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Festival International du Film Transsaharien de Zagora 2016
Zagora, le cinéma levier touristique
critique
rédigé par Fatou Kiné Sène
publié le 13/02/2017


La 13ème édition du Festival international du film transsaharien de Zagora tenue du 22 au 26 décembre 2016 a vécu, comme de coutume. Pour cette année, cette ville marron beige au Sud-est du Maroc, dans le désert de l'Atlas, s'est appuyée sur le cinéma pour plus de visibilité, mais surtout pour booster son développement économique.

Jadis région marginalisée du temps colonial et même après l'indépendance, subissant cette dichotomie du "Maroc utile et du Maroc inutile", Zagora, ville millénaire et de civilisation, carrefour ethnique et linguistique, cherche à émerger par l'industrie cinématographique. Comment valoriser le patrimoine culturel matériel et immatériel de Zagora, cette zone oasienne ? Le directeur du Festival international du film transsaharien de Zagora, Ahmet Chahid est convaincu que le cinéma peut jouer ce rôle.
Lui et sa bande d'amis rêveurs, travaillant dans le tourisme, se lancent à l'aventure pour animer leur région. La question est posée : comment impliquer l'art ou la culture dans le développement local ? La réflexion débouche par l'organisation du 1er Festival international du film transsaharien de Zagora, il y a treize ans. La longévité de la manifestation cinématographique s'explique par le passage à témoin il y a dix ans entre cet organisme touristique qui avait lancé l'idée et l'Association Zagora, composée de professionnels (dont le directeur artistique Aziz Khouadir), spécialisés dans l'organisation du festival. Ce qui marque une transition d'amateurisme vers une professionnalisation. "Nous ne travaillons pas pour un festival dans le temps ou pour un lieu précis, c'est un projet social", souligne M. Ahmet Chahid. Depuis 2015, il y a des projections dans la prison locale de Zagora. Le but visé est comment rendre humain ces espaces enclavés, mal vu par la population. Il s'agit aussi de valoriser les droits humains et la démocratie au Maroc. Pour la 13ème édition, il y a eu une collaboration avec les Sages-femmes, pour une sensibilisation à travers le 7e art.

Pour Abderrahim Chahid, Président du conseil provincial de Zagora (une province de 25 communes), c'est parce que Zagora a compris que le cinéma est un levier de développement économique qu'on en est à la 13eme édition du festival international du film transsaharien. "Les espaces hôteliers l'ont bien compris et la période où il y a le festival de Zagora, il y a beaucoup de travail et de visiteurs", lance-t-il.
Le bilan est fructueux. Une salle de cinéma construite, formation aux métiers du cinéma au profit des jeunes de la localité, 7 films réalisés par la province avec des habitants de Zagora dont La Mosquée, Oasis dreams ("Les rêves de l'Oasis"), projeté en ouverture de la 13ème édition)… Chaque année, 2 à 3 films sont tournés dans la ville de Zagora, car la région offre un décor naturel avec ses paysages d'oasis et son désert, à l'image de Ouarzazate, pas loin, prisé par les cinéastes du monde pour son décors naturel, sa luminosité exceptionnelle avec cet ensoleillement presque toute l'année. De nombreux films sont tournés dans ce décor où dans l'un des 3 studios de cinéma que possède Ouarzazate, notamment Ali Baba et les quarante voleurs (1954), La dernière tentation du Christ (1988), La Momie (1999), Gladiator (2000), etc). "Ces films qui sont faits sur Zagora jouent un rôle dans l'imaginaire des Marocains ou d'ailleurs", fait savoir le Président du conseil provincial M. Chahid.
Le concours de scénarii institué lors du festival n'est pas fortuit. C'est un choix stratégique pour rendre hommage à l'espace et à l'homme saharien. Conscient de ces atouts, M. Abderrahim Chahid espère que dix films seront tournés dans sa région par an. Il faut alors des infrastructures adéquates pour attirer les investissements pour le cinéma. La construction d'un studio de cinéma est en perspective. Autorités et élus du conseil provincial en font un défi.

