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Mamadou Ndiaye, réalisateur sénégalais : "Mon film ne fait pas le procès des NTIC"
Clap Ivoire 2014
critique
rédigé par Gilles-Arsène Tchedji
publié le 16/09/2014
Mamadou Ndiaye, réalisateur
Mamadou Ndiaye, réalisateur
Gilles-Arsène Tchedji (Africiné)
Gilles-Arsène Tchedji (Africiné)

Mamadou Ndiaye est l'auteur de la série télévisée Ismael le gaffeur, primé au Fespaco 2011. Sélectionné au Clap Ivoire 2014 pour son court-métrage de fiction"Main-tenant virtuellement familial", il avait confié ses impressions (peu avant l'ouverture officielle de ce festival, se déroulant à Abidjan du 1er au 5 septembre 2014), à Gilles-Arsène Tchedji (notre envoyé spécial).

A trois jours du lancement de l'édition 2014, comment préparez-vous votre participation ?
Je la prépare avec calme et beaucoup de sérénité. Nous espérons y aller dans la paix et revenir en paix.

Avez-vous déjà participé auparavant à des festivals de ce genre et avez-vous reçu des distinctions ?
Oui ! Je suis déjà allé au Fespaco en compétition avec la série Ismaela Le Gaffeur (Ismaïla Ndiaxum) et j'ai obtenu le prix de la meilleure série télévisée. C'était au Fespaco 2011. Il y a eu d'autres distinctions qui ont suivi dans d'autres festivals comme Vues d'Afrique, le festival de films africains de Charleroi en Belgique et bien d'autres. Pour ce qui est de mes autres réalisations, elles ont eu beaucoup plus d'échos favorables auprès des télévisions. J'ai déjà réalisé deux courts métrages fictions, un court métrage documentaire, un moyen métrage documentaire et puis la série télévisée qui fait environ 40 épisodes.

Entre fiction et documentaire, dans quelle catégorie vous vous sentez plus à l'aise ?
Dans les deux catégories. Tout dépend de l'inspiration et du thème que je veux développer, de l'approche que je veux emprunter. Mais je suis à l'aise dans tous les genres. Je ne me fais pas de fixation, ni m'inscrire dans un certain carcan. J'écoute et je ressors ce que j'ai dans le ventre comme on dit. Je ne m'inscris pas dans un genre particulier.

Vous êtes sélectionné au Clap Ivoire pour l'un de vos films de fiction. Cette réalisation traite de quoi ?
Ce film porte sur cette forte révolution que nous vivons en ce moment. Cette révolution qu'est le numérique pour ne pas dire les Nouvelles technologies de l'information et de la communication (Ntic). C'est un film qui nous permet de nous interroger, de poser des questions sur ce que nous vivons aujourd'hui. De plus en plus, au sein de nos sociétés, nous développons des habitudes qui nous transforment et nous métamorphosent individuellement. L'homme entretient un autre type de rapport avec les nouveaux appareils que nous utilisons et qu'on appelle technologie. A travers la famille qui est le socle de notre société, j'essaie d'étudier ce phénomène, cet impact que les Ntic ont sur nos habitudes, sur notre vie quotidienne. Je m'interroge sur quel type de monstre, d'individu sommes-nous en train de fabriquer actuellement ? Quel type de société, sommes-nous en train de construire ?
Cette fiction d'environ 13 minutes est titrée : "Main-tenant, virtuellement familial". Je fais un jeu de mots sur le titre parce que ces nouveaux appareils, qui impactent sur notre vie, sont habituellement tenus entre les mains : les claviers des ordinateurs, les téléphones, les ipad… "Main-tenant" pour faire allusion aux mains qui tiennent, mais aussi "Main-tenant", pour renvoyer à notre époque, pour dire c'est ce qui se passe actuellement.

"Main-tenant, virtuellement familial", parce que surtout, c'est la famille comme je l'ai dit qui est le socle de la société. Je braque la caméra sur une famille pour montrer ce dont je parle. Mais cela concerne toute la société. Car la société, c'est la somme des familles. Dans le film, la famille est là dans le salon sans être là, mais avec les conséquences qui s'en suivent : manque d'éducation des enfants, absence d'autorité, manque d'épanouissement, de communication dans les foyers…

Le film est-il déjà projeté en public ?
Pour la première fois que ce film a été projeté dans le cadre du festival de Cortos Rek [Dakar, mai 2014, ndlr], on a eu le prix MobiCiné. Et en recevant ce prix, cela nous permet de faire voir ce film à travers 125 établissements dans tout le Sénégal. La deuxième fois que le film a été montré au festival Image et Vie, il a obtenu la mention spéciale du jury. La troisième projection se fera à l'édition 2014 du festival Clap Ivoire.

