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"Ecrans d'Indianocéan", d'Alain Gili
Un travail de Titan !
critique
rédigé par Sedley Assonne
publié le 18/10/2015
Sedley Assonne (revue Africiné)
Sedley Assonne (revue Africiné)
Alain Gili, auteur du livre "Ecrans d'Indianocéan"
Alain Gili, auteur du livre "Ecrans d'Indianocéan"

Un travail de Titan ! Nous nous permettons ce T majuscule, pour faire un clin-d'œil au Village Titan, une des nombreuses fondations posées par Alain Gili, journaliste, écrivain mais surtout conteur. Sa passion de l'image l'a amené à nous confier, au travers de ce magnifique livre intitulé "Écrans d'indianocéan", les anecdotes qu'il a accumulées tout le long d'une vie dédiée à la recherche d'un vécu Ilien.
Alain Gili a arpenté toutes les îles de l'océan indien, avec une prédilection pour la Réunion, où il a posé ses valises depuis fort longtemps. De l'île sœur, il aura eu le temps d'écrire des nouvelles, de fort belles histoires d'ailleurs, et surtout de mettre en valeur les artistes qu'il a côtoyés.
Et si le cinéma irrigue le champ d'action de ce livre, se greffe également autour les préoccupations d'un homme, pas toujours soutenu dans sa démarche culturelle. En témoigne ses nombreux appels à la Commission de l'Océan Indien, dont on se demande pourquoi cette instance ne fait pas plus pour l'art et la culture dans la région, privilégiant plutôt la politique, l'économie et le social ?
Ce livre donne à voir des photos rares, des images presque oubliées de grands noms de la scène culturelle des îles de l'océan indien. Si à Maurice on cherche encore le mythique "Kithnou", un des premiers films tournés à Maurice, Alain Gili en donne des détails savoureux. Preuve d'un fort beau travail de recherche :"Histoire et cinéma de l'océan indien". La mise en spectacle de l'Histoire vient le plus souvent d'une volonté "nationale" qui veut être une pédagogie, parfois une propagande. Mais ces conditions de possibilités ne sont pas réunies : Rien à Maurice dont la jeunesse ignore tout des années 68-98.
Un regard incisif et une acuité visuelle quand il parle des noms de ceux qui ont concrétisé un cinéma mauricien : Selven Naidu, Rajen Jaganathen, Wassim Sookia, David Constantin, entre autres. Et toujours ce regard de respect sur les pionniers d'antan, de Siven Chinien à Ti Frer. Pour l'auteur, "un peuple en mouvement doit avoir sa cinématographie ou la créer, toute l'histoire du cinéma, depuis cent vingt ans, le dit." D'autant plus impérieux de faire cela que "un seul peuple, entreprenant, riche, anglophone, dominant, mondialisé, prétend posséder le cinéma, l'incarner, quasiment tout le cinéma du monde : les USA."

Alain Gili fait donc office de défricheur, avec une réelle sincérité :"Qu'est-ce que la cinématographie d'un pays ? Une mémoire par des images propres, même contradictoires, un débat permanent, des projets à travers des œuvres documentaires ou de fiction, ou les deux. Une singularité sachant acquérir une existence et une reconnaissance générale. Un être soi ouvert au monde." C'est un peu le portrait de cet homme, véritable passionné des écrans blancs. Et qui transmet cet engouement à travers les pages de ce livre. A le lire, on croirait presque que l'auteur était là, aux côtés de Monique Agenor, Roger Leung Pew, Ramesh Tekoit, Jacques Baratier, Solo Ignace Randrassana, Alain Séraphine, Jean-Pierre Dambreville, Jean-François Reverzy, qualifié à juste titre de "homme-action, généreux avec les artistes", allant jusqu'à regretter son "odyssée culturelle non reconnue".

