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Festival international du film francophone de Tübingen-Stuttgart 2013
Cissé, cinéaste du Temps
critique
rédigé par Djia Mambu
publié le 20/11/2013
Le cinéaste malien Souleymane Cissé (au milieu), entouré de Christopher Buchholz, Directeur du Festival de Tübingen et de la Présentatrice de la soirée.
Le cinéaste malien Souleymane Cissé (au milieu), entouré de Christopher Buchholz, Directeur du Festival de Tübingen et de la Présentatrice de la soirée.
Djia Mambu (Africiné)
Djia Mambu (Africiné)
Souleymane Cissé, avec l'acteur malien Mohammed Ag Abdoulaye Haïdara (au milieu) et le cinéaste camerounais Jean-Marie Teno.
Souleymane Cissé, avec l'acteur malien Mohammed Ag Abdoulaye Haïdara (au milieu) et le cinéaste camerounais Jean-Marie Teno.
Le Malien Mohammed Ag Abdoulaye Haïdara (acteur dans Rumeurs de guerre), Souleymane Cissé et le réalisateur Jean-Marie Teno.
Le Malien Mohammed Ag Abdoulaye Haïdara (acteur dans Rumeurs de guerre), Souleymane Cissé et le réalisateur Jean-Marie Teno.
Bärbel Mauch et Bernd Wolpert, programmateurs, entourant l'acteur Mohammed Ag Abdoulaye Haïdara.
Bärbel Mauch et Bernd Wolpert, programmateurs, entourant l'acteur Mohammed Ag Abdoulaye Haïdara.
Scène de N'GUNU N'GUNU KAN, 2013, de la réalisatrice Soussaba Cissé
Scène de N'GUNU N'GUNU KAN, 2013, de la réalisatrice Soussaba Cissé
Poster du film "Une Feuille dans le Vent" (JM Teno)
Poster du film "Une Feuille dans le Vent" (JM Teno)
Souleymane Cissé & Jean-Marie Teno
Souleymane Cissé & Jean-Marie Teno

Il y a 25 ans, Yeelen ("La Lumière") était présenté durant le tout premier programme Focus Afrique qui consacre les cinémas du continent noir et leurs auteurs au Festival international du film francophone de Tübingen-Stuttgart (30 octobre-6 novembre 2013). Aujourd'hui, la 30ème édition du plus grand festival de film francophone en Allemagne rend hommage au Malien Souleymane Cissé avec une rétrospective à ses œuvres principales. Bärbel Mauch, Jörg Wenzel et Bernd Wolpert en sont les programmateurs.

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Assis sur un siège à l'arrière du studio Museum de Tübingen, Souleymane Cissé veut regarder les premières minutes de Waati ("Le Temps"). Comme avec tous ses films projetés au festival, il veut s'assurer que le son est bien au niveau. Peu de temps après le début du film, une dame entre et cherche une place dans le fond de cette salle remplie. C'est Cissé lui-même qui se lève pour lui céder la place. En aucun cas, quelqu'un devrait manquer l'occasion de voir ce film. Lui, suivra le reste de la séance sur les marches du studio.

Waati, le plus panafricaniste

À sa sortie en 1995, Waati est rejeté par les milieux festivaliers européens. 18 ans plus tard, c'est un tout autre accueil qui lui est réservé à Tübingen où il est présenté en première allemande sur grand écran. Il raconte le périple de Nandi, fille d'un ouvrier agricole sud-africain noir, qui grandit à l'époque de l'apartheid et qui va traverser la Côte d'Ivoire, la Namibie et le Mali avant de revenir sur ses terres.
Réalisé il y a 20 ans, il pose les vrais problèmes du continent d'aujourd'hui. "On pensait à l'avenir de ce continent, quand on a tourné", dit le cinéaste malien. Souleymane Cissé raconte que c'est lors du tournage de Yeelen qu'il songe à faire ce film après qu'un Sud-Africain lui ait demandé: "Quand est-ce que vous allez faire un film sur nous ?".

Tourné dans plusieurs pays, c'est sans doute le film le plus coûteux qu'il ait réalisé. C'est aussi son film le plus panafricaniste mais paradoxalement le moins vu. Sélectionné en compétition internationale du festival de Cannes la même année, il provoquera une réaction dramatique, particulièrement chez l'une des membres du jury, l'écrivaine sud-africaine Nadine Gordimer. Récipiendaire du prix Nobel de littérature en 1991 et connue pour son combat contre l'apartheid, elle aurait jugé que "l'œuvre ne méritait pas d'être sélectionnée".

