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Aissa de Clément Tréhin-Lalanne / Bande de filles de Céline Sciamma
Les dents d'Aissa et les cheveux de Marieme
critique
rédigé par Hassouna Mansouri
publié le 11/11/2014
Hassouna Mansouri (Africiné)
Hassouna Mansouri (Africiné)
Céline Sciamma, réalisatrice de Bande de filles
Céline Sciamma, réalisatrice de Bande de filles
Clément Tréhin-Lalanne, réalisateur de Aïssa
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Rabah Ameur-Zaïmèche, réalisateur
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Abdellatif Kéchiche, réalisateur
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Africiné, Le Leader Mondial (Cinémas africains & Diaspora)
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Projetés ensemble dans le cadre du 29ème Festival International du Film Francophone, Aissa de Clément Tréhin-Lalanne et Bande de filles de Céline Sciamma ont un point commun qui donne raison aux programmateurs de Namur. Le court métrage et le long posent bien la question du regard porté sur des jeunes femmes ‘de couleur' en France. Les deux films sont construits sur le contraste entre le visible et l'invisible, le regardé et le regardant, comme dirait Hélène Cixous (philosophe, dramaturge et poétesse, Prix de la langue française 2014).

Dans le court métrage de Tréhin-Lalanne, on ne voit qu'Aissa exposée à un examen dont on comprend vite qu'il s'agit plus d'une consultation anatomique que médicale. On ne tarde pas de comprendre qu'il y a méprise que de penser que la jeune femme est malade. En fait, il s'agit d'une consultation officielle pour vérifier l'identité de la jeune femme, et plus précisément pour définir son âge et, partant, justifier son expulsion du territoire français. Aissa aurait-elle plus de 18 ans ? Serait-elle une immigrée clandestine et une sans papiers ? Elle dit être Française d'origine Congolaise, avoir 17 ans et être esthéticienne. La chute du film coïncidant avec la fin de l'auscultation, tombera comme un verdict.

Teaser BANDE DE FILLES Céline Sciamma from Africiné www.africine.org on Vimeo.



Bande de filles est une version afropéenne et féminine de ‘Saturday Night Fever'. Tout le long du film, on ne voit qu'un groupe de jeunes noires afropéennes gravitant autour de Marieme, une jeune lycéenne qui n'arrive pas à passer en seconde faute de moyenne suffisante. Présente à Namur, la réalisatrice a dit, dans son introduction à la projection, avoir voulu rendre hommage à toutes ces jeunes filles qui sont partout à Paris, mais qui restent cependant invisibles. Là aussi, le film ne montre que ces jeunes filles s'adonnant à toutes sortes de folies ordinaires, en célébration de leur féminité et leur désir de liberté : draguer, se bagarrer, voler, déconner,…

Outre l'histoire de drames, les deux films mettent en opposition ce que les héroïnes veulent et ce qu'elles parviennent à avoir, comment elles voudraient être vues et comment elles sont regardées dans la réalité. Les gros plans sur les dents éclatantes de blancheur et "bien entretenues" selon le médecin légiste, ou encore sur ses seins bien "développés" toujours selon la voix off du consultant, en plus des prises des mensurations de la jeune femme, renvoient tout droit à ce que les ethnographes jadis du début du 19eme siècle avaient fait aux hommes dits "indigènes" afin de construire toutes sortes de théories de la suprématie de la race blanche. (Lire la critique de Vénus Noire d'Abdellatif Kéchiche).

Bande de filles est aussi l'histoire d'une métamorphose, celle de Marieme. Au début du film, la jeune femme a les cheveux tressés d'une lycéenne sérieuse et ambitieuse (qui refuse de se contenter d'une filière professionnelle), d'une joueuse de football américain pleine d'énergie (qui réussit un super but) et d'une sœur aînée bienveillante (qui prend en charge ses deux petites sœurs). Le changement qu'elle subira, après la succession de plusieurs frustrations, aura comme indice le changement de sa coiffure. Lorsqu'elle relâche ses cheveux, ce sera une première étape vers la longue métamorphose et la descente aux enfers enfonçant de plus en plus la jeune femme dans le désespoir. N'ayant pu être ce qu'elle voulait, elle s'engage dans une quête dangereuse de ce qu'elle pourrait être autrement.

Interrogeant le regardant en ne montrant que le regardé, les deux films traitent de la question de la destinée de toutes ces jeunes filles, confrontées à un monde qui ne leur donne pas ce qu'elles voudraient avoir. On a souvent vu des films sur les jeunes garçons des cités. Ces deux films nous montrent la faune des citées mais au féminin. Un regard tout frais qui surprend par une double exclusion: celle d'une femme réduite à la marginalisation dans une société de machos et celle d'une ‘émigrée' confrontée à une société d'accueil qui lui ferme la porte au nez.

Il y a un nouveau souffle du cinéma sur ces Français nés de parents issus de la diaspora africaine qui n'est pas sans être rapproché du cinéma de Rabah Ameur-Zaïmèche ou de ce qu'un Kechiche fait dans les cités parisiennes voire même ce que Pasolini avait fait dans la banlieue de Rome pendant les années soixante, avec en particulier Accatone. Il s'agit d'un cinéma qui confronte dialectiquement la société avec son altérite et remet en question les frontières insurmontables érigées en toute absurdité et en tout arbitraire. Il y a là une zone grise propice aux investigations cinématographiques les plus audacieuses et les plus agréablement surprenantes.

par Hassouna Mansouri

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