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Django
Jamais le fascisme ne tuera l'art
critique
rédigé par Hassouna Mansouri
publié le 13/02/2017
Hassouna Mansouri (Africiné Magazine)
Hassouna Mansouri (Africiné Magazine)
Étienne Comar, réalisateur français
Étienne Comar, réalisateur français
Berlinale 2017
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Scène du film
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Reda Kateb, acteur principal
Reda Kateb, acteur principal


Le rideau s'est levé sur la 67ème édition du festival international du film de Berlin jeudi 09 février avec la projection de Django. D'emblée le La du festival est donné. Ce film, qui revient sur deux ans de la vie de Django Reinhardt, un guitariste mythique qui anima les nuits parisiennes par ses concerts de gipsy jazz entre 1943 et 1945, annonce la couleur de l'édition 2017.
Le choix de ce film pour ouvrir le festival ne peut pas être innocent ni une coïncidence. Il est en phase avec l'air du temps, puisqu'il traite d'un thème très actuel : la confrontation de la liberté artistique, pour ne pas dire l'art tout court, avec une volonté politique obsédée par le contrôle absolu de la vie des hommes. Le choix de ce personnage historique est parfaitement à propos.

Django est un musicien de génie. Vers la fin de la deuxième guerre mondiale, la scène musicale du Jazz à Paris est désertée par les stars américaines. C'est alors que Django et son quartet occupent toute la place avec un jazz gipsy hors norme. Le succès est tellement grand que Goebbels [ministre de la Propagande, de 1933 à 1945, Ndlr] entend s'en servir, pour remonter le moral des troupes nazies. Toutefois, il exige que le musicien adapte sa musique aux préceptes de la discipline du Reich. Or, Django est non seulement un jazzman, mais surtout un gipsy. L'improvisation, le nomadisme et l'insoumission coulent dans son sang.
Le tzigane est attaqué sur deux fronts. Il doit se soumettre à un ennemi pour qui les tziganes sont une race inférieure à exterminer. Il doit jouer un jazz sur mesure pour servir la propagande nazie. Pour cela il ne faut pas qu'il y ait dans sa musique ni d'allegretto, ni d'improvisation. Les solos ne doivent pas dépasser 5 secondes. Or, le jazz est une célébration de la joie de vivre par le rythme dansant, la gaieté et les échappées par lesquelles le musicien se libère des notes écrites et se laisse aller au rythme de son instrument dans une fusion avec le public qu'il emporte vers des émotions inattendues. Cette marge de liberté n'est pas tolérée par une vision du monde et de l'art qui se veut limitée par des normes préétablies au nom d'une définition étroite de l'identité.

Le film revisite cette zone grise entre liberté et folie. Il est porté par deux artistes dont les œuvres sont marquées par un certain engagement pour la liberté dans toutes ses formes. L'acteur principal n'est autre que Reda Kateb, le neveu de Kateb Yacine, le célèbre écrivain algérien qui fut l'incarnation même de l'esprit libre de la création artistique. L'acteur s'est distingué déjà dans Loin des hommes de David Oelhoffen en 2014 et dans Les beaux jours d'Aranjuez de Wim Wenders en 2016. Quant à Etienne Comar dont ce film est le premier ouvrage en tant que réalisateur, il a toujours été un défenseur des artistes qui se battent pour la liberté. N'est-il pas le producteur d'Ali Zaoua de Nabil Ayouch et de Timbuktu d'Abderrahmane Sissako, ainsi que le co-scénariste du film Des Dieux et des Hommes de Xavier Beauvois ?
Le film s'inscrit donc dans la continuité d'un travail de réflexion sur la place de l'artiste dans la société contemporaine. Le débat qui s'en dégage n'est pas étranger à notre actualité. La montée du populisme dans les démocraties les mieux organisées, la place de plus en plus grande qu'occupe le radicalisme religieux dans d'autres sociétés sont deux phénomènes dont l'impact directe est de limiter toutes les formes de marge de liberté que la société moderne a pu aménager. Ce sont les artistes qui sont toujours dans les premières lignes de la confrontation avec les forces obscurantistes. Le criticisme, qui est l'âme de leurs œuvres, est le premier garde-fou contre le nivellement culturel par le bas et la restriction des libertés.

Au moment où les voix de l'enfermement sur soi s'élèvent ici et là dans les quatre coins du monde, la 67ème édition de la Berlinale choisit d'ouvrir avec un film qui rappelle qu'il est trop facile de répéter l'histoire. Ce message a encore plus de pertinence lorsqu'il est lancé depuis la capitale allemande dont le peuple sait ce que c'est que d'être soumis à l'emprise du fascisme le plus sourd à l'art, à la liberté et à la joie de vivre.

De notre correspondant à Berlin
Hassouna Mansouri

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