AFRICINE .org
Le leader mondial (cinémas africains & diaspora)
Actuellement recensés
24 926 films, 2 562 textes
Ajoutez vos infos
Les Messagers
Ouvrir le champ aux migrants africains
critique
rédigé par Michel Amarger
publié le 08/04/2015
Michel Amarger (revue Africiné)
Michel Amarger (revue Africiné)
Hélène Crouzillat, coréalisatrice
Hélène Crouzillat, coréalisatrice
Laetita Tura, coréalisatrice
Laetita Tura, coréalisatrice
Les Messagers
Les Messagers
Les Messagers
Les Messagers
Les Messagers
Les Messagers
Les Messagers
Les Messagers
Les Messagers
Les Messagers
Les Messagers
Les Messagers
Les Messagers
Les Messagers
Les Messagers
Les Messagers
Les Messagers
Les Messagers
Les Messagers
Les Messagers
Les Messagers
Les Messagers

LM Fiction de Hélène Crouzillat et Laetitia Tura, France, 2014
Sortie France : 8 avril 2015

Les productions européennes se multiplient pour saisir les contours de l'immigration africaine. L'affluence des migrants semble toucher les auteurs de documentaires qui braquent leurs caméras sur leurs paroles, leurs gestes désespérés comme pour reconnaître et imprimer leur présence dans un monde occidental hostile et froid, prompt à les repousser. Cette résistance, battue en brèche par des collectifs solidaires, laisse dans l'ombre les disparus, ceux qui n'ont pas survécu au voyage, aux traversées, aux défis de l'émigration. Alors pour réinscrire leur présence et leur existence, dans l'univers en marche, deux réalisatrices française, Hélène Crouzillat et Laetitia Tura, s'allient pour signer Les Messagers, 2014.
"Le film repose sur l'articulation de témoignages avec les lieux de disparition au Maroc et dans les eaux territoriales", expliquent-elles. Des séquences vidéo, au cadre serré, fixent de près des survivants qui évoquent leurs tentatives de passage, des échos des compagnons disparus. Leurs récits, poignants, laissent imaginer la crudité des situations vécues, les pertes irrémédiables auxquelles ils résistent en se confiant face à la caméra. En alternance, des images fixes, photographiques, montrent des espaces de transit, des barrières, des barbelés, des espaces militarisés qui matérialisent le refus d'accepter les migrants et symboliquement les disparitions. Les vues du désert aride, de la mer, infranchissables par le commun des mortels, orientent Les Messagers vers une réflexion universelle, plus intemporelle, sur la trace.



"Ces paysages rendent palpables ce qui n'est pas visible : les fantômes des disparus", estiment les réalisatrices qui inscrivent leur démarche dans la réhabilitation des migrants décédés, victimes sans inhumations ni sépultures, faute de corps récupérés ou identifiés, de mort reconnue. "Les récits des Messagers s'immiscent dans les trous de l'Histoire et posent une pierre dans une mémoire vive, en devenir", affirment Hélène Crouzillat et Laetitia Tura tout en tissant des liens entre les projets personnels des migrants et les politiques européennes en vigueur. Le film renvoie ainsi à un présent concret, des disparitions physiques et symboliques toujours d'actualité puisque l'émigration africaine continue de dérouler ses vagues, battues en brèche par le hiératisme des politiques occidentales.
Les Messagers bénéficie de témoignages révélateurs que le recul du temps, et l'écoute des cinéastes, rendent plus aigus. Autour des témoins survivants, les discours d'autres protagonistes donnent un relief contrasté aux situations. Un agent de la "Guardia civil" commente les limites des dispositifs sécuritaires et leur utilité. Pour les gardes-frontières, il s'agit d'assister les migrants en danger tout en défendant fermement les frontières. Un prêtre recense et inhume des victimes en confiant ne pas prendre la peine de mettre les noms sur les tombes. Un pêcheur souligne l'immensité de la mer et de la répression. Ces personnages filmés dans leur environnement, contrastent avec l'image des survivants saisis en intérieur.

Les voix des Messagers, les émotions lâchées, tranchent alors avec l'objectivité du phénomène de l'immigration. Une bande sonore, conçue par Martin Wheeler comme une partition qui mêle des bruits de vent, de frottements métalliques, de sons marins, donne de l'amplitude à la tragédie qui se joue. "La parole est l'unique vecteur de la violence", déclarent les réalisatrices. "Ce qui est exposé dans le film, c'est la violence liée à la brutalité de la révélation, la rupture du silence." Leur propos s'est construit par étapes, à partir de 2008, lorsqu'elles approchent des migrants au Maroc pour les enregistrer. Puis le projet de film s'interrompt en 2010, faute de moyens. Il reprend un an plus tard grâce à un appel à souscription qui relance la production. Et les réalisatrices peaufinent leur documentaire grâce au dispositif Cinéastes en résidence.
Hélène Crouzillat réalise des pièces sonores, des vidéos, en montant des documentaires politiques. Laetitia Tura approfondit un projet photo autour des frontières en Amérique et en Europe. Leur association s'épanouit dans les espaces investis. Les Messagers assemble des scènes prises à Oujda, Tanger, Rabat et Casablanca, au Maroc, ainsi que dans l'enclave espagnole de Melilla et à Zarzis, en Tunisie. Les photos proviennent de Naïma et Taza au Maroc, avec des vues du large de Gorée, au Sénégal, de Nouadhibou, en Mauritanie. Ainsi en considérant la manière dont les migrants bousculent les frontières, les rapports aux territoires nationaux, Les Messagers invite à réfléchir la position figée des Etats européens, dans un monde inéluctablement perméable aux mouvements humains.

Vu par Michel AMARGER
(Afrimages / RFI / Médias France),
pour Africiné

Films liés
Artistes liés
Structures liées