Ce film traite des Ntic dites-vous. Mais pourquoi le choix de ce thème ?
Je suis une victime des Ntic. C'est d'abord ce qui m'a inspiré le choix de cette thématique. Vous et moi, nous en sommes victimes. Et moi, j'ai voulu à travers cette fiction dire aux gens : "Attention ! Nous sommes en train de nous construire d'autres univers, sans nous en rendre compte."
Sur le plan individuel, je vous donne un exemple. Quand je perds mon portable, c'est comme si j'ai perdu la mémoire. Il y a quelque chose qui me manque et je ne suis plus moi-même. Il y a des choses que les gens vivent comme ça, et ils ne se rendent même pas compte de ce qui se passe. En y réfléchissant, je me suis dit que le développement des Ntic joue un rôle fondamental. Nous sommes en train de construire sans le savoir un monde de solitaires. Car les rapports sociaux sont en train de se déstructurer. Dans ce film, on voit que les enfants sont concentrés sur leur téléphone, le papa qui rentre et qui les salue, mais ils ne répondent même pas, parce qu'ils sont concentrés sur autre chose… Ce sont ces tas de choses qui se passent dans notre société et qui nous changent, qui m'a poussé à réaliser ce court métrage.

J'ai voulu montrer à la face du monde ces rapports-là que nous avons avec ces appareils et les conséquences que cela peut avoir. Je suis convaincu que les Ntic nous ont déjà emportés dans d'autres univers, sans que nous nous en rendions compte. C'est regrettable. Et c'est un débat que je pose pour situer les responsabilités et trouver des pistes de solution.

Après deux distinctions déjà dans d'autres festivals, visez-vous avec ce film, le Grand prix Kodjo Ebouclé du Clap Ivoire ?
Habituellement, je pars dans des rencontres de ce genre en les réduisant à leur vocation première. Je regarde beaucoup plus l'aspect échanges, découvertes… Car pour moi, l'esprit de compétition risque de tout fausser, de tout biaiser. Je vais donc au Clap Ivoire 2014 de manière très modeste avec l'envie de faire de très belles rencontres. C'est déjà un très grand plaisir pour moi après que le film ait été projeté et remarqué ici au Sénégal à l'échelle nationale, qu'il soit sélectionné pour être vu dans un autre pays devant plusieurs nationalités. C'est un énorme plaisir.

Maintenant s'il y a un plus, c'est-à-dire un prix qui vient, c'est tant mieux encore. Quand un film reçoit un prix, c'est toujours bien. Cela donne plus de curiosité pour que les gens cherchent à connaître, à voir le film. S'il y a une consécration, ce sera avec un grand plaisir qu'on va l'accueillir. Et ce serait tant mieux pour ce film qui sera encore plus connu sur le plan sous-régional. Je dois préciser que mon film ne fait pas le procès des Ntic. L'objectif est de susciter la réflexion sur un phénomène qui nous concerne tous. Effectivement, aujourd'hui, on ne peut pas développer ou faire développer nos sociétés sans cette révolution que constituent les Ntic. Mais il s'agit pour nous de réfléchir pour trouver les moyens, les armes, pour mieux gérer et mieux accompagner cette révolution… Il ne faut pas qu'on continue d'être des victimes.

Comment est née votre passion pour le cinéma ?
J'ai eu un parcours assez particulier. Je suis d'abord allé à l'école pour apprendre la communication en général, après avoir fait l'université. Auparavant, j'avais eu à participer à un atelier d'écriture de scénario-fiction. Rien ne me présageait à ce métier. Je peux dire que c'est le destin. Mais j'ai toujours été un indomptable de l'image et du son. La preuve, je travaille actuellement à la Rts comme monteur. Mais avant, j'étais à La Pyramide Culturelle (Dakar, ndlr) avec Studios 2000 devenus [la chaîne de télévision] Rts 2, avant d'être rebaptisés 2stv. J'ai donc développé beaucoup de compétences et d'acquis qui me prédestinaient au cinéma…. J'avais beaucoup de choses dans le ventre. J'avais beaucoup d'idées de réalisation.
C'est ainsi qu'après avoir aidé une étudiante du Cesti à réaliser le montage de sa grande enquête de fin d'études, je lui ai demandé de me laisser les rushs. Donc j'en ai fait une réécriture de ce qu'elle a présenté en soutenance. Et cela a donc donné lieu à mon premier film titré Demain ? et qui porte sur la voyance. Ce film a été très apprécié. C'est ainsi que j'ai commencé à développer ce don qui est en moi. Il faut dire par ailleurs que j'ai fréquenté beaucoup des cinéastes avec qui j'ai partagé énormément de choses. Je suis un monteur, j'ai toujours mon contrat à la Rts, mais le chapeau de réalisateur a pris le pas sur l'activité de montage. Pour moi, c'est une question de destin.

Vous travaillez actuellement sur un nouveau projet filmique ?
Je travaille sur énormément de projets. Ce sont les moyens qui ne suivent toujours pas. Je travaille plus exactement sur deux projets de long métrage et je verrai celui-là qui aura plus de baraka. Je dispose, en boîte, de mon premier projet de long métrage. Mais d'ici deux ans, je vais me concentrer sur un autre projet documentaire qui sera plus accessible. Je ne vais pas vous dévoiler le contenu de ces projets. Mais croisons les doigts. Prions. Car il y a une belle dynamique qui se crée actuellement et qui tend vers la création d'une industrie cinématographique au Sénégal. Les gens ont de belles initiatives et c'est plutôt encourageant pour les acteurs que nous sommes.

Gilles-Arsène Tchedji
arsene@lequotidien.sn

Article paru le vendredi 29 août 2014, sur Le Quotidien (Dakar).

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