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Cannes préfère les films sur les Africains aux films africains
68° Festival de Cannes, France
critique
rédigé par Djia Mambu
publié le 09/06/2015
Djia Mambu (revue Africiné)
Djia Mambu (revue Africiné)
Les acteurs Alassane Sy (MEDITERRANEA, à notre gauche), Ali Bidanessy (LA VIE EN GRAND), Koudous Seihon (MEDITERRANEA) et Balamine Guirassy (LA VIE EN GRAND, à notre droite) sur la croisette
Les acteurs Alassane Sy (MEDITERRANEA, à notre gauche), Ali Bidanessy (LA VIE EN GRAND), Koudous Seihon (MEDITERRANEA) et Balamine Guirassy (LA VIE EN GRAND, à notre droite) sur la croisette
Le réalisateur Nabil Ayouch (MUCH LOVED) et ses acteurs Abdellah Didane, Loubna Abidar et le Délégué Général Edouard Waintrop, à La Quinzaine des Réalisateurs
Le réalisateur Nabil Ayouch (MUCH LOVED) et ses acteurs Abdellah Didane, Loubna Abidar et le Délégué Général Edouard Waintrop, à La Quinzaine des Réalisateurs
Le réalisateur Philippe Faucon (FATIMA) et ses acteurs Soria Zeroual, Zita Henrot, Chawkri Amari et l'auteure Fatima Elayoubi, à La Quinzaine des Réalisateurs
Le réalisateur Philippe Faucon (FATIMA) et ses acteurs Soria Zeroual, Zita Henrot, Chawkri Amari et l'auteure Fatima Elayoubi, à La Quinzaine des Réalisateurs
Scène de Mediterranea (Jonas Carpignano, Italie / USA) avec Koudous Seihon (foulard bleu), Alassane Sy (foulard noir et blanc)
Scène de Mediterranea (Jonas Carpignano, Italie / USA) avec Koudous Seihon (foulard bleu), Alassane Sy (foulard noir et blanc)
Le réalisateur Yared Zeleke (LAMB), avec ses acteurs Rediate Amare, Kidist Siyum et la productrice Ama Ampadu devant le Palais des Festivals
Le réalisateur Yared Zeleke (LAMB), avec ses acteurs Rediate Amare, Kidist Siyum et la productrice Ama Ampadu devant le Palais des Festivals
Magazine en ligne Africiné, Le Leader Mondial (Cinémas africains & Diaspora)
Magazine en ligne Africiné, Le Leader Mondial (Cinémas africains & Diaspora)

L'Ethiopie réalise une belle première à Cannes grâce à Lamb de Yared Zeleke, premier film éthiopien en compétition officielle (Un Certain Regard). Le Marocain Nabil Ayouch fait scandale en dévoilant la vie de quatre prostituées de Marrakech dans Much Loved à La Quinzaine des Réalisateurs, La Semaine de la Critique révèle une série d'acteurs noirs notamment dans Mediterranea de Jonas Carpignano ou La Vie en Grand de Mathieu Vadepied.

Beaucoup d'émotion lors de la toute première de Lamb qui a visiblement conquis la salle. Un public pas seulement à l'affût du seul film africain en compétition officielle mais surtout venu à la découverte d'une belle histoire. Celle d'un garçon de neuf ans, qui va devoir se séparer de son compagnon le plus proche, sa brebis Chuni. Ephraïm campé par Rediate Amare (très touchant), et son père doivent quitter les lieux pour cause de sécheresse. Sans ressources, le père va confier Ephraïm à la famille, dans les montagnes éthiopiennes (images sublimes). Alors que les fêtes approchent, la famille planifie de sacrifier Chuni comme repas. Ephraïm va alors tenter de sauver sa brebis avec l'aide de sa cousine Tsion (Kidist Siyum), jeune rebelle à qui on reproche de passer ses journées à lire les journaux plutôt que d‘aider sa belle-mère à faire à manger. Si rares demeurent les histoires et les images nous venant d'Éthiopie, Lamb nous transporte merveilleusement au sein du pays du Négus.

