'Adèle
La Vie d'Adèle
La Vie d'Adèle
La Vie d'Adèle
Les actrices Léa Seydoux et Adèle Exarchopoulos
Les actrices Léa Seydoux et Adèle Exarchopoulos
La Vie d'Adèle
La Vie d'Adèle
La Vie d'Adèle
La Vie d'Adèle
La Vie d'Adèle
La Vie d'Adèle
La Vie d'Adèle
La Vie d'Adèle
La Vie d'Adèle
La Vie d'Adèle
La Vie d'Adèle
La Vie d'Adèle

LM Fiction de Abdellatif Kechiche, France, 2013
Sortie France : 9 octobre 2013

La Palme d'Or remise au Festival de Cannes, pour La Vie d'Adèle de Abdellatif Kechiche, consacre une production française en troublant les autorités de Tunisie d'où est originaire le réalisateur. En adaptant la bande dessinée Le bleu est une couleur chaude de Julie Maroh, il exalte le coup de foudre et l'amour de deux femmes dont les relations occupent l'écran dans tous les sens. Un sujet qui divise la société tunisienne où l'homosexualité est réprimée. Et si le Ministre de la Culture a félicité tièdement Kechiche pour "cette reconnaissance internationale", d'autres comme le fondateur du parti de l'Union patriotique libre y voient une "honte" pour la Tunisie. Cet avis peut être partagé par d'autres pays d'Orient où la vision de deux lesbiennes choque, heurte la religion, limitant sa diffusion. Un obstacle que le réalisateur se déclare prêt à contourner en coupant quelques scènes explicites : "Ce sont des choses qui se discutent avec les distributeurs étrangers".



La Vie d'Adèle découpe en deux chapitres le destin d'une lycéenne qui s'enflamme pour le roman de Marivaux, La Vie de Marianne. L'élève à la beauté brute et sensuelle, ébauche une liaison avec un jeune garçon. Elle se cherche au milieu des adolescents provocateurs qui la renvoient à son désarroi jusqu'à ce qu'elle croise le regard d'Emma. Celle-ci, plus âgée, arbore crânement une chevelure courte et bleue, affichant son goût pour les femmes. Le coup de foudre est immédiat, ravageur, car le baiser d'une fille à Adèle lui a révélé son attirance pour le même sexe. Elle retrouve Emma dans une boite de nuit pour lesbiennes, se confronte à elle dans une danse de séduction à fleur de peu. Emma qui étudie les Beaux Arts, initie Adèle à la peinture via les nus féminins accrochés dans un musée, renvoyant les deux filles à leur attirance.
Le deuxième chapitre qui occupe le tiers du film, installe Adèle dans une vie de couple lesbien. Le propos se fait direct, défendant le droit d'être soi-même, d'aimer librement dans la société française. Kechiche ne lâche pas les deux héroïnes, reléguant presque leur entourage dans les recoins de l'image. Au fil du temps qui passe, des ellipses posées, le bonheur se fissure. Des options de vie différentes se dessinent entre les amantes. La simplicité d'Adèle qui aspire à être enseignante, est valorisée tandis que le réalisateur considère avec distance les valeurs de Emma et le milieu de l'art. C'est ainsi que la perte de la passion permet d'en mesurer l'intensité.

Abdellatif Kechiche suit fidèlement les deux tiers du récit originel puis s'en écarte selon ses propres vues. "Il s'agissait de raconter comment une rencontre se produit, comment cette histoire d'amour se construit, se déconstruit, et ce qu'il reste de l'amour éveillé ensemble, après une rupture, un deuil, une mort", explique Julie Maroh, l'auteur de la bande dessinée. Elle a avalisé le projet et cédé les droits d'adaptation à Kechiche, en déclarant : "Aucun de nous n'avait une intention militante, néanmoins j'ai très vite pris conscience, après la parution de la bande dessinée que le simple fait de parler d'une minorité quelle qu'elle soit participe à en défendre la cause". Fort de cet appui, le réalisateur a écarté Julie Maroh de la fabrication du film pour travailler selon son mode, en toute liberté ; puisqu'il en est aussi producteur.
Kechiche livre alors une fiction assez longue et abrupte qui repose sur la prestation des actrices et leur abandon. Adèle Exarchopoulos incarne l'adolescente qui se découvre. Elle est la révélation du film aux côtés de Léa Seydoux, comédienne plus confirmée, qui exploite sa grâce plus mûre, protectrice, dans des scènes de séduction étirées qui irriguent le film. Kechiche aime laisser filer les séquences, profitant du temps pour saisir les détails, observer les frémissements des actrices. Comme souvent, il cadre au plus près des visages, des corps, pour traquer les restes de l'enfance chez Adèle, la dureté qui perce chez Emma. La Vie d'Adèle tente alors de s'imposer comme un film où l'art est dépassé par les sens. Ceux de la sexualité libérée, ceux de la vie à définir.

La captation de ce spectacle simple s'est accomplie dans la fièvre de travail habituelle de Kechiche. Cet auteur exigeant, qui a été un acteur fougueux et turbulent (Le thé à la menthe de Abdelkrim Bahloul, 1984, Bezness de Nouri Bouzid, 1992, La boite magique de Rida Behi, 2001), aborde toujours la réalisation en bousculant ses acteurs, ses techniciens, jusque dans leurs limites. Tourné sur cinq mois, le film consacre l'engagement d'une équipe, en dépassant les horaires, bouleversant le planning sans toujours s'encombrer de la forme des conditions de travail. Au final, le réalisateur a accumulé 750 heures de rushes qui lui ont permis de réécrire le film avec l'aide de six monteurs, dans les locaux de sa société de production Quat'Sous Films, sur les hauteurs de Paris. L'aventure a épuisé les troupes, soulevée des critiques intenses que la Palme d'Or attribuée au film a semblé atténuer.

A 52 ans, Abdellatif Kechiche impose sa marque dans le cinéma d'auteur français en affirmant son indépendance. Lauréat à Venise pour La faute à Voltaire, 2000, récompensé pour le succès public de L'esquive, 2004, primé pour La Graine et le Mulet, 2006, l'accueil en demie teinte de Vénus noire, 2010, ne l'a pas ébranlé. Le triomphe de La Vie d'Adèle relance la donne. Même si le budget initial (quatre millions d'euros) a été dépassé à cause des exigences du réalisateur, la diffusion mondiale, assurée par les ventes à Cannes, lui permet de rayonner. Reste alors une œuvre aux contours intimistes qui ambitionne de respirer l'amour et les sens entre femmes, dans une histoire fleuve.
Histoire d'amour plantée dans la société française mais dont l'angle ouvert peut aspirer à aiguiser le vent de liberté des révolutions arabes, comme l'a souhaité Kechiche en recevant la Palme d'Or à Cannes : "Je veux dédier ce prix et ce film à cette belle jeunesse de France qui m'a beaucoup appris sur l'esprit de liberté, de tolérance et de vivre ensemble, et je voudrais la dédier également à une autre jeunesse, celle de la révolution tunisienne, pour leur aspiration à vivre librement, s'exprimer librement, et s'aimer librement."

Vu par Michel AMARGER
(Afrimages / RFI / Médias France)

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