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Travailleuses…
L'étoffe des femmes du textile
critique
rédigé par Michel Amarger
publié le 12/11/2014
Michel Amarger (Africiné)
Michel Amarger (Africiné)
Bouna Chérif Fofana (Mali), membre du Collectif
Bouna Chérif Fofana (Mali), membre du Collectif
Catherine Egloffe (France), membre du Collectif
Catherine Egloffe (France), membre du Collectif
Jingfang Hao (Chine), membre du Collectif
Jingfang Hao (Chine), membre du Collectif
Andreea Palade Flondor (Roumanie), membre du Collectif
Andreea Palade Flondor (Roumanie), membre du Collectif
Lingjie Wang (Chine), membre du Collectif
Lingjie Wang (Chine), membre du Collectif
Serge Désiré Ouedraogo (Burkina Faso), membre du Collectif
Serge Désiré Ouedraogo (Burkina Faso), membre du Collectif
Une partie du Collectif au montage
Une partie du Collectif au montage
Ouvriers maliens visionnant les extraits de WANG Lingjie dans les usines chinoises.
Ouvriers maliens visionnant les extraits de WANG Lingjie dans les usines chinoises.

LM Documentaire du Collectif Images-en-transit, France, 2013
Sortie France : 12 novembre 2014

C'est une expérience de cinéma singulière et plurielle : réaliser un film collectif, en isolant des ouvrières du textile pour mieux les écouter aborder leur travail. Il s'agit alors de tisser un documentaire, piquant ses images dans des entreprises ou des ateliers textiles en Chine, en Roumanie, au Mali, en France et au Burkina Faso. Des points de chutes issus des membres du Collectif Images-en-transit qui mobilise six cinéastes autour d'un projet documentaire. L'aventure commence en 2007, lorsque la Française Catherine Egloffe, basée en Lorraine, provoque des rencontres entre des cinéastes de cinq pays, pour approfondir sa démarche documentaire.
Elle approche la Roumaine Andreea Palade Flondor qui pratique des installations. Lingjie Wang, adepte du vidéo art en France et dans son pays, la Chine, adhère avec sa compatriote Jingfang Hao, étudiante de l'art en France. Bouna Chérif Fofana, venu du Mali où il écrit des séries, s'investit en profitant d'études marketing en France. Au Burkina Faso, Serge Désiré Ouédraogo titulaire d'un diplôme audiovisuel français, soutient de jeunes auteurs et se joint à la partie. Tous s'unissent en 2009, pour créer le Collectif Images-en-transit et signer un court-métrage, Ouvrières ?, 2012, puis Travailleuses…, 2013.


Travailleuses (bande annonce) par Hevadis

"Pour ce film, nous avons mis l'accent sur l'expérimentation d'un collectif, pour l'écriture à distance sur un sujet commun", explique Catherine Egloffe. "Les images comme les paroles ont circulé. Et le film s'est écrit de cette manière, dans des allers et retours." A l'image, on pose d'abord les espaces, les mouvements, puis les gestes précis du travail sur le textile. On approche cet univers en commençant par les vastes usines aseptisées de Chine qui produisent en masse. Un monde blafard et lumineux où la parole arrive, plus de huit minutes après le début du film. Des employées chinoises esquissent des confidences. En Roumanie, une ouvrière avance six jours de présence hebdomadaire. Les Chinoises qui fabriquent des chaussettes, soulignent le travail intense. Au Mali, dans un atelier moins high-tech, une femme parle de ses bas revenus qui permettent de s'autonomiser dans son ménage.
En France, on évoque la douleur physique sur les machines, tandis qu'en Afrique, on découvre celles qui tissent encore à la main. On mesure les cadences françaises, le rythme des Chinoises qui font des poches pour les jeans d'exportation, travaillant 13 heures par jour et parfois plus. Par contraste, une couturière indépendante ne pratique que six heures par jour chez elle, mais fait autre chose à coté. Une liberté impensable pour des tisseuses françaises, prises par le stress d'être dans les temps et qui mangent en travaillant. La modéliste roumaine qui s'active dix heures par jour en atelier, fait écho aux teinturières africaines qui traitent le tissu à la main, en plein air. Loin du travail sur commande qu'on effectue en France dans des petites structures, les tisseuses et les brodeuses du Burkina utilisent des machines en bois pour s'affranchir dans un métier. Plus loin, en Chine, on revient sur les machines et leur flux incessant qui emporte les marchés.

L'ensemble de Travailleuses… avec ses questions posées ou enlevées dans le son, parfois intrusives, tente de recoudre des pratiques et des conditions d'emplois très différentes selon les pays. Le rythme soutenu en Chine, les cadences forcées en Roumanie, le stress des machines en France, se démarquent de l'épreuve plus artisanale du travail manuel au Mali et au Burkina, pour tisser, coudre, couper les tissus, les plier. Les témoignages convergent pourtant pour aborder le travail comme une nécessité pour s'émanciper, gagner sa vie, trouver un sens social, en s'inscrivant dans un monde de douleurs et de contraintes subies, parfois avec le gout du métier. Les regards se répondent et se positionnent comme pour mieux s'inscrire dans la pluralité des cas et des visions qui composent Travailleuses… Le style des scènes, prises dans des conditions différentes par des cinéastes de cultures visuelles et d'horizons variés, est évidemment inégal mais patiné par le montage.
"C'est un processus de contribution, par lequel chacun réalise ce qu'il est en capacité de faire, en fonction de ce qu'il est, de ce qu'il vit, de ce qu'il veut", commente Catherine Egloffe. "L'écriture est partagée entre les réalisateurs eux-mêmes mais avec les femmes aussi." Le film fonctionne mieux quand il est centré sur les gestes précis et répétés des travailleuses, et dans les portraits cadrés de front, où les femmes dévoilent leurs sentiments. Ce sont elles et leur implication qui étoffent le propos de Travailleuses… En glissant librement d'un pays à l'autre, évoquant la singularité du travail dans la mondialisation, le film est un témoignage sensible sur la place de l'individu dans un univers en mutation. Il suggère que les tissus, les vêtements confectionnés qui circulent dans le monde, peuvent nouer des fils invisibles entre celles qui les fabriquent. Comme Travailleuses… qui peut créer des liens par le cinéma, vécu en collectif.

Vu par Michel AMARGER
(Afrimages / RFI / Médias France),
pour Africiné

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