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Warda, la passion de la vie, film de Mahmoud Jemni
La grâce et la résistance sous des cieux adverses
critique
rédigé par Luísa Fresta
publié le 03/02/2015
Luísa Fresta (Africiné)
Luísa Fresta (Africiné)
Warda Afi, plasticienne tunisienne
Warda Afi, plasticienne tunisienne
Warda, la passion de la vie, 2014
Warda, la passion de la vie, 2014
Warda, la passion de la vie, 2014
Warda, la passion de la vie, 2014
Warda, la passion de la vie, 2014
Warda, la passion de la vie, 2014
Tournage de Warda, la passion de la vie : le réalisateur (polo blanc, à droite), avec l'Ingénieur son et le Chef opérateur
Tournage de Warda, la passion de la vie : le réalisateur (polo blanc, à droite), avec l'Ingénieur son et le Chef opérateur

Dès les premiers instants de ce film documentaire de 26mn, nous nous rendons compte que nous sommes en face de quelqu'un qui possède un charisme et une lumière exceptionnelle. Warda Afi, âgée d'une vingtaine d'années, reçoit un diagnostic de cancer du sein quelques heures avant de savoir qu'elle a été admise en Master. Sa joie est immense et elle oublie presque le choc au sujet de la maladie qui fera désormais partie de sa vie, pendant quelque temps.

Warda (La passion de la vie) from Mahmoud Jemni on Vimeo.



Mahmoud Jemni est un cinéaste tunisien, critique de cinéma et ancien instituteur. Ayant une large expérience dans le cinéma en tant qu'auteur et observateur, Mahmoud nous offre cette histoire réelle racontée par sa caméra discrète et attentive et une musique à couper le souffle, belle et suave, teintée de flûtes, à la charge d'Ali Chems Eddine, en plus des chansons fredonnées par la voix douce de la protagoniste.
Elle nous montre que la vie ne s'arrête jamais, et que même dans les jours les plus sombres il y a des gravures à faire, du bois à entailler, des encres à mélanger, et que l'Art est une délivrance et une arme puissante de résistance à la mort, de résistance tout court.

Warda est coquette - elle aime se maquiller et s'habiller avec soin, au risque de se salir dans l'atelier - elle est féminine et enthousiaste. Elle dessine des autoportraits, y compris lorsqu'elle a la tête chauve, (au bout des séances de chimio) et même dans ces circonstances elle affiche une beauté éthérée insubmersible, sereine. Sa vie lui appartient, sachant qu'elle n'ignore nullement sa condition de santé, qui la fragilise et la limite. Elle se permet de rêver et de faire des projets, peut-être avec plus d'acuité et de persévérance et possède un sens de l'humour et une joie contagieux. Nous ne percevons jamais chez cette jeune femme soit de l'aliénation, soit de l'inconscience, plutôt une acceptation tranquille par rapport au fait que la maladie impose de nouveaux rituels et des routines temporaires mais ne nous définit pas, et ne nous moule pas non plus.

Warda n'aime pas le moulage en céramique - elle le dit clairement - elle préfère la gravure, un travail physiquement dur, stimulant, réalisé sans gants pour pouvoir toucher les matériaux et les sentir près de soi, comme elle affirme poétiquement; et cette activité intense mobilise plusieurs groupes musculaires et lui permet d'évacuer tous types de blocages et de sentiments négatifs. D'autre part elle ne souhaite pas être "moulée", encore moins par des choix qui lui sont étranges, comme les contraintes sociales et culturelles, ou par le poids de son éphémère fragilité. Warda refuse le modèle d'une femme sans identité et uniquement valorisée en fonction du mariage et de la procréation. C'est clair que cette fille est beaucoup plus que cela, un être humain à part entière possédant une valeur intrinsèque dont nul ne saurait douter, qui illumine et inspire par le simple fait d'exister.

Le documentaire suit le quotidien de la jeune plasticienne où s'entrelacent ses routines de femme, les traitements, les moments en famille et les cours de gravure. L'encre de Chine, les gouges et les burins, les limes, le bois, les acides, les rouleaux compresseurs et la cuillère pour les finitions sont des détails, des gestes et des outils qui ont une importance singulière pour la vitalité de l'artiste et nous transportent aussi subtilement vers son univers créatif ("une fois à l'atelier c'est le bonheur", comme elle déclare avec candeur à un moment donné). Un diagnostic ravageur cause un énorme impact dans la vie de la personne concernée et aussi dans celle de toute la famille.
Warda exulte quand, pudique, son grand frère, assez réservé par nature et par culture, fait une confidence face à la caméra (et en fait sa propre attitude en dit long à ce sujet) : les sentiments sont de l'ordre de l'intime, autrement dit, "Nous, on ne manifeste pas notre amour". Nous avons encore le temps d'écouter des opinions de médecins et d'enseignants, rendus de façon unanime sur la luminosité de la jeune "Dame de fer", comme on l'appelle tendrement. Je ne crois pas qu'elle soit de fer, car Warda ne renie pas la souffrance et ne l'occulte pas non plus, elle la sublime et la transforme en Art, par amour-propre, par passion de la vie et par amour pour les autres. Elle assume qu'actuellement "elle prête attention aux détails dans les rapports aux autres" et se réfugie vers ce qui est positif.

Mahmoud Jemni ne cède jamais à la sensiblerie, à la compassion facile et déplacée, dont Warda Afi se passe et qu'elle ne mérite point. Il s'agit d'une narration - portrait/ reportage respectueuse et admirative qui se centre sur l'essentiel: la vie elle-même. Warda et Mahmoud jouent chacun leur rôle et nous parlent de la condition humaine, avec ses ombres et ses lumières, ses couleurs et ses entailles, que la jeune artiste grave en nous, comme peu de gens le font.

Luísa Fresta

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