Avec le franc-parler qui le caractérise, Gili n'occulte rien, ni n'épargne personne.
Dans ce "champ ouvert" que sont les îles, il brocarde ceux qui concoctent des scénarii à Paris, méprisant le vivier Réunionnais. Il vogue également plus au large, jusqu'au Mozambique et même sur le reste du continent africain, où Sembène Ousmane marquait son territoire. S'il n'est jamais évident de déterrer des trésors enfouies par "d'anciennes puissances coloniales", Alain Gili ne se décourage jamais. Il cherche, encore et encore. Et remontent à la surface les traces de ces "oseurs qui firent les plus belles aventures de films… "
Ce livre est limpide comme l'eau de source, comme un bonjour, un maloya pour la liberté. Car le propos ici "n'est pas de quantifier du savoir, c'est de partager des élans expressifs, de lier le cinéma à sa vraie pulsion créative première : l'imaginaire en liberté, les mouvements culturels, sociaux et artistiques, et d'en susciter d'autres." Déclinant les titres de ces longs et courts métrages et documentaires à jamais perdus, puisque plus jamais joués en salles, de "Koman i lé la Source" à "Vivre en créole", en passant par "Bisanvil","Rouzblezonnver","L'affaire Kaya" et "Le rêve de Rico", c'est un cri du cœur. Pour que revive par exemple "Le moutardier", d'Aliocha, premier film pionnier produit à la Réunion, devenu long métrage introuvable ! Comme le sera "Léonie ou le jeu des couleurs", de Jim Damour, une production soutenu par le ministère français de la Culture de Jack Lang !

Aiguilleur de destins, l'ouvrage est un inventaire des occasions ratées, ici et là, dans des îles pas toujours "société vivante".Et cette mise en garde aux jeunes :"Loin des obligations indéniables de tous les "JT" indianocéaniques, le futur nous reprochera de n'avoir filmé personne, maintenant, de ne pas avoir filmé autrement, humainement, en prenant le temps de le faire.C'est à dire en écoutant avec les yeux."
Qui mieux, heureusement !, qu'Alain Gili pour sauver ce qui peut l'être dans ce livre aux allures de testament cinéphilique ? Disponible à 29 Euros dans les bonnes librairies Réunionnaises,"Ecrans d'Indianocéan" est hautement recommandé à tout chercheur et amateur de cinéma dans les îles. Dédié à un public large, dépassant l'insulaire, il se dévore page à page. Qui appelle à une nouvelle dimension de tourisme intelligent. Une administration également soucieuse de l'avenir est interpellée :"On ne peut pas se contenter de ne construire que des bâtiments publics qui seraient dans l'hyper-histoire… Par ailleurs, la seule école apprenant à faire des films, l'ILOI, n'a pas la mission ni les moyens d'envisager "le jour d'après" pour de nombreux films de ses stagiaires."

Bref, il importe de "panser" un cinéma en devenir. Dont les plaies sont multiples, et qui nécessite "une force fraternelle d'intervention". Conseil Régional, MFDC, mais surtout Commission de l'Océan Indien, penchez-vous donc sur cette belle réalisation d'Alain Gili. Un livre qui doit devenir le livre de chevet de tout amoureux du cinéma, dans les îles et en Afrique !
C'est Stéphane Hoarau qui trouve la plus belle conclusion au livre, par ces mots :"Faut-il y voir un symptôme ? Celui d'un monde qui ne parvient pas pleinement à fabriquer ses propres outils, ses propres codes-cinématographiques et picturaux pour parler de Soi et préfère, pour le moment, les emprunter à d'autres ? Nous sommes dans la matrice d'un discours qui, tout en étant audible, reste invisible : où sont les images des Réunionnais et de la Réunion (on peut aussi changer les noms des îles que le discours resterait le même) ? Elles se devinent par superpositions langagière et imaginaire d'images produites ailleurs, répondant à d'autres besoins. Elles se devinent, sous les plis d'un discours en créole, apposé à des images propres à d'autres imaginaires… "
Au lieu de commander des Harry Potter et autres livres de recettes de cuisine, nos libraires feraient mieux de faire venir "Ecrans d'Indiaocéan" d'Alain Gili sur leurs rayons. Ce serait faire œuvre de salut public et d'exigence culturelle !

Sedley Assonne
Le Vicomte des gueux

Edité par Antigone (La Réunion), l'ouvrage est en vente au prix de 29 euros (environ 20.00 FCFA), à La réunion et à Paris.
Il est disponible dans la boutique en ligne de Latérit (Paris)

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