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La Belle et la meute, de Kaouther ben Hania
Lorsque Myriam demande quelque chose pour se couvrir
critique
rédigé par Hassouna Mansouri
publié le 09/06/2017
Hassouna Mansouri (Africiné Magazine)
Hassouna Mansouri (Africiné Magazine)
Kaouther Ben Hania, réalisatrice tunisienne
Kaouther Ben Hania, réalisatrice tunisienne
Scène du film, avec Mariam Al Ferjani ("Mariam")
Scène du film, avec Mariam Al Ferjani ("Mariam")
Scène du film Aala kaf ifrit (La Belle et la meute), de Kaouther Ben Hania
Scène du film Aala kaf ifrit (La Belle et la meute), de Kaouther Ben Hania


Projeté dans le cadre de la compétition Un Certain Regard au 70ème festival de Cannes, La belle est la meute de Kaouther ben Henia, la chef de file du jeune cinéma tunisien n'a remporté aucun prix mais il n'est certes pas passé inaperçu pour la presse internationale.

Lorsque Myriam demande quelque chose pour se couvrir, au poste de police où elle est venue déposer une plainte contre ses violeurs, il n'y a qu'un safsari (habillement typiquement tunisien avec lequel les femmes se couvrent en dehors de leur foyer). C'est là autant un moment qu'un élément scénaristique clé dans La Belle et la meute de Kaouther ben Hania en compétition dans la section Un certain regard aux 70ème Festival de Cannes. Jamais le statut de la femme et son poids dans la société tunisienne n'ont été posés d'une manière aussi subtile et, qui plus est cinématographique.
Myriam demande le safsari pour se couvrir. Elle ne supporte plus les regards des hommes (agents de police) qui n'ont pas arrêté de la déshabiller par leurs yeux. En plus, c'est à la suite de ce qu'elle a subi un peu plus tôt dans la soirée. Surprise sur la plage avec un jeune homme dont elle venait de faire la connaissance, elle s'est fait violer par deux policiers. Elle atterrit dans un poste de police où elle essaye de déposer une plainte contre ses agresseurs. Outre le fait que le film soit inspiré d'un fait divers qui a secoué l'actualité dans le contexte après-révolution de janvier 2011, il s'agit d'une analyse profonde du rôle que la Femme joue dans la Tunisie moderne.






Construit en neuf séquences dont chacune est un chapitre du calvaire de la jeune étudiante qui habite dans un foyer universitaire parce que venant de l'intérieur du pays et donc pas habituée à l'atmosphère de la capitale. Hésitante, remplie de honte et du sens de la culpabilité, Myriam subit toutes les humiliations. Pourtant, c'est elle la victime. Tout le long du film, elle ne cherche qu'une chose : déposer une plainte. Or, il se trouve que ses agresseurs sont eux-mêmes des policiers et elle doit faire sa déposition dans le poste où ceux-ci sont en exercice. Une confrontation donc entre un être en position de faiblesse et un ensemble de machos qui cherchent à la faire taire par menaces et intimidation. Le poste de police devient un huis clos où ben Hania s'exerce à une analyse clinique de la société.

Les neuf chapitres du film sont une descente en enfer pour la jeune femme. Progressivement, elle est isolée des quelques personnes qui lui apportent une quelconque aide : l'infirmière qui l'introduit au médecin, la commissaire qui prend sa déposition et lui file un safsari, et même l'activiste dont elle vient de faire la connaissance. Un chemin de croix qu'elle doit faire seule. À mesure que l'aube approche, le calvaire doit finir d'une manière ou d'une autre. Va-t-elle pouvoir enfin déposer sa déclaration et engager une enquête ou bien va-t-elle céder à la meute de policiers qui cherchent à la pousser à y renoncer. Chacun des chapitres est un rebondissement qui fait monter la tension d'un cran.

Vient alors le moment de libération. Poussée dans ses derniers retranchements de peur, d'humiliation et de crainte du scandale, et face aux dernières menaces d'impliquer sa famille, voire de l'arrêter, Myriam surprend tout le monde et se déchaîne. C'est elle qui appelle son père et surmonte la peur qui la ligote. En ce moment-là, les policiers pourris ne peuvent rien contre sa détermination. Elle quitte le poste de police, lieu de sa persécution toute libre et libérée. Le safsari qui couvrait son corps en guise de protection contre les regards des hommes, elle le met sur ses épaules et se métamorphose en une princesse libérant son corps après avoir libérer son esprit. Une Marianne tunisienne qui n'est pas sans renvoyer au moment clef du soulèvement populaire lorsque la jeunesse démunie a compris qu'elle n'avait plus rien à perdre et il ne lui restait que la rue pour brader la peur et l'humiliation subies pendant des décennies.

Ben Hania est féministe. Le safsari n'est pas considéré comme un signe de la femme subalterne mais plutôt de la femme tunisienne libre, libérée et libératrice. Dès les premiers mois de 2011, lorsque le pays est bouleversé après le grand soulèvement populaire de décembre 2010, la classe politique, menée surtout par des hommes, et sous le poids du courant islamiste, était sur le point de céder sur des points fondamentaux de la constitution tunisienne concernant le statut de la femme. Les partis politiques progressistes avaient du mal à tenir face à la mouvance conservatrice. Ce sont les manifestations de femmes dont l'emblème était justement le safsari, qui ont empêché une régression qui aurait été néfaste pour les libertés individuelles de tous les citoyens.
De ce point de vue, Ben Hania ne fait pas de compromis comme dans ses œuvres précédentes. Sa mise en scène est sobre. Le film est tourné presque entièrement en plan-séquences dans des intérieurs exigus, des postes de police, des hôpitaux, d'où donc des cadres le plus souvent rapprochés. Tout contribue à l'effet de tension et à la confrontation qui ne cessent de monter jusqu'à atteindre le crescendo juste avant l'extase de la libération. Quelques répliques renvoyant directement au contexte général de la société sonnent comme des fausses notes et empêchent le film de décoller vraiment vers une poétisation supérieure. Ce qui demeure néanmoins regrettable.

Le fait divers est transformé en une lecture politique de la société tunisienne. Ni les institutions démocratiques, ni la presse, ni l'activisme politique n'ont pu venir au secours de la jeune femme. C'est elle-même qui a décidé de son sort. De la même manière, ce sont les femmes tunisiennes qui ont fait mur contre l'atteinte à leur statut dans la nouvelle constitution. Plus encore, la situation des faits après la révolution est un clin d'œil au combat qui continue. Car, si la situation politique a peut-être changé, la société elle a encore du chemin à faire.

Hassouna Mansouri
correspondance spéciale

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