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Ce qu'il reste de la folie
Soins et volutes de la folie à Dakar
critique
rédigé par Michel Amarger
publié le 20/06/2016
Affiche de 2014
Affiche de 2014
Michel Amarger (magazine Africiné)
Michel Amarger (magazine Africiné)
Joris Lachaise, France
Joris Lachaise, France
Convention : Mur noir / Trous blancs, de Joris Lachaise, France
Convention : Mur noir / Trous blancs, de Joris Lachaise, France
Scène du film, avec la regrettée Khady Sylla
Scène du film, avec la regrettée Khady Sylla
Scène du film
Scène du film
Maîtres Fous (Les), 1954, de Jean Rouch
Maîtres Fous (Les), 1954, de Jean Rouch

LM Documentaire de Joris Lachaise, France, 2014
Sortie France : 22 juin 2016


Comment la psychiatrie, conçue et développée en Occident, à l'époque de la colonisation, a-t-elle pu s'exporter en Afrique pour devenir un modèle de traitement de la folie ? C'est en suivant les fils de cette question, que Joris Lachaise, occupé à tourner en 2010 Convention : Murs noirs /Trous blancs, s'est retrouvé à enquêter au Point G de Bamako, le principal centre hospitalier du Mali, avant de s'orienter vers le Sénégal. Car c'est là qu'un épisode notable de l'histoire de la psychiatrie en Afrique, se joue à la fin des années 50, lorsque le professeur Henri Collomb ouvre le premier service du genre à l'hôpital de Fann, au centre de Dakar.
Soucieux de prendre en considération les cultures locales, les croyances, les imaginaires véhiculées par les patients, son service innove en se mettant à l'écoute des malades, créant ainsi "l'école de Fann". Cette approche, en liaison avec les expérimentations de psychothérapie institutionnelle à la clinique de La Borde, en France, où sont associés des noms comme Foucault, Deleuze ou Guattari, s'exerce dans une époque où l'institution psychiatrique se décloisonne en Europe. C'est aussi le moment où les indépendances des territoires africains se préparent, en correspondance avec le retournement de la vision du psychiatre français, engagé à Dakar, sur la psyché des colonisés.






Propulsé par ces considérations théoriques, Joris Lachaise investit l'hôpital de Thiaroye pour réaliser Ce qu'il reste de la folie, 2014. Marqué par Les Maîtres fous de Jean Rouch, 1954, qu'il a découvert au lycée, le réalisateur semble alors aborder la figure des fous et leur traitement en Afrique, avec des angles aiguisés par l'histoire post-coloniale. Trois personnalités sénégalaises qui ont gravité autour du cinéaste Djibril Diop Mambety, lui servent d'initiateurs, d'interlocuteurs, de guides. Il y a l'incontournable artiste Joe Ouakam mais aussi Thierno Seydou Sall, "Poète errant" qui a séjourné à l'hôpital tout comme Khady Sylla qui retourne s'y mesurer avec Joris Lachaise.
Elle devient une sorte de double et de révélateur pour le film. Car Khady Sylla, romancière écorchée, est aussi une réalisatrice qui a questionné son expérience de psyché troublée avec Une fenêtre ouverte, 2005. Elle témoigne et revoit son médecin avec une distance analytique qui fait surgir des échanges édifiants. Dialoguant avec Thierno Seydou Sall, elle souligne en citant Foucault, combien leur maladie repose sur un rapport fort à l'Occident. Le mode urbain de Dakar, reflet de cette influence, entretient une folie qui ne pourrait être soignée qu'avec des outils créés en Occident, les médicaments chimiques, échappant de fait aux thérapies héritées des traditions africaines.

L'idée est saillante, provocatrice, en contradiction avec le discours du psychiatre actif à Thiaroye, qui tente de combiner les approches. Certains malades sont orientés vers des tradipraticiens de villages, d'autres visités par des guérisseurs, des marabouts. La caméra de Joris Lachaise échappe aux discours institutionnels, aux conventions de cinéma pour circuler à loisir dans l'hôpital. Parcourant les couloirs comme des spirales déroulées, il cadre des malades qui se confient, qui jouent parfois avec lui comme pour sortir de leur image en tentant de mieux la fixer. Il s'agit alors de confrontations intenses, de jeux de regards, de jeux de rôles où les frontières semblent s'abolir.
L'opérateur devient même l'instrument d'un patient qui semble le magnétiser avant qu'il ne s'échappe. Le cadre se pose puis les cercles de la caméra portée reprennent leur danse. Des plans extérieurs, sur les jardins environnants, tissent des liens entre le dehors et le dedans, traversant les murs dans un va-et-vient signifiant. La lumière blanche, réfléchie par les murs laiteux, est éclatante, aveuglante. La surexposition devient alors une manière de "surinvestir les murs de l'hôpital en tant que symboles de coercition, d'enfermement", selon Joris Lachaise, permettant aussi de faire ressortir la peau noire des patients.

En proposant une introspection sensible des corps et des esprits, mis à l'écart de la société mais en dialogue constant avec elle, Ce qu'il reste de la folie véhicule des réflexions en demi-teinte. La vision qu'expose Joris Lachaise est étayée par des questions de premier plan sur la psychiatrie, le rapport à la colonisation, la relation aux traitements traditionnels dans une culture africaine en grande évolution. Mais son propos se structure dans un film épidermique, en mouvement incessant comme pour échapper à la rigidité d'un cadre normatif.
Cette liberté repose aussi sur l'indépendance de son auteur qui a cofondé une structure de production associative, Babel XIII, à Marseille où il réside. Grâce à ses moyens techniques, son encadrement, il a pu récolter des fonds régionaux. L'intervention de la société KS Visions, dirigée par Jean-Pierre Krief avec qui Lachaise a déjà travaillé, a permis de finaliser le film. L'expérience manifeste aussi le désir d'une "égalité de regards" qui passe par "la dignité des personnes que j'ai filmées et l'affection que je leur ai portée", confie Joris Lachaise. Une relation qui oriente Ce qu'il reste de la folie vers le sensible, l'émotion.

Vu par Michel AMARGER
(Afrimages / Médias France)

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