De l'autre côté du continent, Noha, Randa, Soukaina et Hlima, prostituées dans le Much Loved de Nabil Ayouch se bousculent dans les rues de Marrakech. Entre soirées privées arrosées en compagnie de riches héritiers ou hommes d'affaires saoudiens et galipettes avec touristes européens, les filles de joies ne sont pas épargnées par les hommes marocains qui les traitent avec un mépris parfois pire que celui des clients. Répudiées par la famille, elles sont humiliées, battues, violées parfois. Dans Much Loved, l'auteur y dépeint cette partie de la société que le Maroc ne veut surtout pas voir. Le réalisateur s'explique : "Elles sont partout mais on ne les voit nulle part, dit-il. C'est aussi le rôle du cinéma de déranger". Pour l'appuyer, Loubna Abidar, l'actrice principale qui est aussi consultante sur le projet a déclaré en fin de projection. "J'ai vécu à Marrakech dans la Médina, je voyais cette réalité... Je sais que je risque beaucoup là-dessus et que ma vie est peut-être en danger, mais je ne regrette rien".
[Après Cannes, l'actrice principale, Loubna Abidar, et le réalisateur ont reçu des menaces de mort, le film est interdit au Maroc, un des acteurs (Sidi Dehou Idrissi qui joue le rôle d'un des Saoudiens) aurait été agressé au couteau à Casablanca, avant d'être démenti par un communiqué de la Direction générale de la sûreté nationale marocaine (DGSN) qui nie toute relation avec une quelconque participation au film, ndlr].

Banlieues françaises et frontières italiennes

L'Algérie voisine s'est quant à elle illustrée grâce à Fatima de Philippe Faucon, une mère émigrée dans une France qui se veut accueillante mais toujours profondément attachée à ses préjugés. Séparée de son mari (Chawkri Amari), Fatima (Soria Zeroual) tente d'élever dignement ses deux filles, mais elle peine à parler le français. Comment soutenir son aînée Nesrine (Zita Henrot), étudiante en première année de médecine ? Comment échanger avec les professeurs de Souad (Kenza-Noah Aiche) sa cadette qui sèche les cours ? Entièrement dévouée à l'éducation de ses enfants et soucieuse de son intégration, Fatima s'oublie jusqu'à en refouler ses émotions qui finiront par se révéler par l'écriture d'un roman autobiographique. Le film est basé sur le livre "Prière à la lune", de Fatima Elayoubi. L'auteure a rejoint l'équipe du film à Cannes pour l'occasion.

À l'heure où l'Europe ne sait que trop faire des immigrés en provenance des côtes frontières africaines et arrivant en masse par l'Italie, Mediterranea vient nous frapper en plein cœur de l'actualité. Ayiva (Koudous Seihon, excellent) débarque en Italie avec son ami Abass (Alassane Sy) pour chercher du travail. Dans le Sud napolitain, ils sont confrontés à une société hostile. Alors que Ayiva s'accroche en réalisant des petits boulots par-ci et par-là, Abass désillusionne et se replie sur lui-même. Il n'en sortira que pour défier les communautés locales et les forces publiques lors d'un rassemblement suite à un incident sur les leurs. Ayiva, quant à lui, hésite à se laisser entrainer dans cette révolution…
Le récit part du propre parcours de Koudous Seihon. Comme Ayiva, il vient du village de Zabre au Burkina Faso où sont restées vivre sa sœur et sa fille qu'il aide comme il peut. C'est lors d'une réunion pour sans-papiers que le réalisateur italien Jonas Carignano rencontre celui qui interprétera son propre rôle. Ils débuteront avec le court métrage A Chjàna dans lequel Koudous Seihon interprète déjà Ayiva. Mediterranea en est le développement et nous rappelle combien même la lutte est d'autant plus féroce une fois arrivée sur le vieux continent. L'Occident n'est pas ce rêve, et on ressent bien souvent l'envie de retourner d'où on vient.

