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La Bataille de Tabatô
Rumeurs des luttes en Guinée Bissau
critique
rédigé par Michel Amarger
publié le 12/12/2013
Michel Amarger (Africiné)
Michel Amarger (Africiné)
João Viana, réalisateur
João Viana, réalisateur
Fatu Djebaté et Mamadu Baio, dans La Bataille de Tabatô
Fatu Djebaté et Mamadu Baio, dans La Bataille de Tabatô

LM Fiction de Joäo Viana, Portugal, Guinée-Bissau, 2013
Sortie France : 18 décembre 2013

Les images produites en Guinée Bissau sont épisodiques même si Flora Gomes s'est imposé comme un leader du cinéma local depuis Mortu Nega, 1988. Mais son dernier film, La République des enfants, 2013, est encore une coproduction extérieure, en partenariat avec le Portugal, et la France, tournée au Mozambique. Faute d'une situation interne stable, ce sont plutôt les réalisateurs portugais qui explorent la situation de leurs anciennes colonies. Miguel Gomes a réveillé la nostalgie de l'époque coloniale dans Tabou, 2012, mettant en scène une Afrique coloniale fantasmée. De son côté, Joäo Viana aborde la Guinée Bissau d'aujourd'hui avec une autre fiction, La Bataille de Tabatô, 2013.

On accompagne le retour de Baio après 30 ans d'exil. Il vient pour assister au mariage de sa fille Fatu. Le fiancé, Idrissa, est chanteur du groupe Supercamarimba. La cérémonie doit se dérouler à Tabatô, son village, fameux pour ses griots. Fatu mobilise alors une voiture que Baio conduit pour l'emmener de Bolama au village. En chemin, les fantômes de la guerre viennent bourdonner aux oreilles de Baio, causant un accident. Alors qu'Idrissa les attend et se prépare pour le mariage, les esprits manifestent un mauvais présage. Sur les lieux de l'accident, il récupère le corps sans vie de Fatu. Son père, désemparé, trouve à Tabatô l'inspiration pour faire taire les échos des démons de la guerre.



Sur ce récit assez minimal, Joäo Viana dissout l'intrigue plus qu'il ne l'explicite. Il étire le temps des déplacements pour cadrer des scènes noir et blanc, soigneusement composées, un peu théâtralisées. Les trois acteurs principaux figurent des personnages mystérieux dont le passé reste hors-champ, suggéré seulement par des indices qui en dévoilent des fragments, liés à l'histoire du pays. "En Guinée Bissau, on respire la guerre. Elle n'est pas qu'un lointain souvenir évoqué dans les livres d'école ou les films d'archives", relève le réalisateur. "La guerre d'indépendance, il y a 36 ans, a marqué le début d'une série d'affrontements qui n'a jamais vraiment pris fin." Ce constat sert de fondement au film sans qu'il ne relate rien des troubles ni des causes des combats qui scandent l'histoire de la Guinée Bissau.

"La Bataille de Tabatô est d'abord un film sonore", souligne Joäo Viana. "La guerre devait être évoquée par le son mais il convenait d'éviter l'écueil des sons psychologiques, en off, qui auraient été associés à la démence du protagoniste." L'ancien combattant revit alors les conflits par les bruits, en rapport avec des objets étranges qu'il transporte dans sa valise. Sa fille écoute plus volontiers la radio dans la voiture, ou les craquements des tissus qu'elle manipule. Le fiancé chanteur est associé à des instruments traditionnels qui rythment ses apparitions. Ainsi la richesse de la bande sonore s'appuie sur des bruits syncopés ou assourdis, en lien avec les objets qui parsèment le champ de la caméra. Le titre du film prend sens dans l'histoire de Tabatô, village où les cultures des Mandingues et des Peuls se croisent avec les griots.

Joäo Viana a tourné sur place, à Bolama et Bissau, avec l'appui d'une production du Portugal où il réside. Né en Angola, d'abord technicien puis scénariste, le cinéaste collabore avec les réalisateurs portugais réputés. Il réalise des courts-métrages, La Piscine, 2004, Alfama, 2012, avant La Bataille de Tabatô. Le film s'inscrit dans le courant du cinéma portugais d'auteur, en puisant sa singularité dans l'atmosphère de la Guinée Bissau. Il souligne la force des cultures et de esprits, en marquant la volonté de dépasser les traumatismes des guerres par l'art, la musique. Tout en se référant aux traditions sur un mode conservateur, Joäo Viana développe une méditation amère sur la place des femmes et le pouvoir concret des artistes. L'univers des griots est traversé par le prisme d'un cinéma aux accents ésotériques, âpre comme un conte d'auteur, éprouvant ou envouteur.

Vu par Michel AMARGER
(Afrimages / RFI / Médias France)

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