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Révolution Zendj
Esquisse d'une cartographie des révoltes autour du monde arabe
critique
rédigé par Michel Amarger
publié le 10/03/2015
Michel Amarger (revue Africiné)
Michel Amarger (revue Africiné)
Tariq Teguia, réalisateur algérien
Tariq Teguia, réalisateur algérien

LM Fiction de Tariq Teguia, Algérie / France / Liban / Qatar, 2013
Sortie France : 11 mars 2015

Comment épouser le coeur des révoltes qui fusent dans le monde arabe sans les figer dans des territoires délimités et un temps arrêté ? La question hante en sourdine le cinéma de Tariq Teguia depuis ses premiers courts-métrages, plantés dans l'immobilisme de la société algérienne, Ferrailles d'attente, 1998, La Clôture, 2002. En passant au format long, le cinéaste, basé en France depuis 1992, cerne les limites de l'enfermement des jeunes dans Alger. Rome plutôt que vous, 2006, balise les impasses de l'Algérie contemporaine avant que Inland, 2008, s'ouvre aux perspectives de la migration vers le sud. Cet élargissement progressif du champ, de la quête d'un lieu où s'exprimer pour s'opposer à l'absorption des individus dans la mondialisation, trouve un aboutissement avec Révolution Zendj, 2013.

RÉVOLUTION ZENDJ - Un film de Tariq Teguia from neffa films on Vimeo.



Trois figures principales se croisent. En Algérie, Ibn Battutâ, un journaliste qui effectue un reportage sur les heurts communautaires dans le sud, à Berriane où Mozabites et Arabes s'affrontent, s'intéresse aux origines plus anciennes des révoltes. Il enquête sur l'insurrection des Zendjs, des esclaves noirs qui se sont soulevés contre le pouvoir des Abbassides en Irak, entre 869 et 883. Lancé par son journal sur un sujet traitant l'état de la Nation Arabe aujourd'hui, Ibn Battutâ est envoyé à Beyrouth où il continue à chercher trace des Zendjs. Il y rencontre Nahla, une jeune Palestinienne, venue de Thessalonique où son père, militant nationaliste, s'est réfugié après la défaite de 1982. Hors du milieu d'étudiants grecs révoltés auquel elle participe, Nahla mesure l'amertume de la génération de son père dont elle retrouve d'anciens camarades. Beyrouth est aussi la ville où transite Monsieur Prince, un homme d'affaires opportuniste, lié aux Américains, revenu d'Irak où ils ont repéré le terrain propice à bâtir un centre de loisirs et de commerces.
De l'Algérie du sud à Thessalonique, en passant par l'Irak où la spéculation est active, l'action confronte les personnages à Beyrouth. Puis Ibn Battutâ et Nahla tentent de gagner l'Irak, en récupérant des fonds de Monsieur Prince. Au cœur du désert, le journaliste est mis face à ses questions sur la présence des Zendjs, tandis que la Palestinienne trouve un relais à sa révolte dans les manifestations à Athènes. Ainsi Tariq Teguia livre une narration à flux tendus, inscrite dans les espaces orientaux distincts qu'il convient de reconnaître pour mieux les dépasser en défendant sa liberté. "Le terrain des luttes en cours, ici et ailleurs, était un point de départ possible", confie le cinéaste qui en fait aussi une confluence, en relation avec la construction cellulaire de ses autres films. Tout en déployant ses images et sa maturité de réalisateur, il superpose les strates du temps sans jamais confondre les cultures qui les inspirent.

Le récit prolonge et éclaire l'histoire de l'insurrection des esclaves noirs en Irak, au IXème siècle, en la reliant à la résistance des Palestiniens durant la guerre du Liban des années 80. Les contrecoups du conflit en Irak, après 1990, se glissent dans les relations tendues des communautés arabes, aiguisées par la présence des Américains qui les exploitent en les manipulant. Des rapports de force et des affrontements parfois souterrains qui alimentent l'idée d'une insoumission au système capitaliste européen, perceptible dans l'actualité grecque. En esquissant ces repérages de foyers de résistance où pointe l'émancipation citoyenne, Teriq Teguia prend appui sur une manière personnelle de cartographier l'état du monde. Il compose un spectacle exigeant, avec un sens du cadre sûr, des silences qui envahissent l'écran comme pour mieux évacuer le vacarme des rumeurs ambiantes. Les ruptures de rythme, des accords musicaux aigus ou nonchalants, rythment les lignes de fuite, les trajectoires obliques.
Révolution Zendj est nourri d'observations, de sensations, cueillies dans le monde pendant que Teguia accompagnait la diffusion de Inland. Tourné dès la fin 2010, dans la plupart des lieux où il se situe, le film réunit des acteurs d'horizons divers dont Fethi Gares et Diana Sabri dans les rôles principaux. On y aperçoit aussi le réalisateur libanais Ghassan Salhab qui a aidé la production, réunissant aussi l'appui d'une société française, des fonds et une structure d'Algérie, pilotée par Yacine Teguia, frère du cinéaste, la participation de Pays du Golfe. Au terme d'un long travail formel, Révolution Zendj témoigne de la capacité d'un artiste de saisir l'actualité des vibrations arabes, en se basant sur un scénario écrit en 2009. "Cette anticipation ne fait pas de nous des devins", tempère Teguia. "Elle suggère seulement qu'une partie du travail d'un cinéaste consiste à être attentif aux évènements, à ce qui arrive et devient." Une inspiration qui place Révolution Zendj sous l'égide d'une réflexion philosophique, au-delà des frontières, des tourments du monde arabe, en réseau avec les convulsions des fictions contemporaines.

Vu par Michel AMARGER
(Afrimages / RFI / Médias France),
pour Africiné

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