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Décès de Cheick Fantamady Camara
Un sourire guinéen suspendu
critique
rédigé par Michel Amarger
publié le 14/01/2017
Le regretté Cheick Fantamady Camara, cinéaste guinéen
Le regretté Cheick Fantamady Camara, cinéaste guinéen
Michel Amarger (magazine Africiné)
Michel Amarger (magazine Africiné)
Scène du film Konorofili, 2000
Scène du film Konorofili, 2000


La nouvelle est arrivée comme un coup, à retardement. Un coup dur. Mais pas une surprise. La disparition de Cheick Fantamady Camara, ce 6 janvier 2017 au soir [date confirmée par sa veuve, sur sa page facebook, Ndlr], est le terme d'une longue lutte contre la maladie qui l'a affaibli sans altérer ses rêves de cinéma. Il n'apparaît pas utile de rappeler ici les faits d'armes de Cheick en matière d'audiovisuel puisque des confrères attentifs l'ont fait sans attendre. Et ils ont bien fait. Cheick non plus n'aimait pas trop attendre. Même s'il a fait de la patience et de la constance, des vertus pour mieux avancer.
Le temps de retard pour apprendre sa mort, était occupé pour ma part, à médiatiser d'autres images, venues du sud, au cœur du continent africain. Cheick sait de quoi on parle. C'est son désir de pousser plus loin les bords du cadre qui l'a entrainé de Guinée, où il est né en 1960, vers le Burkina, en terre de cinéma, puis en France où s'est fait la main et a serré les poings. Le cinéma, il l'a vécu comme un virus. Impératif, douloureux, puissant.



Il va pleuvoir sur Conakry.




On retient sa faculté à orchestrer la valse des contrastes et des corps-à-corps dans Konorofili, 2000, tourné en France. On mesure sa capacité à pénétrer la réalité des camps de réfugiés en Afrique, là où la jeunesse survit et se débrouille, avec Bè Kunko, 2004. La reconnaissance est au rendez-vous. Et quand Cheick passe au long-métrage, avec Il va pleuvoir sur Conakry, 2006, il sait amuser avec les péripéties d'un caricaturiste amoureux, fils d'imam, mais aussi planter les questions qui freinent l'essor de la Guinée, son pays magnifique, vivant, pourtant corrompu et encore englué dans des traditions archaïques.
Ce premier long-métrage qui a fatigué toute l'équipe, à commencer par le chef opérateur Robert Millié, est une manière de prouver que la Guinée peut inspirer et accueillir un tournage ambitieux. Cheick y soude sa troupe de comédiens dont la plupart vont vivre l'aventure du deuxième long-métrage. Morbayassa Le serment de Koumba, 2014, est un nouveau défi, une gageure pour contrer le manque de moyens et faire émerger un film à bouts de bras. Une histoire de transmission.






Le tournage se déplace au Sénégal puis s'interrompt faute d'argent. La course de Cheick est incessante, épuisante. Il trouve des aides pour filmer une deuxième partie dans la banlieue française. C'est là que son héroïne, prostituée reconvertie, cherche sa vérité, sa fille, son équilibre. Mais c'est pendant cette course que Cheick rencontre la maladie. Elle le fait plier. Il se relève, bataille encore pour trouver des fonds et finir le film. Une épreuve qui le mine mais permet d'exposer sur les écrans ses visions de cinéma.
Cheick accompagne son travail avec le sourire, une affabilité constante. On le voit doux, aimable, rêveur, mais au fil de la discussion dans les débats, les interventions ici ou là, la colère sourde qui l'anime remonte. Colère contre l'injustice, le pillage des richesses africaines, la colonisation des esprits, la dictature des religions, les difficultés démultipliées pour faire entendre la voix des cinéastes du continent. La douleur, contenue au quotidien, vampirise l'énergie de Cheick, soucieux de ne pas agresser les spectateurs en les distrayant par un spectacle édifiant mais plaisant.






En quelques films, trop peu, Cheick Fantamady Camara s'impose comme un réalisateur volontaire, courageux, sensible. En quelques films, Cheick Fantamady Camara s'impose comme un cinéaste africain toujours prêt à porter haut et calmement, mais avec fermeté, la voix des artistes du continent. Cet apport repose sur sa conception humaniste, animiste, respectueuse du monde. Lui qui accorde tant de crédit à sa vie de famille, à ses amitiés, ses fidèles soutiens, ne sacrifie pas son cinéma pour autant.
Cheick poursuit ses rêves alors que son dernier film n'est pas encore distribué en France malgré la reconnaissance internationale. Les blessures peuvent rendre forts, les forces peuvent juguler les coups du sort et les obstacles. Pas toujours la colère qui ronge. Celle que Cheick a peut-être trop longtemps contenue pour éviter de blesser les autres. Alors il disparaît à Paris, avec son éternel sourire, bienveillant. Et son regard sur le monde nous manque. Mais les échos de sa voix douce et feutrée résonnent encore. Comme les images, inaltérables, créées et partagées par Cheick.

Vu par Michel AMARGER
(Afrimages / Médias France),
pour Africiné Magazine

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