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La Vallée, de Ghassan Salhab
Le souffle de la terre libanaise
critique
rédigé par Michel Amarger
publié le 21/03/2016
Michel Amarger (magazine Africiné)
Michel Amarger (magazine Africiné)
Ghassan Salhab, réalisateur libanais
Ghassan Salhab, réalisateur libanais
Scène du film
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Scène du film
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Scène du film, avec l'acteur Carlos Chahine
Scène du film, avec l'acteur Carlos Chahine
Africiné Magazine, the World Leader (African & Diaspora Films)
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LM Fiction de Ghassan Salhab, Liban / France / Allemagne / Qatar / Emirats Arabes Unis, 2014
Sortie France : 23 mars 2016

Les images du Liban qui parviennent en Occident jouent souvent sur le sensationnel, la guerre, les combats intérieurs et extérieurs. Mais la violence sur le terrain est aussi plus intérieure, plus sourde, et peut-être plus profonde. C'est dans cette faille, entre le fracas du réel et les déchirures intimes, que se déploie le cinéma de Ghassan Salhab.

Hanté par le poids du présent dès Beyrouth fantôme, 1998, ou Terra incognita, 2002, ses premiers films remarqués en festivals, distribués en France, le cinéaste libanais n'a pu y voir diffusés Le dernier homme, 2006, ou La Montagne, 2010. Ces fictions, axées sur des hommes troublés ou en dérive consciente, sont menées parallèlement à des incursions personnelles dans l'histoire du réalisateur. Né à Dakar de parents libanais, grandi au Liban, Ghassan Salhab tourne des essais indépendants tels Narcisse perdu, 2004, ou 1958, 2009, qui établissent des ponts entre l'enfance et son contexte. Aujourd'hui la diffusion de La Vallée, 2014, permet de mesurer la tension qui pèse sur les corps, et les âmes libanaises.

Dans la montagne qui surplombe la vallée de la Bekaa, un homme perd la mémoire après un accident d'auto. Un groupe de deux Libanais avec deux femmes, qu'il dépanne en remettant leur voiture en marche, le prend en charge et l'emmène dans une villa isolée de la vallée. L'homme sous le choc les intrigue et les inquiète sans troubler leurs affaires. Ils semblent occupés à mettre au point une sorte de drogue qui sera livrée à des combattants. Protégés par des complices armés, ils perçoivent la menace des avions qui survolent leur terrain et des patrouilles militaires qui se rapprochent. Les échos de combats qui auraient détruit des villes limitrophes leur parviennent par radio. La fuite, la lutte armée, semblent la seule issue pour échapper aux destructions.





Sur cette trame tendue, Ghassan Salhab sème des indices de la personnalité et l'activité de ses protagonistes, sans en préciser les contours. La guerre des communautés en conflit au Liban, surgit au milieu d'un repas comme une plaisanterie lourde. Les échanges à demi-mots, les regards appuyés entre les membres du groupe de contrebandiers, résonnent avec parcimonie comme la mémoire vide de l'homme accidenté. Les silences habités par le bruissement de la nature donnent du souffle, et presque de la consistance, à une ambiance d'apocalypse croissante. Des animaux frémissent, s'égarent, se mutilent comme un présage des agitations et des chaos à venir.

Avec son rythme lent, et les paysages somptueux de la vallée de la Bekaa qui l'a inspiré, le film de Ghassan Salhab esquisse l'allégorie tragique d'une certaine désintégration du Liban. Les êtres y semblent rebelles, fragiles, menacés. Autour de la figure intense, troublante, meurtrie, du héros sans mémoire, interprété par Carlos Chahine, déjà employé par Salhab dans Le dernier homme, les comédiens sont au diapason. Des musiques techno dont Exercise One de Joy Division, ou des envolées lyriques rares, composées par Cynthia Zaven, Sharif Sehnaoui, semblent accrocher l'écoulement du temps. Mais les images de Ghassan Salhab savent aussi s'y suspendre, épousant les courbes ondulantes de la vallée et l'âpreté des reliefs qui l'encadrent.

En déployant ses scènes épidermiques, ses intrigues larvées, son introspection des vertiges libanais, Ghassan Salhab poursuit un cinéma exigeant. Appuyé par des artistes et des techniciens libanais complices, il mobilise quelques fonds européens, d'autres récoltés dans le Golfe, pour affirmer son indépendance avec une production modeste mais ambitieuse. L'emploi d'effets spéciaux suggère la matérialité des forces armées, l'impact des destructions. Sensible au vécu libanais, à la violence du monde qui l'entoure, le réalisateur joue sur la plasticité du cinéma pour cultiver La Vallée à son mode. Au-delà du chaos qui s'installe, la terre libanaise et les montagnes environnantes semblent s'ouvrir à de nouvelles perspectives. Incertaines, en suspens. Visions à venir.

Vu par Michel AMARGER
(Afrimages / Médias France),
pour Africiné

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