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The Last of us, Akher wahed fina, d'Ala Eddine Slim
The Last of Us ne sera pas le dernier
critique
rédigé par Hassouna Mansouri
publié le 10/02/2017
Hassouna Mansouri (Africiné Magazine)
Hassouna Mansouri (Africiné Magazine)
Ala Eddine Slim, réalisateur tunisien
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Scène du film
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Scène du film
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Jawher Soudani, acteur
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Fathi Akkari, acteur
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Exit Productions
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SVP Production
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Madbox Studios
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Inside Productions
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Still Moving
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Mohamed Ismail Louati (alias Ismaël), producteur délégué et exécutif
Mohamed Ismail Louati (alias Ismaël), producteur délégué et exécutif


Après son doublé - Prix Luigi de Lorentis (pour le Meilleur Premier film) et Prix Mario Serandrei (pour la Meilleure Contribution technique, 31è Semaine de la Critique) - au Festival de Venise 2016, passant par la compétition pour les premières oeuvres aux JCC, Akher Wahed fina (The Last of Us) de Ala Eddine Slim continue son odyssée mondiale en faisant le tour des festivals les plus en vue. A Rotterdam, il n'est pas passé inaperçu : une salle comble lors de la première projection et une ovation accompagnée d'un débat avec un public intéressé. Au-delà, les voies des choix des jurys restent impénétrables.






Ce film, dit à petit budget, impose le respect au-delà du misérabilisme que certains voudraient lui coller. Un film coûte ce que l'on veut que cela coûte. Mais si par petit budget on entend indépendant, certes Ala Eddine se veut effectivement comme tel. Plus même, comme certains de ses textes fulminés qu'il publie en guise de coup de colère contre un système de production en impasse, son film est un manifeste. Il y a mis une vision de la société, une lecture de l'actualité et une manière insolite et insolente de faire du cinéma.
Il y a toute une telle logorrhée autour de l'émigration clandestine, qu'il n'est presque plus possible de faire un film qui en parle. A moins que l'on aille au-delà du phénomène et que l'on tienne un discours plus subtile et plus profond en l'inscrivant dans une vision du monde. En travaillant sur des notions de base comme le temps et l'espace, Slim s'éloigne complètement des idées galvaudées et surprend le spectateur par une sorte de détachement, élévation intellectuelle et spirituelle l'amenant à remettre tout en question. Ce faisant, et épuré de tous les clichés auxquels on s'attendrait, le film s'ouvre sur un champs indéfini mais en même temps plein de significations.

Ala Eddine donne du temps au temps. Ceci n'est pas nouveau chez lui. Dans Babylone, un film sur l'exode des travailleurs émigrés en Libye après la chute du régime de Mouamar El Khadafi, la manière de poser la caméra allait de pair avec cette idée du temps qui est en arrêt pour tous ces milliers de personnes au destin inconnu. Il en est de même de ce jeune homme venu de nulle part, même si l'on suppose qu'il serait d'origine subsaharienne. Il jaillit du creux du désert comme du néant. Direction le Nord. Dans ses pérégrinations partant du sud tunisien vers la banlieue de la capitale, point de passage vers la rive nord de la Méditerranée, le champ de la caméra s'emplit d'images d'une Tunisie moderne où tout semble fonctionner normalement. Après une tentative de traversée, le jeune homme se retrouve dans un trou à côté d'un cadavre de fauve piégé comme lui. Blessé, il s'endort de douleur et de fatigue.
Suit alors une scène d'anthologie. A l'aide d'une corde qu'on lui a tendue, le jeune homme remonte l'abysse. Il est exténué et couvert de boue. Il rampe et s'accroche au sol mouillé incapable de se redresser, il s'abat le visage dans la boue comme pour fondre dans la terre. Il se réveillera plus tard dans la hutte d'un vieillard qui lui a donné gite et qui lui offre à manger. Cette représentation de la renaissance du personnage comme s'il sortait du ventre de la terre est un grand tournant dans construction du film.

Suit alors un parcours initiatique à la Apichatpong Weerasethakul [réalisateur thaïlandais, Ndlr], un cinéaste tout aussi indépendant habité par le soucis de réhabiliter les textes fondateurs de la culture thaïlandaise. Il y a en effet du Hayy Ben Yaqdhân [roman philosophique d'Ibn Tufay, 12ème siècle, Ndlr] dans Akher wahed fina. Entre ici et ailleurs, Ala Eddine Slim aménage un lieu en dehors du temps et au delà de l'espace où l'apprentissage de la vie se fait dans un rapport au monde dont la philosophie est que chez soi est tout simplement là où l'on est. Entre la frustration du moment dans le pays d'origine et le fantasme d'un future hypothétique dans l'ailleurs méconnu, il y a la sagesse du hic et nunc, l'ici et maintenant qui pourrait se traduire dans le film par ici est partout (hic est ubique). Entre la fuite du malheur d'origine et l'aspiration à l'inconnu, ce jeune homme venu de nulle part oublie le bonheur fantasque qui le poussait vers une fin tragique. Dans cette forêt idyllique, il réapprend le goût de la vie de la même manière que Ala Eddine Slim invente son cinéma en dehors des sentiers battus du financement du cinéma en Tunisie.

C'est là que réside le sens de la démarche cinématographique de ce groupe de jeunes cinéastes et producteurs réunis par nécessité ou par choix autour d'une idée de cinéma. Se retrouvant en dehors du système de production, ils prennent le taureau par les cornes, ne baissent pas les bras, ne font pas de concessions et font du cinéma l'aventure de leur existence en y mettant ce qu'ils ont. Faire du cinéma, et du cinéma qui compte, n'exige pas nécessairement de fondre dans le moule du statu quo. Pour faire du nouveau, il faut avoir le courage de sortir, de quitter le confort du système, car c'est dans la périphérie, dans les espaces non balisés que l'imagination prend tout son envole. La pertinence de Ala Eddine Slim c'est que non seulement son film obéît aux conditions de sa production, mais il en est même l'allégorie.

par Hassouna Mansouri

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