"J'ai tout donné financièrement pour ce film et en récompense, il a été bloqué", regrette Cissé, "À part la France, à l'époque, aucun festival de film européen n'a voulu de Waati, on lui a reproché d'être trop caricatural", explique Cissé, "J'ai vu bien pire dans des films sur les nazis... Je crois que le malheur de ce film, c'est qu'il est fait par un Africain. Ça aurait été diffèrent si c'était fait par un Blanc".
Cette expérience a atteint le cinéaste, financièrement mais aussi psychologiquement. Il songera même à arrêter sa carrière cinématographique. Ce n'est que 15 ans après qu'il réalise Minye (2009), son dernier métrage connu à ce jour.
Cependant au Mali, ainsi que dans les pays voisins, il aura été difficile de censurer Waati. Les autorités se voyaient mal interdire le film d'un des rares cinéastes du pays à l'époque qui avait déjà été maltraité et emprisonné pour son tout premier long métrage Den Muso (La Jeune Fille, 1975).

L'éternel Yeelen

"Yeelen est le film le plus contemporain, que j'ai fait", dit Souleymane Cissé. Au départ, jugé film nostalgique de l'époque coloniale, voire touristique, Yeelen finira par s'imposer pour ce qu'il est : une véritable histoire intemporelle.

Thierry Méranger, critique aux Cahiers du cinéma et enseignant au lycée Rotrou à Dreux où il est en charge de la section cinéma. Tous les ans, les étudiants analysent trois films. Jusqu'à cette année, Yeelen en faisait partie. "Au départ, ce n'était pas évident, car ça fait appel à une culture étrangère. Mais à l'arrivée, après avoir échangé plusieurs fois sur les séquences, les élèves ont développé une vraie familiarité avec le film. C'était captivant de constater que Yeelen leur parlait plus que d'autres films européens. Avec leurs armes, c'est-à-dire leur regard, ils sont parvenus à trouver dans l'image des ressources qui leur permettaient de voir des choses universelles dans le film", poursuit-il.
"La culture africaine n'est pas l'essentiel dans le film. On peut parfaitement ne pas connaître le Bambara ou le Dogon et trouver un intérêt à ce film. Il est cohérent et on perçoit tous les symboles automatiquement, même si on n'est pas du tout anthropologue, géographe ou même Malien. Il y a une symbolique assez forte pour pouvoir être saisi de façon intuitive par tout le monde, sans en même temps que ça soit trop simple. Il y a un juste équilibre autour du film", conclut-il.

Table ronde sur le Mali et l'œuvre de Cissé

Lors de la table ronde sur l'œuvre de Cissé, le cinéaste Jean-Marie Téno se souvient de sa rencontre avec l'auteur, alors qu'il était encore reporter universitaire. Il confiera que c'est en voyant Baara ("Le Travail") qu'il a eu envie de faire du cinéma. "J'étais un des rares journalistes noirs au festival de Ouagadougou et je cherchais à interviewer Souleymane Cissé", raconte-il. "Baara m'a bouleversé ! Pour la première fois enfin, je voyais un riche récit africain sans stéréotypes. Pendant longtemps et jusque-là, c'étaient les Européens qui représentaient les Africains et l'Afrique à travers des stéréotypes. Souleymane Cissé a introduit cette complexité contrairement à la simplicité qu'on avait l'habitude de nous présenter". Durant leur entrevue, le futur réalisateur camerounais lui relève un détail du film qui lui avait marqué. Surpris par cette finesse, Cissé lui répondra : "Tu ne devrais pas écrire, tu devrais faire des films !". L'année suivante, il entamera sa première œuvre.
Dans le cadre de ce 35ème Festival de Tübingen, Jean-Marie Téno accompagnait son dernier film "Une Feuille dans le Vent", un témoignage poignant d'Ernestine Ouandie, la fille d'Ernest Ouandie, combattant pour l'indépendance du Cameroun qui sera exécuté en 1971.

Rumeurs de guerre de Soussaba Cissé en Première Internationale

Soussaba Cissé, la fille de Souleymane Cissé, présentait son premier long métrage Rumeurs de guerres (Ngunu Ngunu Kan) à Tübingen. C'est l'un des acteurs principaux, Mohammed Ag Abdoulaye Haïdara, aussi régisseur, qui a accompagné le film auprès du public. "J'ai travaillé sur quelques films de Souleymane Cissé. J'étais ravi de collaborer sur celui de Soussaba, en particulier sur ce sujet", dit-il. Le film offre un regard sur l'atmosphère de la capitale malienne et les rumeurs circulant suite au déclenchement des conflits au Nord depuis janvier 2012.
Souleymane Cissé apparaît d'ailleurs dans l'une des scènes en pleine discussion entre voisins d'un quartier de la ville. On ne l'avait pas vu devant les caméras depuis sa brève apparition dans Finyè en 1983 (le professeur qui proclame les résultats du Bac aux élevés), film basé sur des faits réels vécus en 78-79.
Actuellement, Souleymane Cissé finalise son documentaire Ô Sembène, en hommage à son ami défunt, le Sénégalais Sembène Ousmane.

par Djia Mambu,
Tübingen, Novembre 2013

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