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Haramiste, un miroir, un dévoilement
Un film d'Antoine Desrosières
critique
rédigé par Ridwane Devautour
publié le 02/10/2015
Ridwane Devautour (magazine Africiné)
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Antoine Desrosières, réalisateur français
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Scène du film
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Les deux actrices & coscénaristes Inas Chanti (Rim, au premier plan) et Souad Arsane (Yasmina en bandana), au Cinéma des Cinéastes, en projection débat, sept 2014, Paris
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Hybrid Films
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Les Films de l'autre cougar
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Africiné Magazine, the World Leader (African Cinemas & Diasporas)
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Sorti en salles en juin 2015, le moyen métrage Haramiste a su y rester plusieurs mois de suite sans désemplir et a su rassembler un public divers grâce à des débats réguliers en présence de membres de l'équipe du film et grâce à une présence importante sur les réseaux sociaux. Autant dire qu'Haramiste est un film qui vit et plaît.

Haramiste est une comédie culottée, il faut le dire, qui nous donne à voir la relation complexe entre deux sœurs à la découverte du désir et de la sexualité. En vérité, ce n'est pas de cette manière que ce film est généralement présenté. Beaucoup diraient qu'il manque une donnée qui, semble-t-il, à la lecture de certaines critiques, serait celle qui domine : ces deux filles sont musulmanes, et qui plus est, voilées. Tout de suite, deux dimensions se côtoient, celle du tabou qui naît de la rencontre entre sexe et religion, ainsi que celle du contexte actuel : les attentats à Paris en début d'année 2015, le climat islamophobe grandissant en France et ailleurs, l'éternel débat sur le voile qui divise toujours.






S'il est sûr que le côté provocateur du film lui est bénéfique, sa réception n'est-elle pas biaisée par ce dessein que beaucoup lui colle : celui de vouloir faire le portrait de filles musulmanes ? Aujourd'hui, la donnée "islam", quand elle est visible, prime-t-elle nécessairement sur toutes les autres ? Ce qui nous mène à nous demander si la liberté du cinéaste de faire de son film ce qu'il veut qu'il soit est forcément restreinte lorsqu'il possède une dimension sociale. Autant de questions qu'Haramiste pose mais auxquelles il sait aussi habilement répondre.

Le voile, un débat sans fin aujourd'hui, un détail dans le film.

Première scène, deux filles voilées sont assises sur une place de ce qui semble être une ville de banlieue. Elles discutent d'un groupe de garçons qui se trouvent non loin d'elles et tout de suite, nous sommes confrontés à ce qu'on pense être un paradoxe : deux filles qui cachent leurs corps et qui, pourtant, parlent de " jouer du tam-tam sur le cul d'un garçon." Ce n'est que dans cette première scène que les deux personnages, Rim et Yasmina, sont voilées. Elles sont là, à l'extérieur, dans un lieu public, à la vue de tous, et elles ne sont pour l'instant qu'en train d'évoquer leur désir de se rapprocher des garçons.
Cette scène d'exposition, cette scène voilée, en quelque sorte, participe au dévoilement qui a cours dans tout le film, en nous proposant deux lectures successives. La première se base sur les apparences, sur une panoplie de préjugés, de stéréotypes, qui nous viennent tout de suite à l'esprit et nous font voir deux filles d'abord musulmanes, d'abord voilées donc qui semblent être sous le joug d'une morale visible. Et une seconde lecture, amenée par leur discussion crue et animée, qui nous fait voir deux filles qui ont des yeux et une bouche, outils de leur désir. Des yeux pour observer les corps et une bouche pour en parler, pour dire les choses.

Musulmanes, certes, mais humaines, presque animales, comme nous tous. Dès les premières minutes du film, on nous rappelle que ce vieil adage "l'habit ne fait pas le moine" peut aussi s'appliquer à des sujets musulmans ! Si le voile participe à un débat sans fin dans notre société depuis plus d'une dizaine d'années, il est, dans ce film, un détail, un accessoire, un support au contraste entre la culture religieuse de ces filles et leur désir de sexualité. Leur désir est rendu plus grand et plus fort par ce voile qu'elles portent.
Ce tissu pourrait apparaître comme un signifiant polémique, mais vraiment ici il sert au contraste entre piété religieuse et sexe qui participe au comique de même qu'à la remise en question qui s'opère chez le spectateur tout au long du film. Le réalisateur arrive à se défaire de tout cet imaginaire encombrant et de cette médiatisation qui accompagne l'objet "voile" et le sujet "islam" pour en faire un simple aspect de la biographie de ses personnages.

Qui sont-elles, ces filles voilées, que nous croyons connaître en les jaugeant quand on les croise dans la rue ou dans le métro? Encore une fois, Antoine Desrosières et ses actrices (Souad Arsane, Inas Chanti qui cosignent le scénario avec Antoine Desrosières et Anne-Sophie Nanki), nous font comprendre que cette question n'est pas la bonne car ils ne prétendent pas parler d'un groupe social mais de Yasmina et Rim, deux sœurs vierges qui parlent de sexualité et qui, elles, ne se posent qu'une seule question : "Fera, fera pas ?".