Deux films en clôture sinon rien

Mathieu Vadepied (Directeur photo de Intouchables, J'irai au paradis, car l'enfer est ici, Samba Traoré, Denko) présente son premier film long métrage en tant que réalisateur La Vie en Grand en fermeture de la Semaine de la Critique. Le récit d'Adama (Balamine Guirassy) jeune ado qui vit en banlieue parisienne avec sa mère (Léontina Fall), séparée du père suite à la loi anti-polygamie. Celle-ci se bat entre petits boulots de nuit pour subvenir aux besoins de la famille, surtout depuis que son mari a renvoyé son fils aîné au pays. Préoccupé par les tracas familiers, Adama délaisse les bancs de l'école pour commencer à dealer dans les rues. Avec la complicité de Mamadou (Ali Bidanessy) son jeune apprenti, Adama va être entraîné dans un réseau qui le dépasse.
Sans surprise, le film est drôle et généreux mais ne parvient pas à s'extraire des clichés. Un jeune noir des banlieues qui deale pour aider sa mère, immigrée africaine, célibataire qui s'accroche aux petits boulots de nuit. C'est du déjà (trop) vu.

Hors compétition, Dope, le cinquième long-métrage du réalisateur américain d'origine nigériane Rick Famuyiwa a clôturé quant à lui la Quinzaine des Réalisateurs. Produit entre autres par Forest Whitaker et Pharell Williams, le film suit Malcom (Shameik Moore) un jeune noir intello du quartier notoire d'Inglewood à Los Angeles qui ambitionne d'entrer à la prestigieuse université d'Harvard. Par un concours de circonstance, il va s'embarquer avec ses deux acolytes dans un business de drogue qui s'avéra déterminante pour son entrée à Harvard. Le raccourci peut paraître exagéré mais c'est un peu ça. Faut croire que les Africains Américains ont du mal à se détacher de cette image à laquelle ils ne veulent justement pas être attachés. Heureusement, Dope est avant tout un hommage au Hip-hop des années 90, auquel l'auteur s'identifie clairement. Personnage un peu autobiographique (d'origine nigériane, Malcom n'a pas connu son père comme Rick Famuyiwa), Malcom chante dans son groupe d'amis geek. Une musique originale aux rythmes urbains composée par l'artiste Pharell Williams et soutenue par un montage dynamique (Prix du Montage au Festival de Film de Sundance). On rit, certes, mais pas forcément au même ton que celui des Américains présents dans la salle. Rick Famuyiwa interpelle de front le spectateur : Un jeune noir d'Inglewwod est-il forcément un dealer voyou ou mauvais élève ? Une question qu'on pourrait aussi lui poser.

Des cinéastes d'Afrique et des sélectionneurs cannois

Les cinéastes d'Afrique peinent encore à s'imposer au plus grand rendez-vous du cinéma - exception faite cette année pour Zeleke, Ayouch et le doyen Souleymane Cissé avec O Ka en séance spéciale - mais l'Afrique est bien présente grâce à ses comédiens, à travers ses thèmes et par sa diaspora.
Si les sélectionneurs cannois ont privilégié les œuvres occidentales pour aborder l'Afrique, on reste malheureusement très limités dans la représentation des personnages africains ou d'origine africaine: dealer de banlieue, femme de ménage ou encore immigré sans-papiers.
Est-ce la formule-clé pour augmenter ses chances de faire partie des prestigieuses sélections cannoises ? On se souviendra de Bande de Filles de Céline Sciamma ou de Hope de Boris Lojkine, bien que ce dernier soit très bon.
Certes, ces réalités font partie des réalités africaines mais pas seulement. Et qu'on se rassure, le spectateur a bien saisi que les Africains et leur descendance sont aussi des sans-papiers, des dealers ou des femmes de ménage. Mais à quoi sert cette constante représentation au cinéma si ça n'a jamais servi à améliorer les choses ? À quand les histoires sans clichés et les rôles caméléons ?

Djia Mambu
Cannes, Mai 2015

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