Diversité des films en compétition

Cette fête du cinéma au relent économique rassemble des cinéastes venus d'Europe, d'Amérique, d'Afrique, d'Asie. Parmi eux, les réalisateurs Kassem Hawal (Iraq), Semir Aslanyùrek (Turquie), Hamed Rajabi (Iran), Mourad Boucif (Belgique/Maroc), Khaoula Assebab Benomar (Maroc), Moussa Touré (Sénégal)…, et des acteurs dont Kamal Moummad, Français d'origine marocaine vivant aux Usa. Les films en compétition s'illustrent par la diversité des sujets abordés. La fiction Les Hommes d'argile (Clay Men) du Belgo-Marocain Mourad Boucif réalisé en 2015 (soutenu par l'Oif) et qui a reçu le Prix de la critique africaine à Zagora met en exergue la contribution "remarquable" des soldats africains au côté de la France lors de la Seconde guerre mondiale. Mais loin de simplement inscrire sa trame sur ce conflit, le réalisateur belge d'origine marocaine insiste sur l'humanisme de ces tirailleurs sénégalais (appellation donnée aux soldats africaines enrôlés dans cette guerre). L'attachement à la terre, à la faune et la flore et leur croyance religieuse permettent à ce contingent de soldats marocains embarqués malgré eux dans un conflit qui, ne les concernait guère, de faire face aux atrocités de la guerre.
L'autre film ayant retenu l'attention et qui a d'ailleurs reçu le Grand prix de la ville de Zagora est Une rébellion ordinaire de l'Iranien Hamed Rajabi (2015, fiction, 88 mn). Une rébellion pas si ordinaire par la force du propos qui met à l'écran cette souffrance intérieure des femmes à travers l'histoire de Nahâl, 30 ans, enceinte de quatre mois et qui vient d'apprendre à la sortie de la salle de consultation la mort de son fœtus. Elle a deux jours pour subir les mesures médicales nécessaires. Révoltée envers sa famille, son entourage et la société qui l'entoure, elle souffre en silence devant une famille qui ne pense qu'à préparer une fête, à un mari qui ne se soucie qu'à son ascension professionnelle et sociale. Une image universelle. Le film est porté de main de maître par l'actrice Negar Javaherian qui a reçu le prix d'interprétation féminine. Parmi les films marquants, il y a Simshar de la Maltaise Rebecca Cremona qui pose en parallèle la problématique de l'accueil des émigrés clandestins rejetés et des difficultés des pêcheurs résidents s'appuie sur une histoire dramatique vraie. Citons également La nuit et l'enfant de David Yon (France / Algérie), une quête de liberté dans un univers de chaos, ainsi que la fiction Un citoyen très ordinaire de Majid Barzegar (Tchèque / Iran) un drame d'amour orchestré par le vieux M. Safari, 80 ans, atteint d'alzheimer après le décès de sa femme. Le dernier film très singulier de cette sélection est Le clair obscur de Khaoula Assebab Benomar (Maroc) qui signe son premier long métrage. Elle met en trame la vie d'un non-voyant qui rêve de devenir présentateur de Journal Télévisé. Avec l'abnégation de sa petite copine, étudiante dans une école de cinéma, il finit par atteindre son objectif malgré les obstacles. Un hymne à la persévérance et à l'estime de soi.

La critique, le miroir du cinéma

Le cinéaste sénégalais Moussa Touré n'a pas pu présenter son dernier film Bois d'ébène (2016), pourtant au programme, à cause d'un problème technique. M. Touré, s'est dit très honoré d'avoir reçu les clés de Zagora à la fin du festival. Membre du jury de la compétition des films de fiction long métrage, il a participé à la table ronde sur le thème : "La critique, une composante majeure de l'industrie du cinéma" modérée par le critique de cinéma marocain Driss El Korri. Une rencontre qui a vu la participation des critiques membres de la Fédération Africaine de la Critique Cinématographique (FACC), notamment Bayili N. Abraham (Burkina Faso), Rachid Naïm (Maroc), Fatou Kiné Sène (Sénégal), tous trois membres du Jury de la Facc à Zagora, et du critique Mahrez Karoui (Tunisie) aux côtés de réalisateurs et cinéphiles. Tous semblent être d'accord sur la nécessité de la critique dans l'évolution du cinéma qui pour certains "est un miroir".
Pour Driss El Korri, les métiers qui tournent autour du champ cinématographique, en général y compris faire la promotion ou l'éloge de quelqu'un, existent et doivent exister, mais ce n'est pas de la critique. Selon lui, ce sont des discours produits sur commande. "Les cinéastes ont le choix entre lire une critique qui leur apprend, qui tisse une relation dialectique avec eux dans un contexte plus élevé, plus raffiné et fin et qui invite à avancer en tant que des gens qui produisent une pensée", souligne M. Driss El Korri. Au fil des échanges, un amalgame qui s'est installé au Maroc a été vite souligné entre deux catégories de critique distinctes : journalistique et professionnelle (quelqu'un qui maitrise les outils de la critique). La journaliste marocaine, Ouafaâ Bennani Dnes du journal "Le Matin" a répliqué en réfutant l'existence de critique journalistique, car elle-même faisant appel au réalisateur et critiques pour parler du film. "Ce n'est pas mon métier de faire une critique", lance-t-elle. Ce qui constitue aux yeux de certains participants une exception. La critique en langue arabe aussi vit une crise, selon le réalisateur égyptien Ahmed Rashwan, parce que dit-il, "chacun croit qu'il possède la vérité à lui seul la vérité". Pour certains participants, la qualité du cinéma influence celle de la critique Ce qui fait dire au réalisateur Mourad Boucif, que la critique est à l'image de l'artiste. Pour le critique marocain Rachid Naïm (par ailleurs professeur de cinéma), la critique doit reposer sur deux piliers : l'évaluation et la transmission.
Le cinéaste Moussa Touré s'interroge sur la mission du critique dans un pays comme le Sénégal sans salle de cinéma où le taux d'analphabétisme est très élevé. Car pour lui, critiquer, c'est inciter et éclairer. Il propose une réflexion sur le langage de la critique en partant des échos positifs reçus de son dernier film Bois d'ébène (2016) dont un reportage en wolof (langue locale du Sénégal) sur la Radio Futur Médias (groupe de presse du chanteur Youssou Ndour incluant la télévision Tfm et le journal L'Observateur) - a permis à de nombreux sénégalais en majorité des chauffeurs de taxi, d'entendre parler de son film, sans pouvoir aller dans une salle de cinéma. Il propose une critique orale dans les langues africaines comme alternative.

Fatou Kiné Sène

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