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La Ligne de couleur
Voir la voix des non-blancs en France
critique
rédigé par Michel Amarger
publié le 15/06/2015
Michel Amarger (revue Africiné)
Michel Amarger (revue Africiné)
Laurence Petit-Jouvet, réalisatrice française
Laurence Petit-Jouvet, réalisatrice française
Fatouma Diallo et sa fille Aissée, témoins dans le film
Fatouma Diallo et sa fille Aissée, témoins dans le film
Jean-Michel Petit-Charles, témoin dans le film
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L'actrice Yumi Fujimori, témoin dans le film
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Malika Mansouri, témoin dans le film
Malika Mansouri, témoin dans le film
Mehdi Bigaderne, témoin dans le film
Mehdi Bigaderne, témoin dans le film
Yaya Moore, témoin dans le film
Yaya Moore, témoin dans le film

LM Fiction de Laurence Petit-Jouvet, France, 2014
Sortie France : 17 juin 2015

Migrations. Expulsions. Tensions. Non intégrations. Obstructions. Les mots tournent en boucle autour des gens de couleur qui vivent dans la société française. Un paradoxe cruel pour ceux qui y sont nés et y cultivent leurs repères. Pourtant leur présence continue de stigmatiser un problème, désigné ou insidieux, cette différence qui les désigne et tranche sur la norme blanche. La Ligne de couleur de Laurence Petit-Jouvet propose alors d'aborder leurs sentiments plus que leur statut. La réalisatrice française, familière de leur image, de leurs soucis, leurs espoirs, mène souvent des ateliers documentaires en Ile-de-France. Ceux-ci, en liaison avec le dispositif Passeurs d'images, soutenu par la structure Arcadi, l'ont conduit à réaliser Correspondances, en 2010, une série de lettres filmées, adressées par des Maliennes de France à des proches, puis en retour d'autres du Mali.
Le procédé est prolongé aujourd'hui par La Ligne de couleur, pour mieux faire entendre l'expression d'autres résidents. "L'idée de départ était de proposer à des personnes d'écrire un texte qui dise "je", adressé au destinataire de leur choix, en les incitant à creuser sous la surface du simple témoignage", explique Laurence Petit-Jouvet. Onze protagonistes défilent ainsi dans des séquences distinctes, ponctuées de fondus au noir. "Je me suis tenu à travailler avec leurs mots propres, respectés à la lettre", souligne la cinéaste. "C'est le grain de cette parole, surgie grâce à ce mode de fabrication participative qui donne, je crois, sa spécificité au film."


LA LIGNE DE COULEUR - Bande-annonce VF par CoteCine

A l'image, se succèdent les environnements qui baignent les confidences de ces non-blancs, tous nés en France, insérés dans la société où ils évoquent leur sentiment de décalage, captés dans les yeux des autres. "C'est l'assignation raciale qui m'intéressait", précise Laurence Petit-Jouvet, "la question des regards sur l'autre et sur la différence, ceux qui font particulièrement mal parce qu'ils sont insidieux, latents, souvent inconscients, mais tellement agissants pour ceux qui les subissent." Ainsi une jeune mère explique à sa fille combien sa chevelure afro l'a indexée. Une autre s'indigne que pendant la réalisation de son propre film, on ait persisté à la prendre pour l'assistante.
Le noir distingue comme l'allure de Maghrébin. Un élu au faciès marqué, se barde des insignes de la République pour défier les préjugés. Une éducatrice refuse son statut de victime désignée. Un homme, victime d'une fouille humiliante, en reprend la posture pour la dénoncer. Un autre dont la famille est antillaise, est associé à un profil d'arabe. Tous, issus du sol français, souffrent du marquage de couleur. La réalisatrice étend la question avec une comédienne dont les parents sont Japonais, qui peine à trouver autre chose que des doublages de personnages asiatiques pour exercer. On voit encore comment un homme à l'allure de Chinois, qui n'a jamais vécu dans ce pays et n'en parle pas la langue, s'y retrouve expédié d'office pour son métier.

Le désir de décoller son image de banlieusard coloré, pousse un animateur de radio à changer de look. L'humiliation vécue lors d'un changement d'école incite une jeune femme à aborder son malaise par des dessins d'enfant. La douleur des protagonistes est palpable. L'intensité des témoignages est relevée par l'attention patiente de la réalisatrice qui a pu travailler avec ceux qui, selon elle, "ont osé aller considérer cette partie d'eux-mêmes qu'ils ne peuvent changer, leurs corps, leur visage, leur "couleur". Son défi revient alors à habiller leurs mots avec eux, à créer du cinéma, à mettre en scène "en fonction de la teneur de la lettre et de la personnalité de son auteur", révèle-t-elle. "Chacun nous a conduit dans une intimité très différente, en parlant d'un endroit différent."
Ces mouvements sont assouplis par la musique du film, composée par Martin Wheeler, produisant une réflexion en douceur qui tranche avec le contexte français. "Ce film atterrit dans un monde tendu", reconnaît Laurence Petit-Jouvet. "C'est évidemment ce qui constitue le hors-champs de ce film." Au centre, les voix convergent pour pointer les formes diverses de la stigmatisation. La réalisatrice les assemble et les mêle, en harmonie, dans une démarche citoyenne. "Leurs lettres sont des miroirs dans lesquels ils se regardent, mais dans lesquels nous pouvons nous regarder aussi", estime Laurence Petit-Jouvet. Avec son point de vue d'auteur, elle rend ses couleurs à la société française. Une touche solide comme une ligne de front.

Vu par Michel AMARGER
(Afrimages / RFI / Médias France),
pour Africiné

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