AFRICINE .org
Le leader mondial (cinémas africains & diaspora)
Actuellement recensés
25 008 films, 2 562 textes
Ajoutez vos infos
C'est eux les chiens
Le mordant du cinéma marocain
critique
rédigé par Michel Amarger
publié le 05/02/2014
Michel Amarger (Africiné)
Michel Amarger (Africiné)
Hicham Lasri, réalisateur du film
Hicham Lasri, réalisateur du film
Jillali Ferhati, réalisateur de Mémoire en détention (Dakira Moatakala), 2004, Maroc
Jillali Ferhati, réalisateur de Mémoire en détention (Dakira Moatakala), 2004, Maroc
Hassan Badida (Mahjoul) dans C'est eux les chiens
Hassan Badida (Mahjoul) dans C'est eux les chiens
Scène du film
Scène du film
Scène du film
Scène du film
Scène du film
Scène du film
Scène du film
Scène du film
Scène du film
Scène du film
Scène du film
Scène du film
Scène du film
Scène du film
Scène du film
Scène du film
Scène du film
Scène du film
Scène du film
Scène du film

LM Fiction de Hicham Lasri, Maroc, 2013
Sortie France : 5 février 2014

Le cinéma d'auteur au Maroc, se heurte parfois à la mémoire des années dures du règne de Hassan II, sans occulter les difficultés et évolutions de l'époque de Mohamed VI. Jillali Ferhati défriche le terrain avec Mémoire en détention, 2004, qui aborde les souvenirs d'un prisonnier des "années de plomb", tandis que Hassan Benjelloun évoque les tortures dans La chambre noire, 2004. Leïla Kilani traite plus directement le sort des prisonniers disparus dans les prisons royales, par son documentaire Nos lieux interdits, 2008. La volonté de rafraîchir les mémoires pour régler des comptes, jadis occultés, en les reliant aux changements survenus dans le Maghreb, est un double défi que relève Hicham Lasri avec C'est eux les chiens, 2013.

BA - C'est eux les chiens... Hicham Lasri (sortie 5 fev 2014) - Africine.org from Africiné www.africine.org on Vimeo.



Les révolutions qui secouent la Tunisie, l'Egypte, au printemps 2011, trouvent un écho au Maroc où la jeunesse descend dans la rue. Une équipe de télévision, chargée d'un sujet sur les manifestations à Casablanca, change de cap lorsque le commentateur repère dans la foule un homme qu'il reconnaît et qui avait disparu. Celui-ci ne se rappelle plus son nom mais le matricule 404, reçu lors de son incarcération, en 1981, à la suite des "émeutes du pain". Il semble sortir de prison alors que la plupart des détenus politiques ont été libérés depuis dix ans, et cherche à retrouver sa femme et ses enfants.
Le journaliste et ses deux techniciens décident de le suivre et de l'aider dans sa quête désordonnée, en le prenant comme sujet d'émission. "404" cherche ses amis et se cogne à des rideaux fermés, déconcerté par le déménagement de sa femme. Lorsqu'il retrouve l'un d'eux, grâce au contact établi par un technicien, en lien avec la police, le choc est frontal. Mais peu à peu, dans les rues chaotiques de Casablanca, "404" renoue des fils de son passé, trouve des repères, retrouve sa maîtresse de l'époque, rentre en contact avec sa famille qui réserve peu de place à un homme donné pour mort.

Ce périple d'un retour est filmé caméra portée, avec la fièvre qui caractérise la démarche de Hicham Lasri pour "capter la course d'un revenant qui essaie de regagner sa place dans un monde à la fois familier et totalement différent". L'histoire conjugue deux époques. "Le retour de "404" se déroule durant ce moment d'exaltation et de désillusion qu'est le Printemps arabe", explique le cinéaste. "A ces révoltes, se superposent les émeutes du pain de 1981. Le temps se disperse et les étincelles se mélangent." Ce bouillonnement est vécu intensément par "404" qui semble toujours ressentir les douleurs du passé.
La course se fait haletante, rappelant que les manifestants de 1981 voulaient avant tout manger alors que ceux qui parcourent Casablanca 30 ans après, cherchent une reconnaissance dans leur société. En dépassant le simple reportage factuel sur leurs motivations, le journaliste et son équipe tentent de fixer dans le portrait de "404", les traces de la répression qui a pu laminer toute une génération sans lui permettre de transmettre son expérience et ses réflexions. Le film engendre ainsi un constat amer, susceptible d'être récupéré par la chaîne de télé qui présente "404" comme l'indice de la réconciliation nationale.

Hicham Lasri confond les images du tournage effectué par les opérateurs de télé avec les vues qui composent son propre film, plaçant les spectateurs devant une sorte de téléréalité qui s'affiche pour mieux se dénoncer. "J'ai fait le choix d'être opérateur", confie t-il, "pour plonger moi et ma caméra dans le tumulte de Casablanca." Les frémissements de l'objectif, les décadrages, les gestions de lumières abruptes détournent des codes documentaires pour mettre en exergue la fiction qui sait désacraliser le réel. Les dialogues hors-champ, les problèmes techniques du son direct, soulignés, l'absence de musique, contribuent à donner au film des allures de vidéo spontanée.
Derrière cet air improvisé qui exaspère ou amuse, C'est eux les chiens se révèle une histoire très écrite, composée pour saisir le spectateur comme le héros, en proie à sa mémoire fragmentée. Le réalisateur mêle des plans pris aux télés pour coller aux moments du Printemps arabe, vu du Maroc. Les temps et les époques convergent via la figure de "404", habitée par Hassan Badida. Et Hicham Lasri dirige ses acteurs principaux en les disposant en situation, au milieu de non professionnels pour intensifier la véracité d'une fiction en prise avec son temps.

C'est eux les chiens traverse plusieurs strates de la société marocaine, abordant la présence des Sub-sahariens qui transitent en clandestins, la compromission d'anciens opposants à des postes de responsabilité, la délinquance qui court dans les rues, l'éclatement des familles minées par l'adultère, l'effacement d'une génération de révoltés. La diffusion appuyée de prières, la circulation clandestine de l'alcool pointent dans le trajet nerveux des héros. Car le film semble palper les dérives des hommes pour mieux les pousser à réagir.
La production est soutenue par la société du réalisateur Nabil Ayouch, sensible au style audacieux de The end, 2011, le premier long-métrage de Lasri. Cette fiction attachée à évoquer la fin du règne de Hassan II, avec des personnages typés et des clins d'œil au cinéma, a révélé sa virtuosité. Le réalisateur a affiné son inclination pour les images marquantes en signant des pubs et des clips. C'est eux les chiens témoigne de son inspiration pour filmer Casablanca. Il manie la caméra comme un objet intrusif, un médium opprimant. Mais grâce à elle, Hicham Lasri expose des émois déchirants, en sondant le pouvoir de l'image comme dans un jeu féroce et révélateur.

Vu par Michel AMARGER
(Afrimages / RFI / Médias France)
, pour Africiné

Films liés
Artistes liés
Structures liées
événements liés