Deux filles qui parlent de ce qu'elles ne connaissent pas, de sexe.

Discutant avec Antoine Desrosières de ce qu'un public musulman pourrait penser de son film, il évoque la description qu'un de ses amis musulmans a ajouté à la publication de la bande annonce sur facebook : "A mes amis musulmans qui seraient surpris que je partage cette bande-annonce, je rappelle qu'il s'agit simplement d'un film sur deux jeunes filles qui sont mal informées." Ce commentaire s'inscrit dans une volonté d'éviter un jugement trop hâtif de la part d'un public musulman, en déresponsabilisant ces jeunes filles. Elles ne savent pas ce qu'elles font, on peut donc les excuser de parler de sexe. Et quelque part, cette absence de responsabilité est intéressante car lorsqu'on pense au voile, lorsqu'on voit le voile, notre esprit occidental pense immédiatement à une soumission, à la présence d'une figure d'autorité alors qu'ici on voit que ces filles sont actives, en tout cas par la parole, mais aussi par la pensée, elles fantasment et émettent des opinions sur la sexualité. Elles en parlent, de manière active, à l'extérieur. Lorsqu'elles se retrouvent dans leur chambre, seules, dans le domaine privé, dévoilées, elles continuent leur discussion mais cette fois-ci de manière plus crue, elles parlent vraiment de sexe. On peut même dire qu'elles utilisent un vocabulaire et un ton pornographique, dans leur manière de décrire l'acte sexuel.

Pourtant, c'est lorsqu'elles miment l'acte de fellation que leur maladresse s'impose à nous. On se retrouve à observer deux enfants en train d'imiter les adultes, comme un de ces jeux de rôles un peu gênant, un peu déplacé. Qu'importe qu'elles soient musulmanes, ou d'une autre religion, elles décortiquent l'acte sexuel et tentent de se l'approprier à leur niveau. Elles le dédiabolisent comme le film dédiabolise leur appartenance à une religion.
Le caractère enfantin de ces deux sœurs participe au comique du film, évidemment, mais nous donne aussi à voir le touchant passage à l'âge adulte, cet instant où l'innocence est encore présente en action mais plus tout à fait en parole. Les deux sœurs compensent en descriptions crues et en expérimentations virtuelles, leur inexpérience. Elles en parlent avec détachement parce qu'elles ne l'ont pas vécu.

Lorsque Rim revient, un certain matin, on devine la fatigue, une certaine langueur. Si cette dernière scène est très drôle, le silence et son détachement vis à vis de sa sœur, en disent long sur la rupture qu'a peut-être constituée sa nuit. Une rupture entre enfance et maturité donc une rupture entre l'aînée de 18 ans et la cadette, une rupture entre celle qui est arrivée à un seuil (peut-être franchi ; il faudra regarder le film pour avoir la réponse) mais qui ne parle plus, ou alors uniquement par gestes, et celle qui ne sait toujours pas assez et qui l'inonde de questions et de menaces enfantines. Questions qui n'obtiendront de la part de la grande qu'une seule réponse : quelque chose comme quand on fait pipi après s'être énormément retenu, mais en beaucoup plus fort... Une réponse adaptée à la petite sœur de 17 ans.

Avec un scénario bien ficelé et des dialogues qui font mouche, Antoine Desrosières réussit à faire surgir l'histoire derrière la polémique, en dédramatisant le fait religieux. Et il réussit cet exploit, en utilisant la question de la sexualité pour désamorcer la question de la religion, mais pas seulement. Le superbe jeu des actrices et le regard presque documentaire sans jamais être voyeur du réalisateur nous font oublier ce voile, cet islam que certains voudraient que le film porte comme un étendard. Haramiste n'est pas un film sur deux sœurs musulmanes et voilées. C'est ici, devant la notion de tabou encore présente dans notre société à deux vitesses, entre hyper sexualisation et résurgence de valeurs traditionnelles, que le réalisateur et ses actrices/scénaristes nous placent.

Haramiste est un film initiatique, sur ce que c'est que de se débrouiller pour grandir dans un monde de désirs et de tabous à la fois, dans un monde où être haramiste ("pêcheur", de haram, "interdit", en langue arabe), c'est être maladroit, être entre deux mondes, que ce soit entre celui de l'enfance et du monde adulte, entre des valeurs traditionnelles et des principes libertaires ou entre une culture occidentale et une culture orientale.
Comme Antoine Desrosière le dit : "Un film n'est pas là pour porter un message mais pour porter un regard sur des personnages qui incarnent éventuellement des contradictions humaines." Ici, il s'agit aujourd'hui, de contradictions bien françaises face auxquelles chaque individu doit se faire… sa religion (le jeu de mots sied).

Ridwane Devautour

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