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La Voie de l'ennemi
Duel intérieur dans le désert américain
critique
rédigé par Michel Amarger
publié le 08/05/2014
Michel Amarger (Africiné)
Michel Amarger (Africiné)
Rachid Bouchareb, réalisateur de La Voie de l'ennemi
Rachid Bouchareb, réalisateur de La Voie de l'ennemi
La Voie de l'ennemi
La Voie de l'ennemi
Scène du film
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Scène du film
Scène du film
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Scène du film
Scène du film
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Scène du film
Scène du film
Scène de tournage, Forrest Whitaker et Rachid Bouchareb
Scène de tournage, Forrest Whitaker et Rachid Bouchareb
Affiche du film, en arabe
Affiche du film, en arabe

LM Fiction de Rachid Bouchareb, France / Algérie, 2014
Sortie France : 7 mai 2014

Alors que l'Etat de l'Algérie encourage les films sur son histoire [lire l'analyse de Samir Ardjoum], Rachid Bouchareb vise l'horizon américain avec La voie de l'ennemi, 2014. Il est vrai que le cinéaste, né à Paris, cultive ses racines algériennes en les distillant dans des échappées lointaines depuis ses premiers films. Attiré par les grands espaces américains (Bâton Rouge, 1985), l'Asie (Poussières de vies, 1994), Bouchareb se rapproche de l'Algérie (Cheb, 1991, Indigènes, 2006, Hors-la-loi, 2010), sans perdre de vue le lien entre les continents (Little Senegal, 2001) et les différences de civilisations (London River, 2009, Just like a woman, 2011). "J'ai toujours été sensible aux mouvements de population, à l'immigration, aux franchissement des frontières, aux rencontres entre les cultures", reconnaît l'auteur de La voie de l'ennemi. "Le film était une manière d'aborder en filigrane ces problématiques."
Le personnage principal est un prisonnier noir qui achève de purger sa peine au sud des Etats-Unis. Condamné pour meurtre, il s'est converti à l'Islam et sort de prison, déterminé à canaliser ses démons pour une nouvelle vie. Garnett est surveillé de près par une femme, agent de probation, qui inaugure son service dans le secteur et semble prêt à l'épauler pour lui donner une seconde chance. Mais le shérif local qui n'a pas pardonné à Garnett d'avoir tué son assistant, traque le moindre faux pas. Entre eux, se glisse un ancien complice de Garnett, d'origine mexicaine, qui trafique autour de la frontière et le pousse à reprendre du service. Garnett résiste, fait profil bas, trouve un travail et courtise une jolie Mexicaine avec qui il aimerait fonder un foyer. Pourtant l'étau se resserre et Garnett perd peu à peu le sang froid qu'il tente de puiser dans la pratique de l'Islam.

LA VOIE DE L'ENNEMI de Rachid Bouchareb- TRAILER, VOSTF from Africiné www.africine.org on Vimeo.



La voie de l'ennemi se distingue en abordant la religion non comme une révélation mais comme un concept protecteur. C'est ainsi que Forest Whitaker, qui joue Garnett, s'est appliqué à apprendre les gestes rituels pour les reproduire. "L'idée était donc de filmer un homme ayant fait le choix d'une spiritualité pour canaliser, dans son quotidien, son agressivité", précise Bouchareb. "Mais comment trouver la paix dans une société qui va lui être hostile." En cadrant la reconversion du héros dans les vastes espaces du sud des Etats-Unis, le réalisateur souligne combien la petite communauté qui y vit est repliée sur ses valeurs. La présence de la ligne frontière, construite pour faire barrage à l'immigration des Mexicains, illustre ce désir protectionniste. Bouchareb la cadre comme un repère, perméable à ces questions d'immigration qui caractérisent la rudesse des moeurs conservatrices de la région, là où la soif de préserver son territoire n'incline pas au pardon.
Ces réflexions sont étayées par le jeu efficace des acteurs. Forest Whitaker amaigri, intense, creuse les rôles d'Afro-américains qui ont marqué sa carrière tel Charlie Parker (Bird de Clint Eastwood, 1987), d'Africains pugnaces comme Idi Amine Dada (Le dernier Roi d'Ecosse de Kevin Macdonald, 2006) ou l'inspecteur sud-africain meurtri de Zulu (Jérôme Salle, 2013). Harvey Keitel, bad boy chez Martin Scorsese ou Abel Ferrara, campe un shérif revanchard mais proche des siens. L'Anglaise Brenda Blethyn, employée par Bouchareb dans London River, change de registre en agent de probation qui a vécu. Luis Guzman et Dolores Heredia véhiculent le sang latino des proches de Garnett. Ces figures typées, attachées à aider ou faire tomber le héros, sont traitées en nuances et chacun est vu avec sa part d'humanité.

L'argument développé par Rachid Bouchareb et son scénariste fidèle, Olivier Lorelle, s'appuie sur un film français de José Giovanni, Deux hommes dans la ville, 1973, porté par une belle brochette d'acteurs : Alain Delon, Jean Gabin, Michel Bouquet et Bernard Giraudeau. Ce drame, rythmé comme un polar, où un détenu libéré essaie d'échapper aux pressions de la société, débouchait sur un réquisitoire contre la peine de mort, alors en vigueur en France. Bouchareb reprend le point de départ de ce film référence, en s'en écartant pour dilater l'histoire sous le ciel américain, avec la contribution de l'écrivain algérien Yasmina Khadra aux dialogues.
La voie de l'ennemi se déploie alors comme un spectacle aux accents de western, que Bouchareb a tourné en important son équipe de France. L'appui du Fonds d'aide algérien étaye sa production française qui mesure la force du destin. En alternant des plans larges sur le désert américain et des plans rapprochés sur les humains qui s'y affrontent, Rachid Bouchareb aborde des destins tracés pour les inscrire dans des espaces qui révèlent. "Le titre du film, La voie de l'ennemi, est symbolique" souligne Bouchareb. "L'ennemi est intérieur. Et c'est ça le cœur du film." Alors, tendu par la pression d'un dérapage menaçant, presque inéluctable, le héros se débat en maniant la religion comme un bouclier. Son parcours ouvre à d'autres valeurs en suggérant qu'il faut assumer ses zones d'ombre pour partir vers la lumière. Une vision éclairée sur l'explosion de la violence.

Vu par Michel AMARGER
(Afrimages / RFI / Médias France)
, pour Africiné

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