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Le Challat de Tunis
Revisiter un fait divers tunisien
critique
rédigé par Michel Amarger
publié le 31/03/2015
Michel Amarger (revue Africiné)
Michel Amarger (revue Africiné)
Kaouther Ben Hania, réalisatrice tunisienne
Kaouther Ben Hania, réalisatrice tunisienne
Scène du film
Scène du film
Scène du film, la réalisatrice confrontée à un policier
Scène du film, la réalisatrice confrontée à un policier
Scène du film, un policier menaçant la réalisatrice
Scène du film, un policier menaçant la réalisatrice
Scène du film, la famille d'une victime
Scène du film, la famille d'une victime

LM Fiction de Kaouther Ben Hania, Tunisie / France / Canada, 2013
Sortie France : 1 avril 2015

La nouvelle génération qui a fait ses armes à la Fédération Tunisienne des Cinéastes Amateurs monte au créneau. Et Kaouther Ben Hania qui y a bien participé, s'oriente vers la réalisation de longs-métrages professionnels pour les salles. Après des études à l'Ecole des Arts et du Cinéma de Tunis, elle se forme au scénario à la Fémis de Paris, et collabore à la chaîne Al Jazeera Documentaire. Ce parcours balisé de courts-métrages remarqués comme Moi, ma sœur et la chose, 2006, ou Peau de colle, 2013, s'enrichit de documentaires tel Les imans vont à l'école, 2010. Ces films abordent volontiers la condition des femmes dans une société tunisienne plus conservatrice que ce qu'on veut bien le dire. Et la réalisatrice pousse sa réflexion avec son premier long-métrage fictionnel, Le Challat de Tunis, 2013.



Le film s'appuie sur un fait divers, largement médiatisé en 2003. Un homme mystérieux, souvent à mobylette, agresse les femmes trop séduisantes en lacérant leurs fesses avec une lame de rasoir. Onze Tunisiennes très différentes sont attaquées sans qu'on arrête le coupable, dénommé le Challat pour sa lame. "Mon souhait de départ était de faire un documentaire sur cette affaire, qui date de 2003, mais c'était impossible sous le règne de Ben Ali, parce que les informations n'étaient pas accessibles", explique Kaouther Ben Hania. "Le film est devenu une fiction, que j'ai commencée à écrire en 2009. Puis il y a eu la révolution, et tout est devenu plus accessible." Le Challat de Tunis prend alors la forme d'un faux documentaire, un "documenteur" ("mockumentary", en anglais), comme peut le désigner la réalisatrice qui a soutenu un mémoire universitaire sur le sujet, en 2008.

Elle se met en scène en train d'enquêter sur l'histoire du Challat et les personnages filmés interprètent leur propre rôle. En organisant un casting, un jeune homme s'impose comme le vrai Challat repenti. La réalisatrice entre dans son univers où trône sa mère, entrevoit ses trafics, sa manière de trouver une fiancée "convenable" qui soit vierge. Avec un associé, il soutient un jeu vidéo sur le Challat, capable d'irriter une cliente. Sa disparition subite, et la fermeture du magasin de jeux, pousse la cinéaste à suivre une autre piste, rencontrant des femmes agressées par le Challat à l'époque. On apprend alors que le disparu ne serait pas ce qu'il prétend avant que la réalisatrice aille le filmer en prison où il a atterri. Pressé de s'expliquer, il préfère dérouter les aveux, soucieux de représenter l'authentique Challat aux yeux des spectateurs.



Le pseudo documentaire arrangé par Kaouther Ben Hania, vise ainsi à démystifier les fantasmes des Tunisiens, en pointant la situation de la femme à partir de l'affaire du Challat. "On est dans un univers très misogyne, machiste. J'ai creusé ce terrain là, mais ce n'est pas représentatif de l'ensemble de la société tunisienne", relève-t-elle. Sa démarche permet de faire surgir l'état d'esprit d'un pays où les fesses sont des cibles et le corps féminin un enjeu. Elle orchestre son "documenteur" comme un objet ludique, mettant en exergue les illusions du cinéma, capable de faire sens. Le Challat de Tunis est ainsi "une forme de satire", selon la réalisatrice qui confie : "J'avais besoin de cet humour."

Le projet est pourtant mené comme une affaire sérieuse, avec des professionnels réputés. Le cadre est assuré par le chef opérateur Sofiane El Fani, auteur des images de La vie d'Adèle de Abdellatif Kechiche, Timbuktu de Abderrahmane Sissako. Le montage est relevé par Nadia Ben Rachid qui collabore avec bon nombre d'auteurs. Le film est coproduit par la Tunisie, la France et le Canada avec le concours des Emirats Arabes Unis. Ces moyens permettent à Kaouther Ben Hénia de questionner la condition des femmes arabes, en dépassant le cas du Challat de Tunis, comme elle le déclare : "La même histoire s'est produite à Sousse, une autre ville tunisienne, à la fin des années 1980, ainsi qu'au Caire en 2009, au Maroc, en Syrie… Il y a là quelque chose de très intrigant, qui a rapport à la situation d'oppression que connaissent ces pays-là, qui génère parfois des folies criminelles."

Vu par Michel AMARGER
(Afrimages / RFI / Médias France),
pour Africiné

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