AFRICINE .org
Le leader mondial (cinémas africains & diaspora)
Actuellement recensés
25 003 films, 2 562 textes
Ajoutez vos infos
Run
Course à la liberté en Côte d'Ivoire
critique
rédigé par Michel Amarger
publié le 16/12/2014
Michel Amarger (Africiné)
Michel Amarger (Africiné)
Philippe Lacôte, réalisateur franco-ivoirien
Philippe Lacôte, réalisateur franco-ivoirien
Abdoul Karim Konaté (Run), dans le film
Abdoul Karim Konaté (Run), dans le film
L'acteur ivoirien Isaach de Bankolé, dans Run
L'acteur ivoirien Isaach de Bankolé, dans Run
Scène de Run
Scène de Run
Scène de Run
Scène de Run
Scène de Run
Scène de Run
Scène de Run
Scène de Run
Scène de Run
Scène de Run
RFI, Radio France International
RFI, Radio France International
Africiné, Le Leader Mondial (Cinémas africains & Diaspora)
Africiné, Le Leader Mondial (Cinémas africains & Diaspora)

LM Fiction de Philippe Lacôte, Côte d'Ivoire / France, 2014
Sortie France : 17 décembre 2014

Les nouvelles de la Côte d'Ivoire se font rares sur les écrans occidentaux, comme si la production audiovisuelle se concentrait sur le marché local pour divertir avant tout son public. La présence de Run de Philippe Lacôte, dévoilé à Un Certain Regard, au Festival de Cannes 2014, éclaire de manière singulière, l'état de la société ivoirienne. Le cinéaste franco-ivoirien qui a fait ses études à Abidjan puis à l'université de Toulouse, a d'abord pratiqué le reportage radio avant de s'orienter vers le cinéma. Il s'essaie aux courts-métrages, s'investit dans la production de documentaires (Boul Fallé de Rama Thiaw, 2008, Koukan Kourcia - Le cri de la tourterelle de Sani Elhadj Magori, 2010), de fictions (Le Djassa a pris feu de Lonesome Solo, 2012). Il réalise aussi Chroniques de guerre en Côte d'ivoire, 2008. Son premier long-métrage de fiction, Run, 2014, est une coproduction française plus étoffée, évoquant la situation ivoirienne durant la crise de 2002 à 2011.



Run est un homme qui court, de l'enfance à l'âge adulte. Il vient de tuer le premier ministre et le film retrace pêle-mêle trois étapes de sa vie qui lui reviennent en tête. Jeune orphelin, il rêve de devenir faiseur de pluie mais quitte son village pour se dérober à la tradition qui l'obligerait à tuer son maître. Plus tard, il assiste à l'essor de la Côte d'Ivoire où on investit, et assiste Gladys, une mangeuse de foire qui l'entraîne dans une course en avant sans futur. Puis il se retrouve dans les rangs des Jeunes Patriotes qui prônent l'ivoirité, et se faisant passer pour un fou, il est capable d'éliminer un homme politique, avide de pouvoir.



Le récit de Run s'articule atour de flashbacks qui viennent percuter le personnage principal, déstructuré par ses trois vies, heurté par les éclats de la violence. Le style de Philippe Lacôte se veut audacieux, son propos aussi. Il vise à brosser l'histoire de la Côte d'Ivoire à des époques clés, via un personnage de fiction ébranlé. En bousculant la chronologie, le réalisateur tente une évocation verticale de l'évolution de la Côte d'Ivoire pour percer les sources et les enchainement de la violence qui déchire un pays riche. Il aborde en filigrane le pillage des biens par les politiques, les dérives nationalistes. Son regard meurtri bute sur la trajectoire du héros qui n'est pas une prise de conscience progressive mais simplement une réaction à l'encerclement, une fuite pour la survie. Du coup, le film est traité comme une fresque épique, amère.



Philippe Lacôte fait alterner les plans qui durent et captivent, avec des scènes d'action brutes. Le format large laisse éclater la variété des paysages ivoiriens qui servent de cadre aux mouvements. En parcourant les forêts, les terres arides, en longeant l'océan, le héros semble les baliser pour exister et faire reconnaître le potentiel des atouts du pays. La volonté de souligner ses propos par une voix off assez explicative, des dialogues parfois appuyés, est renforcée par des plans lourds de sens qui altèrent les envolées de Philippe Lacôte. Il bénéficie pourtant de l'engagement des acteurs, particulièrement Abdoul Karim Konaté qui est Run, et de vedettes comme le Burkinabé Rasmané Ouedraogo.



La participation de Isaac de Bankolé, installé aux Etats Unis, renforce la figure d'un militant qui a combattu les élites qui ont profité de l'indépendance. Maintenant cet homme désabusé dénonce la corruption et défie l'Etat, dansant sur un tube ivoirien, Moussio Moussio de Amédée Pierre, soutien avéré de Laurent Gbagbo. D'autres chansons comme Jonathan de DJ Arafat, contribuent à l'univers sonore travaillé par Philippe Lacôte. La véracité des scènes s'inspire parfois de lieux réels comme l'ancien siège du parti de Gbagbo, mais le cinéaste cherche à dépasser les clivages. Il prend du recul pour engager une réflexion sur l'histoire ivoirienne à travers un destin particulier. Run suggère qu'échapper à la violence collective, repose sur la stabilité intérieure de chacun. Fixer sans les figer les mouvements fuyants de cette course à la raison est un des enjeux de Run. Performance édifiante, lestée par ses propres ambitions de cinéma.

Vu par Michel AMARGER
(Afrimages / RFI / Médias France),
pour Africiné

Films liés
Artistes liés
Structures liées
événements liés