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Timbuktu
Bobo-Dioulasso : enfin !
critique
rédigé par Sid-Lamine Salouka
publié le 21/12/2015

Après deux reports, le film du Mauritanien Abderrahmane Sissako a finalement été projeté à l'Institut français de Bobo-Dioulasso, le mardi 1er décembre 2015 dans des conditions sécuritaires relevées. Une projection qui ressemble à un acte de résistance.



Timbuktu est un film têtu qui finit toujours par s'imposer au Burkina, malgré les coups d'un sort désireux d'empêcher sa projection. Ayant obtenu sept récompenses aux Césars (dont celui du meilleur film étranger et du meilleur réalisateur) il tenait le haut de l'affiche au dernier Festival panafricain du cinéma et de la télévision de Ouagadougou (le FESPACO). Alors que certains observateurs, lui attribuaient déjà l'Étalon d'or, le long métrage du Mauritanien Abderrahmane Sissako a été superbement ignoré au palmarès, n'obtenant qu'un lot de consolation, le prix du meilleur décor.
Timbuktu n'a pas moins défrayé la chronique par une valse-hésitation rocambolesque venue de la Délégation générale du festival. Celle-ci avait d'abord annulé la programmation du film, alertée semble-t-il par des menaces terroristes. Il s'était ensuivi une bataille dans les médias et les réseaux sociaux entre pro et anti-Timbuktu. En dernier ressort, c'est le Président Kafando en personne qui était intervenu en faveur du film : dans une formule sibylline, il avait déclaré qu'il irait au Fespaco si Timbuktu y était projeté.

Cette résistance à la barbarie, qui se profilait à travers le chantage à l'attentat, fut la révélation du caractère trempé de Michel Kafando. Ouagadougou avait tôt fait de surnommer ce retraité promu aux fonctions suprême M'ba Michel (le père Michel), convaincu qu'il n'était qu'un régent de fortune, manipulé par l'armée et une société civile aux desseins inavoués. Si tous rendent désormais hommage au courage (physique entre autres) de Michel Kafando après qu'il a tenu tête à plusieurs reprises à l'ex-Régiment de la Sécurité Présidentielle, l'imposition de Timbuktu au Fespaco est, rétrospectivement, le premier signal véritable de sa volonté d'homme d'État qui assume ses fonctions. En fait, l'attitude du chef de l'État, loin de se réduire au landerneau politique burkinabè, est à la mesure du message du film lui-même.

TIMBUKTU - A. Sissako - Extrait 2 La Poissonnière VOSTFR from Africiné www.africine.org on Vimeo.



Réalisateur de renommée mondiale, Abderrahmane Sissako se penche sur l'occupation de la ville mythique de Tombouctou par des djihadistes. Il en fait l'emblème du nord malien assailli par des islamistes qui s'expriment dans tous les domaines par des interdictions. Ȧ travers une succession de tableaux, Sissako porte au pinacle l'héroïsme ordinaire des habitants de Tombouctou. Contraints et forcés à collaborer avec l'occupant, sous peine de brimades et de mort, ceux-ci ont recours à la ruse pour continuer de vivre librement. Ne serait-ce que par l'imagination. On voit ainsi des garçons qui, interdits de pratiquer leur sport favori - le football -, se livrent à un match sans ballon !
Les assaillis ridiculisent ainsi les djihadistes dont l'incurie et la mauvaise foi sont aisément percés à jour. Comme entrer dans une mosquée des brodequins aux pieds, fumer en cachette quand on le défend aux autres, obliger une femme à vendre du poisson étant gantée… Les Tombouctiens se dérobent ou se braquent dans la dignité, confiants à la force séculaire d'une cohabitation entre des communautés différentes. Bien entendu, des conflits peuvent surgir entre des individus dans de tels cas et, par des actes malheureux, entrainer des groupes dans des confrontations. Malheureusement, les cadres de remédiations qui existaient et qui refondaient le vivre ensemble sont explosés par les djihadistes et remplacés par d'autres que l'ignorance et l'égoïsme rendent iniques. Ainsi, un conflit qui oppose un éleveur et un pêcheur, que la communication entre des ethnies différentes résolvait jadis, finit-il dans la tragédie.

TIMBUKTU - A. Sissako - Extrait 4 Les Pecheurs VOSTFR from Africiné www.africine.org on Vimeo.



Timbuktu est un excellent film. Arguant qu'il relevait d'un exotisme français ou néocolonial, certains critiques d'Europe et d'Afrique l'ont condamné. A tort, dirons-nous. Car l'intrigue ténue, la poésie mièvre d'une vie au désert servie par des images léchées qu'ils pointent relèvent d'un choix et d'une esthétique qui sont la marque de fabrique de Sissako. Ceux qui avaient crié au génie devant la quasi-absence de scénario dans La Vie sur terre ou devant la scène du western dans Bamako le vouent à présent aux gémonies.
En fait, beaucoup de ces récriminations sont le fait d'intellectuels de gauche, déçus de ce que Sissako ait accepté un poste de conseiller du président Aziz. Et aussi de qu'il aurait changé le projet initial du film qui portait sur l'esclavage des Noirs mauritaniens. En tout cas des arguments éloignés du film en tant que tel.

TIMBUKTU - A. Sissako - Extrait 1 La Mosquée VOSTFR from Africiné www.africine.org on Vimeo.



Pour revenir au message central de Timbuktu, il faut relever l'étrangeté d'un destin qui rend sa projection au Burkina toujours problématique. A Bobo-Dioulasso, une ville privée de salle de cinéma local, sa programmation à l'Institut français a été reportée par deux fois. D'abord en raison du coup d'État de l'ex-RSP et de l'attaque djihadiste sur Samorogouan, puis des attentats parisiens du 13 novembre. Diffuser ce film dans un tel contexte est un acte de résistance et de bravoure. Même si les conditions sécuritaires étaient drastiques pour la quarantaine de cinéphiles, qui sont allés voir ce film au lieu d'en acheter une copie piratée dans la rue…
L'IF de Bobo et les spectateurs se sont montrés à la hauteur du Président Kafando. Ou bien ont-ils voulu rendre un hommage à ceux que des barbares ont tué sans raison, au nom d'une religion dont ils ne connaissent pas véritablement les tenants et aboutissants. A moins que ce ne soit, tout simplement, un besoin d'être humain. La honte et le dégoût ressentis devant des actes de cruauté innommables. Avec la dignité des héros ordinaires du film Timbuktu.

Sid-Lamine Salouka

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