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Warda, la passion de la vie, de Mahmoud Jemni
Portrait d'une Femme courage !
critique
rédigé par Saïdou Alceny Barry
publié le 03/02/2015
Alcény S. Barry (revue Africiné)
Alcény S. Barry (revue Africiné)

Dans ce court documentaire de 2014, le réalisateur tunisien Mahmoud Jemni filme Warda Afi, une jeune artiste atteinte d'un cancer. Par l'art de la gravure, cette femme résiste au mal et donne une vraie leçon de courage. Par l'art du cinéma, Jemni sculpte le portrait d'une femme courage très touchante.
J'ai rencontré Mahmoud Jemni sur un trottoir de Carthage devant le Théâtre national après une soirée cinéma éprouvante lors des JCC 2014. C'est un homme au physique frêle, un béret vissé sur la tête et une fine moustache. Sexagénaire ou septuagénaire mais avec la fraîcheur de l'éternel ado. C'est le propre des enseignants et des créateurs et il fut l'un et l'autre.

Enseignant dans une première vie, retraité depuis et critique, producteur et réalisateur de cinéma actuellement. Il avait beaucoup de mots dans la bouche, j'avais beaucoup de sommeil dans les yeux. Il disait que l'enseignement était le plus beau métier du monde, je pensais qu'il était le plus ingrat. Il voulait aussi parler de ses films, de ceux de René Vautier dont il fut l'assistant sur quatre réalisations.

Mais j'aspirais au repos du corps, à l'appel de mon lit pour me glisser dans les plis du sommeil. Un taxi l'a emporté dans la nuit, tandis que je rejoignais mon hôtel. Ce fut une rencontre inachevée. Un dialogue mal entamé et vite interrompu.

Et plus tard j'ai vu son dernier film documentaire, un court métrage : Warda, La passion de la vie. J'aurai voulu parler de ce documentaire avec le réalisateur. Voilà le sujet qui nous aurait permis de traverser la nuit, à moi de tenir la bride à mon sommeil, pour un vrai échange autour du cinéma et de son film.

Warda (La passion de la vie) from Mahmoud Jemni on Vimeo.



Warda, c'est la passion au double sens de souffrance acceptée et d'amour de la vie. Pourtant ce n'est pas un film sur la souffrance, bien au contraire Warda est un film solaire sur un sujet douloureux, une maladie crépusculaire. Warda est un soleil qui jette une lumière sur le monde de la maladie et donne de la couleur à tous les aspects sombres de celle-ci. Il y a une telle lumière en elle qu'elle irradie le film.

Jeune femme qui découvre qu'elle a le cancer de sein, nouvelle qui normalement fait s'écrouler un monde mais Warda est une femme debout, elle redresse la tête et affronte le mal. Malgré la batterie d'examens, la chimio qui fait tomber les cheveux, les produits qui déforment le visage et l'hôpital qui devient un passage obligé.

L'omniprésence du couloir blanc de l'hosto [hôpital, ndlr] avec son halo immaculé et froid dans le film en fait une sorte d'univers infra-terrestre. Elle résiste, à travers l'art et le sourire. Le sourire de Warda qui illumine le visage et lui donne l'éclat qui fait oublier tout le reste. De dents qui mordent dans la vie comme dans une grenade mûre pour en savourer le suc avec avidité. Warda est artiste. Elle crée, s'oublie dans la création et trouve un exutoire face au cancer.

Mahmoud Jemni filme sans pathos cette histoire douloureuse. La caméra est très proche de Warda mais jamais elle n'est voyeuse. Le film opère de la périphérie vers le centre en allant au plus près de cette jeune vie. Une démarche progressive de dévoilement fait entrer le spectateur dans l'intimité de Warda comme un visiteur qui passerait du salon à la chambre. En effet, le film s'ouvre sur des mains qui travaillent la gravure avant de découvrir un visage de femme. Bien maquillé avec des grands yeux blancs aux longs cils soyeux. Et petit à petit, l'image se décompose, la coquetterie n'est que d'apparence.

Ainsi, tombe la chevelure qui n'est que perruque, les fards s'estompent et laissent un visage nu, un crâne chauve. Mais demeure la beauté. Celle des héroïnes. De celles qui sont au-delà de la beauté physique, de l'accessoire : la force intérieure. Celle qui sourit à la mort et à la vie. Celle qui trace une route de lumière en gravissant le Golgotha.

D'ailleurs, de route, il est toujours question dans ce film car entre deux séquences sur Warda et son entourage, on revient toujours vers une autoroute bordée d'oliviers avec au fond une montagne. Métaphore de la vie de Warda, la grand‘route est mouvement, refus de la prostration et de l'enfermement, cheminement vers le lointain, vers l'aventure. Warda pousse sa vie devant soi avec pétulance comme un Sisyphe heureux.

Juste avant la dernière image de Warda figée dans un grand éclat de rire, il y a la séquence de l'autoroute qui déroule son ruban d'asphalte dans le soir avec dans le fond le soleil qui luit comme une pièce d'or et éclabousse l‘horizon de ses coulures d'or et de cuivre. Aurore ou Crépuscule ? On est certain de rien, sauf que le soleil est toujours là. Donc un film solaire jusqu'au bout.

Mahmoud Jemni a commis un beau docu sur la volonté de vivre. Où la puissance de vie dissout le funeste de la maladie. Sans doute que Warda résonnera dans la mémoire du cinéphile comme un autre nom pour dire le courage ?

Alcény BARRY

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