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Le cinéma africain : d'un extrême à l'autre
Luxor African Film Festival - LAFF 2016
critique
rédigé par Khalil Demmoun
publié le 24/04/2016
Poster LAFF 2016
Poster LAFF 2016
Khalil Damoun (Africiné magazine)
Khalil Damoun (Africiné magazine)

La cinquième édition du Festival du cinéma africain de Louxor nous a présenté un panorama qui caractérise l'état actuel du cinéma d'Afrique tant au niveau de la production qu'au niveau de la création.
On peut vite remarquer dès les premières séquences dans chacun des douze films de la compétition la grande différence qui existe entre le cinéma des "grandes potentialités actuelles" du cinéma africain tels le Nigéria, l'Afrique du Sud, l'Egypte, le Maroc et la Tunisie d'une part, et un cinéma fragile des pays comme la Namibie, l'Ouganda, le Mali et la Côte d'Ivoire d'autre part, même si ces deux derniers pays étaient classés il y a peu de temps parmi les grands.

De ce constat on peut déceler, au sein du cinéma que j'ai appelé fragile, des symptômes de simplicité dans les thèmes traités : la corruption par exemple dans Les voleurs de Boda Boda de Donald Mugisha et James Tayler de l'Ouganda, même s'il s'agit là d'une coproduction avec le Nigéria et l'Afrique du Sud, avec au fond un grand problème au niveau du scénario où les actions se développent d'une manière très ambigüe.
On retrouve cette simplicité chez Jacques Trabi de la Côte d'Ivoire dans son film Sans regret où les actions, les chutes et la fin sont pressenties par le spectateur avec des redondances sans fin. Le film commence avec une histoire à caractère social et finit par un drame policier.

De l'Ouganda encore une fois, on se trouve face à face avec un film écrit et réalisé par le producteur musical Bashir Lukyamusi Bala Bala Sese, film qui veut raconter une histoire d'amour entre John et Maggie sur fond social mais avec un manque alarmant d'idées créatives : prises de vue de débutants, entrées et sorties abondantes du cadre, dialogues improvisés ; bref un film qui donne, peut être, une idée sur un cinéma qui se cherche, mais qui a un long chemin à faire.
Le Mali du grand Souleymane Cissé nous présente un film presque brouillon de Boubacar Gakou, avec un fond de toile rural qui essaie de traiter les problèmes des jeunes voulant développer le système agricole dans le monde rural mais qui se heurtent aux mentalités archaïques existantes. Le sujet est intéressant certes, mais il est traité avec amateurisme, sans notion de temps et avec un cadrage raté de bout en bout.
Le Namibien Perivi John Katjavivi nous présente ici un film plat The Unseen, avec trois personnages qui se perdent dans les bas-fonds de la société namibienne en se cherchant une identité à travers la drogue, l'art et le suicide. On y trouve les mêmes problèmes d'écriture et de développement d'actions. Le grand handicap chez le réalisateur c'est qu'il veut raconter des histoires africaines avec une vision non africaine. En prétendant donner à ces histoires un souffle universel, il tombe dans la vulgarité et la simplicité.

Si on passe à l'autre coté de la donne, on va se trouver devant un cinéma qui a des moyens matériels et financiers, le savoir faire des cinéastes comme Mohamed Khan, Hicham Lasri, Anthony Abuah, Sonia Chamkhi et Sallas De Jager, et enfin la volonté politique dans ces pays de faire du cinéma un tremplin vers la modernité.
C'est ainsi qu'on se trouve devant une série de films forts, tout d'abord par leur courage à parler des graves problèmes qu'a connus le continent africain durant les dernières décennies : les années de plomb au Maroc, les massacres qui ont eu lieu en Mozambique, les guerres civiles, l'intégrisme en Tunisie, la ségrégation raciale en Afrique du sud...



Dans ces films on reconnait des styles différents : Anthony Abuah du Nigéria dans son film Mona opte pour un montage rigoureux à couper le souffle et une direction magistrale de la grande actrice Marlene Abuah.
Hicham Lasri qui continue avec Starve your dog de travailler sur une période difficile de l'histoire contemporaine du Maroc, suivant un style très original qui se forge à travers le cadrage, le son, la continuité et la discontinuité dans la narration, et à travers les faux dialogues pour arriver à construire un discours qui casse le rythme de tous les discours existants.
Mohamed Khan nous a régalés avec un film agréable à voir. Before the summer crowds traite du conflit des générations dans un huis clos touristique, en optant pour un style satirique sans tomber dans les clichés que ce soit au niveau des personnages ou au niveau des dialogues.

Sonia Chamkhi - dans son dernier film Narcisse - a su maintenir l'équilibre entre la trame narrative d'une relation ambigüe entre Hind et son mari d'une part puis entre elle et son frère Mahdi qui lui-même a une relation homosexuelle. Ces deux intrigues principales sont couverts d'un flash back remontant à des souvenirs d'enfance qui nous font rappeler le style d'un autre cinéaste tunisien : Férid Boughedir. Le grand défaut du film c'est qu'il se termine par une chanson/slogan condamnant l'intégrisme en Tunisie ; cette scène est introduite gratuitement à la fin du film.

D'un extrême à l'autre, le cinéma africain vit encore avec ses fictions, avec ses problèmes de financement, avec ses hauts et ses bas. Tout cela reflète l'état actuel d'un secteur qui peine à démarrer pour les uns et à redémarrer pour les autres. Dans tous les cas, peut-on interroger ceux qui ont sélectionné les films de fiction pour la 5ème édition de Louxor s'ils ont bien fait le tour d'horizon de toutes les productions africaines de cette année ?

Khalil Damoun (*)

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