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Chouf
Voir et vriller les couleurs d'une cité du sud
critique
rédigé par Michel Amarger
publié le 01/10/2016
Michel Amarger (magazine Africiné)
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Karim Dridi, réalisateur franco-tunisien
Karim Dridi, réalisateur franco-tunisien
Scène du film
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Tessalit Productions
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Africiné Magazine, the World Leader (African & Diaspora Films)
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LM Fiction de Karim Dridi, France, 2016
Sortie France : 5 octobre 2016


L'image des cités de banlieue de la région parisienne, s'imprime visiblement dans le cinéma français tandis que des réalisateurs plus nomades, aux origines métissées, décentrent volontiers leur regard vers la Méditerranée, de Philippe Faucon (Samia, 2000) à Tony Gatlif (Geronimo, 2014) en passant par Karim Dridi. Ce dernier après Bye-Bye, 1995, et Khamsa, 2008, complète une trilogie marseillaise avec Chouf, 2016. Né en Tunisie, le cinéaste - qui aime frotter les genres, les origines, les destins frappés sans ménagement - invite à regarder de l'intérieur, une cité de Marseille. Basé sur l'introspection de la ville où il a emménagé, étayé par des ateliers de comédie menés avec des jeunes du coin, le scénario épouse la nervosité ambiante. "Il s'agit aussi de dire : regarde ce qui se passe dans nos quartiers", prévient Dridi.






Le titre, soufflé par Rachid Bouchareb qui est coproducteur du film, annonce la couleur. "Chouf a un double sens", précise Dridi. "Chouf veut dire "regarde" en arabe et veut aussi dire "celui qui regarde, celui qui épie", donc le guetteur, la vigie, la sentinelle. Dans les réseaux de drogue de Marseille, la police appelle ainsi les jeunes guetteurs." Son héros, Sofiane, beur de 24 ans, s'est soustrait à cet univers pour faire des études de commerce à Lyon. Mais quand il revient pour des vacances, visiter la famille et les amis, son frère, très actif dans le business de drogue, se fait descendre par un concurrent. Sofiane replonge alors dans la cité et les affaires pour retrouver les assassins.

Coopté par un caïd proche du défunt, qui emploie son meilleur ami, l'étudiant reconverti s'investit dans le réseau. Il approche le tueur du frère, perturbe la donne entre les clans, et dope l'organisation de la distribution de drogue en appliquant des théories de marketing apprises à l'école. Cette ascension le coupe de sa famille algérienne rangée et l'éloigne de la jeune comédienne qui était son amoureuse. Le deuil du frère s'accompagne de celui des illusions, conduisant Sofiane à découvrir chez ses protecteurs, des zones d'ombre qu'il éclaire de sa vengeance. Mais sa course percutante est en forme de boomerang.

Le décor de la cité aiguise la violence. "C'est un lieu clos, c'est un ghetto", estime le cinéaste. "Un vivier de criminalité logique parce que c'est un condensé de misère et d'injustice intolérables." Chouf montre alors des hommes en survie, qui s'organisent, devant des femmes fortes qui guettent. "J'ai fait ce film pour parler du déterminisme social qui nous régit tous", confie Dridi. "Ces jeunes sont nés dans un milieu dont il est très compliqué de se sortir, même quand certains accèdent à une éducation scolaire plus poussée." C'est le cas de Sofiane qui ressent les inégalités et replonge pour faire sa justice comme le confirme le cinéaste : "Dès qu'il rentre chez lui, il est ramené à sa condition et il devient presque impossible pour lui de s'en extraire, de résister à la fatalité qu'elle implique."

L'action est portée par les jeunes acteurs sélectionnés en cité, qui se révèlent avec conviction. "Il ne s'agissait pas d'aller vers un film naturaliste où on montre des gens de quartier pour ce qu'ils sont", relève Dridi. "L'idée, c'était de les emmener ailleurs, dans la planète cinéma." Alors, introduit par la notoriété de Khamsa qui fut tourné sous une bretelle d'autoroute à Marseille, le réalisateur peut avoir "accès à des endroits où on ne rentre pas" en se faisant accepter par ceux qui protègent leurs territoires. La caméra mobile peut ainsi instiller le suspens, en valorisant par le scope, la lumière méditerranéenne.

"J'ai naturellement pensé à la tragédie antique", admet Dridi. "C'est pour ça que les lieux de meurtre ont été choisis parmi les plus beaux sites de Marseille et ses hauteurs. Il y a un côté hellénique et grandiose dans les décors, afin que les rebondissements puissants de la tragédie antique puissent s'accomplir." Le spectacle, introduit par un morceau brut de rap, Quartier maître de Casey, s'amplifie ensuite. "La bande originale du film composée par Chkrrr s'éloigne de la musique urbaine, au profit d'une mélodie volontairement lyrique, donc cinématographique, pour soutenir la trame tragique du film", commente le cinéaste. "Une musique qui a du souffle, du corps, presque un requiem." Et comme pour en finir avec les faux espoirs, Karim Dridi oriente son objectif vers le soleil du sud qui brûle les yeux, les regards, en éclairant l'aveuglement des hommes d'aujourd'hui.

Vu par Michel AMARGER
(Afrimages / Médias France),
pour Africiné Magazine

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